
Dans quel cadre avez-vous testé la correction de copies par l’intelligence artificielle (IA) ?
Je suis interlocuteur académique pour le numérique pour l’académie de Lyon, professeur de français dans un collège et je gère un centre de correction du brevet. J’ai proposé cette expérimentation et j’ai eu l’accord des inspecteurs de Lettres de l’Académie de Lyon, en complément du Rectorat. C’était indispensable pour avoir le droit d’utiliser des copies officielles du brevet 2024. L’idée c’était de confronter l’intelligence artificielle et l’humain dans cet exercice. Ce travail m’a pris plusieurs mois pour être le plus rigoureux possible.
Comment avez-vous procédé ?
J’ai pris au hasard une copie de brevet de français à sept correcteurs volontaires avant qu’ils ne les corrigent. Je les ai scannées avant de les leur rendre. Puis une fois qu’ils les ont corrigées, je les ai de nouveau scannées. J’ai transformé l’écriture manuelle en écriture numérique grâce à Notebook LM. Dans 85 % des cas, quand la copie est bien écrite, ça fonctionne très bien. Mais j’ai été contraint de repasser mot à mot derrière cette IA car elle a corrigé des fautes et ajouté des passages. C’est un travers de l’IA : quand il y a des blancs ou des tournures incorrectes, elle complète avec ce qui lui semble logique. Ce travail de vérification a été extrêmement chronophage et démontre qu’à l’heure actuelle l’œil humain reste utile voire indispensable.
Vous avez ensuite utilisé la version gratuite de ChatGPT 4 pour la correction…
Oui, je lui ai donné pour consigne d’agir comme un professeur de français et je lui ai transmis le corrigé officiel national du brevet et le barème. Je lui ai donné la première copie d’élève, et là ça a été la stupeur : en dix secondes, il avait corrigé toute la partie « questions » de l’épreuve et la grammaire. C’est extrêmement rapide ! Et en plus, il explique et justifie sa note.
Est-ce que l’IA a été aussi efficace pour corriger la dictée ?
Je m’attendais à ce qu’il n’y ait aucun souci mais c’est là qu’il y en a eu le plus. ChatGPT catégorisait mal les erreurs par moments. Pour « il répétait », un élève avait oublié un accent et l’IA a considéré qu’il s’agissait d’une erreur de conjugaison. Elle lui a retiré 1 point alors qu’il s’agissait d’une erreur lexicale qui doit normalement être pénalisée seulement de – 0,25. C’est chronophage de repasser derrière l’IA alors que, pour un enseignant, corriger une dictée prend peu de temps.
Quels ont été les résultats de l’expérimentation pour la partie rédaction ?
Pour cette partie de l’épreuve, l’élève choisit soit un sujet d’imagination soit un sujet de réflexion. L’échantillon était assez représentatif puisque sur les sept copies, six concernaient le sujet imagination. J’ai été stupéfait par la rapidité et la pertinence des propos de l’IA. Nous disposons en tant que correcteurs d’une grille précise pour donner les points : présence d’introduction, de conclusion, connecteurs logiques… L’IA a attribué les points correctement.
Finalement sur l’ensemble des copies, l’IA a-t-elle noté de la même manière qu’un enseignant ?
Il n’y a que 0,5 points de différence entre les corrections faites par l’IA et celles des enseignants. C’est vraiment très peu. Mais quand on prend copie par copie, là c’est problématique car il y a parfois eu 7 points d’écart (sur les 100 de l’épreuve) sur une copie.
Quels atouts et limites de l’IA voyez-vous dans cette tâche ?
Je retiens sa rapidité et sa justification dans l’attribution des points, c’est assez formidable. En revanche, sa première limite c’est la conversion de l’écriture manuscrite à l’écriture numérique puis la question du respect de la protection des données. On confie à l’IA une création d’élève. S’il s’agit d’un récit un peu autobiographique, ça peut poser problème. Ces données peuvent alimenter la construction de l’IA et son modèle de langage. A l’heure actuelle, les enseignants n’ont pas le droit de soumettre des travaux d’élèves à une IA.
Peut-on imaginer, dans un avenir plus ou moins proche, la correction des copies de brevet ou de bac par ce biais ?
Moi j’y crois. Je ne suis pas devin mais je constate les progrès de l’IA en seulement quelques mois. D’ici trois ans, c’est possible car il y a déjà 90 % de similitudes avec la correction humaine. Il faudra trancher sur les problèmes éthiques et moraux mais ce recours à l’IA pour corriger les copies du bac serait une économie substantielle pour le ministère.
Quel impact cela peut-il avoir sur le rôle de l’enseignant ?
Ça me paraît être un atout si l’enseignant conserve la main sur la note finale. Je perçois l’IA comme un partenaire pour effectuer les tâches ingrates et laisser la partie plus intellectuelle et appréciative à l’enseignant. Ça pourrait être utilisé tout au long de l’année pour les évaluations. L’enseignant pourrait proposer des outils de remédiation en s’appuyant sur les données de l’IA, en voyant les progrès de l’élève d’une fois à l’autre, etc.
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