
Comment est né le projet de ce livre ?
J’ai rencontré des éditeurs de Belin au cours d’un colloque dans lequel j’étais conférencier. Ils m’ont proposé d’écrire un livre autour de l’IA pour les enseignants. J’ai accepté à la condition de l’écrire à plusieurs car cela représente du temps quand on est enseignant et puis c’est un sujet nouveau et sensible ; le regard critique de pairs me semblait indispensable. Je connaissais Ludovic Chevassus car nous sommes professeurs dans la même académie et je savais qu’il était membre des Clionautes, l’association des professeurs d’histoire-géographie qui promeut l’usage des technologies numériques. L’éditeur a proposé de travailler avec Élodie Thédenat-Clivier, qui a un profil complémentaire car elle est professeur dans le privé et formatrice pour les questions numériques. Nous avons donc trois profils numériques puisque j’ai moi-même une chaîne Youtube d’histoire et de géopolitique (Géo Paul, Ndlr).
La première partie de votre livre propose d’utiliser l’IA pour préparer ses cours. De quelle manière ?
Dans tous les aspects de la vie de professeur, l’IA est un outil extraordinaire qui sert à gagner du temps. L’IA peut transformer, par exemple, instantanément une liste d’élèves en PDF en fichier Excel quand il nous aurait fallu saisir tout mot par mot. Dans la préparation des cours, on peut dialoguer avec l’IA générative pour obtenir un éclairage, un regard critique sur notre plan, sur la problématisation, l’approche du sujet… En tant que professeur en prépa, j’ai besoin de beaucoup de bibliographies. Je fais actuellement un cours sur le Moyen-Orient et grâce à l’IA je peux accéder à des auteurs dans des langues non traduites. C’est assez vertigineux.
En prépa, je refais mes cours tous les ans. La plupart des collègues sont sur les anciens programmes, ils ne s’en rendent donc pas compte mais à la prochaine réforme, ces outils vont leur faire gagner beaucoup de temps.
Comment l’IA peut-elle aider à personnaliser les apprentissages ?
Si l’enseignant a préparé un exercice, l’IA peut proposer des déclinaisons en fonction du niveau des élèves pour individualiser le travail. On peut demander à l’IA si la consigne est compréhensible par un élève de 6ème et elle peut proposer des reformulations. En histoire, nous travaillons énormément sur des documents. Au collège, on peut faire travailler les élèves à partir de questions. Au lycée, on va davantage leur donner des consignes ou des tâches complexes. L’IA peut les décomposer en étapes pour les rendre plus faciles. A l’inverse, elle peut reformuler les questions du collège pour qu’elles soient plus complexes. Beaucoup d’élèves sauraient faire l’exercice mais ne comprennent pas la consigne or les IA génératives sont expertes dans la façon de transmettre l’information à un public défini.
Dans les fiches proposées dans votre livre, vous évoquez la possibilité de dialoguer avec un personnage historique grâce à l’IA. De quoi s’agit-il ?
C’est un concept introduit par ChatGPT et qui s’appelle les GPTs. L’idée c’est d’alimenter l’IA avec des données (PDF, documents scannés, texte copié-collé…) sur un personnage et de lui demander de se limiter à ce corpus. On limite ainsi l’un des problèmes des IA : leur accès à d’innombrables données, pas toutes pertinentes ou justes. L’IA est ensuite laissée en autonomie pour dialoguer avec les élèves dans un jeu de questions-réponses au sein de ce corpus de documents préétabli. Je compte beaucoup utiliser cette pratique en prépa car je travaille énormément en bibliothèque et je prends beaucoup de notes sur Word. Je transmets cette matière à l’IA et c’est très efficace. L’élève dialogue avec un personnage historique à partir des données que j’ai sélectionnées et il apprend ce que j’ai prévu qu’il apprenne.
L’IA peut-elle aider l’élève à progresser en dissertation ?
Oui, car la problématique est quelque chose de très abstrait pour les élèves. Ils peuvent demander à l’IA ce qu’est une problématique, comment problématiser tel sujet. Ils peuvent lui soumettre leur idée et lui demander ce qu’elle en pense. Ça c’est un usage vertueux. L’usage calamiteux qui est malheureusement en train de se généraliser, c’est de solliciter l’IA pour qu’elle fasse à la place de l’élève. C’est anti-pédagogique puisqu’aucune compétence n’entre alors en jeu. Et ça c’est un problème.
La dernière partie de votre livre encadre justement les usages de l’IA. Vous y abordez la question de la correction des copies…
Certaines sociétés promettent de corriger à la place du prof. C’est une solution à écarter selon moi parce que ça va rapidement nous conduire, par efficience et gain de temps, à passer moins de temps sur la correction de copies. Là on peut se sentir menacé car je me dis que je ne sers plus à rien.
Mais il existe des applications qui sont plutôt dans l’augmentation de correction, c’est le cas de Logbook par exemple. C’est une IA de note vocale. Je fais ma correction. Je parle à haute voix devant mon smartphone ou devant mon ordinateur en donnant les points forts, les points faibles, les erreurs de la copie. L’IA enregistre tout et rédige un rapport reprenant ces points, des conseils de progression, les compétences acquises, non acquises. Elle propose un document très pertinent pour les élèves. Ça va beaucoup plus vite de dicter que d’écrire. Par contre, ça demande du temps pour se familiariser avec ces outils.
Ces évolutions numériques vous font-elles peur ?
Sam Altman, le PDG d’OpenAI qui a créé ChatGPT, a dit que les deux professions les plus menacées étaient les médecins et les historiens. J’en ai bien conscience et je pense qu’il faut vraiment que l’humain garde la main sur tout. Le danger, c’est de trop déléguer à l’IA car elle a besoin d’être encadrée et la question du remplacement risque rapidement de se poser. C’est quelque chose qui me fait peur. Et l’écriture de ce livre a aussi été une volonté d’apporter des réponses à cette question. Je pense qu’on est dans un métier fondamentalement humain. On l’a vu avec le Covid.
Quand il n’y a plus eu de classe, tout s’est arrêté. Seule une minorité d’élèves très privilégiée, dont les parents pouvaient assurer le suivi pédagogique, a continué à travailler. Tous les autres étaient complètement perdus. Et moi, je ne crois pas du tout aux élèves qui travaillent en autonomie, ou même sous surveillance, devant des ordinateurs. Il y a besoin d’humains. Il y a besoin de la confiance. Il y a besoin du modèle du professeur.
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