enseignante
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Comment réagissez-vous à l’annonce de la baisse de dotations budgétaires et donc à la suppression d’emplois dans le second degré pour la rentrée 2020 ?

Chaque année, il y a des académies où l’on prévoit des augmentations de postes et d’autres qui subissent des suppressions. Mais c’est vrai que là, beaucoup d’académies sont fortement touchées. Est-ce qu’il y a une corrélation entre la baisse du nombre d’élèves et ces suppressions ? Ce n’est pas évident… Le ministère explique qu’il souhaite disposer de moyens pour renforcer le premier degré qui a été délaissé pendant des années, mais il faut les récupérer dans le second degré. Ces suppressions ne sont jamais réjouissantes car au-delà des simples chiffres, on travaille avec de l’humain. Et il y a des répercussions directes sur le terrain.

Quelles sont ces incidences ?

Quand on supprime des postes suite à un départ à la retraite, personne ne perd son poste, mais quand il y a une mesure de carte scolaire, c’est plus douloureux. Les chefs d’établissements essayent de faire des compléments de service mais ce n’est pas toujours possible. En fonction de l’établissement, cette annonce ne se fait pas toujours avec tact… Et le dernier professeur arrivé doit partir ou travailler sur plusieurs établissements pour atteindre son nombre d’heures. Quand on prend des heures d’enseignement à un professeur, il a l’impression que son travail n’a pas de valeur. Les collègues se retrouvent avec davantage d’élèves par classe alors qu’ils en ont déjà parfois 35. On peut moins être à l’écoute de chacun. Et puis, cela fait davantage de copies à corriger, donc davantage de travail et de fatigue, selon l’établissement où l’on exerce. Sans compter qu’il y a des éléments qui devraient être dans la dotation horaire globale (DHG), comme le dédoublement de classes, et non pas dans la marge pour éviter une foire d’empoignes entre les professeurs. Cela permettrait d’avoir les moyens de faire travailler nos élèves dans de bonnes conditions pour faciliter leur réussite.

Des suppressions d’emplois sont converties en heures supplémentaires. Qu’en pensez-vous ?

C’est un moyen de diminuer la masse salariale. Cela coûte moins cher au ministère de l’Education nationale car les heures supplémentaires sont moins bien payées que les heures postes. Notre point d’indice étant gelé, certains professeurs acceptent des heures supplémentaires car c’est un moyen d’avoir un peu plus de revenus à la fin du mois. Mais il ne faut pas oublier qu’on a un métier fatigant et que des heures supplémentaires entraînent un surcroît de travail.

Comment se porte le recrutement des professeurs d’histoire et de géographie ?

Nous ne sommes pas une matière en tension comme les mathématiques, par exemple. Dans l’académie de Versailles où j’enseigne, la population scolaire augmente régulièrement. Il y a des postes pas forcément pourvus par manque de titulaires. Ce que gagne un professeur en début de carrière n’est pas attractif, les loyers sont élevés en région parisienne, les affectations ont lieu peu avant la rentrée… Les étudiants en mathématiques peuvent choisir un métier mieux rémunéré et il devient difficile de recruter dans cette matière.

Y a-t-il une baisse du nombre d’inscrits au concours dans vos disciplines ?

Le nombre de postes au concours ne cesse de baisser. Il y a à peu près 5000 candidats pour 500 postes (566 pour le concours externe du Capes en 2020, Ndlr). Quand je l’ai passé en 1991, il y avait 1471 postes ! En diminuant le nombre de postes au concours, on a donc moins de titulaires qui entrent dans l’Education Nationale. Et quand il y a plus de besoins que les heures fournies par les services dus, une solution consiste à embaucher des vacataires et des contractuels qui n’ont ni le concours ni la même sécurité que nous. En outre la baisse d’attractivité du métier entraîne une diminution du nombre de candidats. Or, c’est un métier qui réserve encore des satisfactions, mais il est plus difficile à exercer, et son image, injustement dégradée dans l’opinion, peut aussi expliquer la crise des vocations.

Quelles sont vos impressions sur le nouveau CAPES ?

Le texte définitif n’est pas encore sorti (voir communiqué de presse du 17 janvier 2020 du Réseau des Inspe) mais nous sommes déjà inquiets de ce que nous en avons vu. On craint, comme toutes les associations disciplinaires et les associations du supérieur, une trop forte diminution de la maîtrise scientifique des disciplines. Or c’est ce que le CAPES doit sanctionner. On n’enseigne pas correctement ce qu’on ne maîtrise pas soi-même. S’il n’y a plus qu’une seule épreuve écrite pour jauger la maîtrise disciplinaire, plus que du mécontentement ça suscite de l’inquiétude. Et cela risque de mettre en péril la préparation au concours des petites universités.

Que pensez-vous des nouvelles épreuves ?

A l’heure actuelle, il y a deux épreuves écrites où le candidat doit montrer sa maîtrise des connaissances par rapport au programme. Là, il y aurait seulement une épreuve écrite de maîtrise disciplinaire, ce qui est insuffisant. Quant aux épreuves orales, on attend d’en connaître davantage la teneur mais il semble y avoir une épreuve sans rapport avec les savoirs disciplinaires. Nous sommes également inquiets en ce qui concerne la répartition des points qui sera effectuée entre ces épreuves.

Comment vivez-vous la réforme du lycée dans ces conditions ?

Nous sommes déjà tellement enlisés dans les difficultés techniques de la réforme qu’on avance chaque jour après l’autre. Des dysfonctionnements problématiques s’accumulent. La banque de sujets E3C devait être opérationnelle en octobre et le ministère n’a pas tenu son calendrier. Nous n’y avons eu accès qu’en décembre. Les programmes ne feront jamais l’objet d’un consensus mais ils doivent être adaptés au nombre d’heures de cours avec nos élèves pour qu’ils puissent sereinement se les approprier. Nous avons 3 heures d’enseignement d’histoire-géographie en série générale. Mais 1h30 est un horaire insuffisant en série technologique. On ne peut pas avancer si les éléments ne sont pas compris et ces élèves ont un rapport à l’écrit parfois plus difficile. Si la banque de sujets avait été ouverte plus tôt, on aurait pu voir les types de sujets. Les collègues auraient été moins inquiets et les élèves moins dans une optique de bachotage et moins angoissés. On ne réussit pas pleinement une réforme quand on dégrade les conditions de travail. Et pourquoi numériser les copies ? Ce n’est pas forcément adapté au secondaire ; c’est une complication un peu superflue et un surcroît de travail pour les proviseurs-adjoints.
Entre les nouveaux programmes à préparer, les calendriers non tenus, les problèmes inhérents à chaque établissement et la réforme des retraites par-dessus, il est compréhensible que les enseignants, dont la conscience professionnelle est forte, aient l’impression d’être sacrifiés.