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L’école a repris depuis quelques semaines et certains professeurs avouent être déjà épuisés et avoir la tête sous l’eau. Les raisons de cette fatigue sont multiples. Sabrina est enseignante en maternelle depuis 8 ans. Elle a une classe de grande section avec 28 élèves, un niveau qu’elle affectionne mais qui l’éreinte aussi. « J’ai beaucoup de garçons dans ma classe cette année. Je passe un temps fou à les recadrer. Ils sont très agités, bavardent, se bagarrent… Et comme ils n’écoutent pas les consignes, je dois les leur répéter constamment. C’est épuisant. J’ai moins de préparation et de corrections à faire qu’en élémentaire mais cette agitation et ce bruit permanents sont très durs à supporter à la longue. Ca résonne encore dans ma tête quand je rentre chez moi ! Et puis, il y a cette impression de tout faire à la va-vite, entre un gros effectif et ce brouhaha, je manque de temps pour m’occuper des élèves qui sont plus en difficulté et c’est frustrant », confie la professeure des écoles. Elle espère avoir un peu moins d’élèves l’année prochaine mais sait bien qu’une ouverture de classe n’est pas à l’ordre du jour… Du côté du second degré, les conditions de travail sont difficiles aussi.

Une baisse inexorable du niveau scolaire

Pour Benoît, professeur d’anglais en collège et lycée en milieu rural depuis une dizaine d’années, cette année est pire que les autres. Il a connu la réforme du collège et désormais celle du lycée. Celle-ci demande, selon lui, encore plus de préparation et met enseignants et élèves sous pression. Par ailleurs, si la charge de travail s’intensifie, les résultats des élèves, eux, ne font que baisser. « Ce qui m’épuise le plus, au-delà du travail grandissant, des stratégies déployées pour ne pas perdre les élèves (différenciation, corrections adaptées à chacun…), de l’autoformation afin de proposer de meilleures solutions, de la multiplication des réunions… c’est surtout cette impression que, quoi qu’on fasse, le niveau des élèves va inexorablement baisser », déplore le professeur. Une baisse qu’il attribue en partie à la réforme du collège et qu’il doit rattraper en moins d’un an ; les examens débutant en janvier en 1ère au lieu de juin en Terminale auparavant. Benoît regrette cette impression de bachotage et d’évaluation permanente.
Même constat pour Gérard, 51 ans et professeur de lycée professionnel. « Je ne parlerai pas d’épuisement mais de colère. En 2008, la formation professionnelle a été raccourcie d’une année, le fameux bac pro 3 ans vecteur d’égalité ! Elle est où l’égalité quand on supprime du temps de formation à des jeunes déjà en difficulté ? Et aujourd’hui, on allège les programmes en supprimant des heures de formation. Il y a encore 15 ans, avec un bac pro, je formais des professionnels (j’en avais 24 sélectionnés). Aujourd’hui, je fournis des élèves (j’en ai 30 imposés et eux-mêmes ne savent pas pourquoi ils sont là) aux niveaux supérieurs (BTS) pour qu’ils se vautrent mieux à cet étage. Le bac est donné avec des compétences à valider dont on ne comprend nous-mêmes pas le sens en formation (ex : « Le champ d’intervention du/de la technicien(ne)et de sa société dans le projet est déterminé), on valide cela comment ? », interroge l’enseignant. 

Des critiques dures à vivre

Malgré leurs efforts pour tenter de pallier les difficultés liées à ces réformes et aux baisses de niveau, le découragement s’installe.  Benoît, le professeur d’anglais, a passé une bonne partie de son été à préparer ses séquences pour la réforme. Même chose pendant ses 15 jours de vacances de la Toussaint, en plus des copies à corriger. « Plus on travaille, moins les élèves vont en faire. Ils trouvent ça normal et une partie des parents aussi, pas toute heureusement. On a beau se battre pour l’avenir de leurs enfants, voir le désastre se profiler, l’instant présent semble être la seule chose qui compte. Si le niveau baisse, ça sera la faute de « ces feignasses de profs ». Les critiques à notre égard se sont énormément multipliées », regrette-t-il. L’amère sensation d’être mal compris par une société qui colporte des idées reçues sur leurs 18h de cours, leurs vacances… Et ce n’est pas du côté de l’institution qu’ils trouvent du soutien : les propos du ministre de l’Education nationale ou du Président les blessent, les réformes sont mal vécues sur le terrain, sans parler du salaire… « Un inspecteur des impôts est aujourd’hui recruté à bac +3 sur concours ; un enseignant est recruté, lui, à bac +5 sur concours. Ce que je vois, c’est que je gagne 1000€ de moins à échelon égal (8) ; qu’une bonne partie des catégories A ont su négocier les primes pour compenser le gel du point d’indice, alors que nous, on reste comme des idiots avec un traitement qui n’évolue pas ou peu », poursuit le professeur d’anglais. Avec le travail et la pression qui augmentent, l’épuisement et la colère s’intensifient et Benoît l’avoue « il y a de chouettes moments avec les élèves mais ça ne suffit plus ». Il hésite entre essayer de passer outre les critiques incessantes et démissionner mais ne se voit pas faire autre chose. Gérard, qui se juge trop âgé pour se réorienter, va faire ce qu’il peut en attendant la retraite. « Devrais-je la prendre à 67 ans ? Dans 16 ans !? Non, j’aurai démissionné bien avant de mourir d’épuisement devant des élèves, enfants rois, de plus en plus ingérables. J’ai vu partir des collègues à 58 ans épuisés, alors à 67… En tout cas, le 5 décembre et les jours suivants je serai en grève ! », affirme-t-il. Un moyen d’exprimer son ras-le bol face à toutes ces sources d’épuisement.