L’association des professeurs de mathématiques n’est pas convaicue par les mesures de Pap Ndiaye pour relancer les maths au lycée. Image : Getty

Que pensez-vous du retour des mathématiques (1h30 par semaine) dans le tronc commun pour tous les élèves de 1ère générale qui ne l’ont pas choisi en spécialité ?

Il y a un effort de fait puisque le ministère reconnaît l’importance des mathématiques et qu’il est nécessaire pour les élèves de les étudier le plus longtemps possible. Même si c’était inscrit dans l’enseignement scientifique dans le tronc commun, seulement 6 % de ces heures étaient assurées par des professeurs de mathématiques.

Mais cette réintroduction pose quelques difficultés. Nous voudrions que les mathématiques soient dans le tronc commun pour tous les élèves. Cela leur permettrait de développer des capacités de raisonnement et d’abstraction en s’appuyant des concepts qui ne sont pas vus dans la spécialité. Or cet enseignement est destiné à la fois aux élèves qui se destinent à des études supérieures qui ne nécessitent pas de mathématiques et à ceux qui souhaiteraient continuer les mathématiques en terminale avec l’option mathématiques complémentaires et poursuivre des études supérieures qui nécessiteraient des maths (par exemple gestion, économie, prépa ECG, professeur des écoles…). C’est complètement illusoire ! Il n’est pas possible d’envisager qu’en 1h30 les élèves acquièrent suffisamment de compétences pour suivre en option maths complémentaires puis réalisent des études nécessitant des maths.

L’option mathématiques complémentaires est habituellement accessible en Terminale pour les élèves ayant suivi la spécialité maths en 1ère…

Oui, c’est l’option qui peut être choisie si on a fait la spécialité maths, c’est-à-dire 4h de maths par semaine en 1ère, avec un programme exigeant. A la rentrée 2023, elle deviendra accessible aussi aux élèves qui auront fait 1h30 de maths dans le tronc commun avec un programme allégé. Comment va-t-on pouvoir mettre dans la même classe ces élèves qui n’auront pas les mêmes acquis ? Ça va être difficile pour les enseignants de gérer ces groupes très hétérogènes. Pour certains élèves, ce sera trop facile et pour d’autres trop difficile car ils n’auront pas les acquis nécessaires.

Sur quoi s’appuie le programme de cet enseignement commun ?

Le programme a été conçu à partir de celui de la filière technologique, sauf que les élèves de ces filières ont 3h de maths par semaine et pas 1h30. Le contenu horaire va être difficile à tenir pour les collègues et les élèves qui n’avaient pas forcément envie de faire des mathématiques risquent d’être dégoûtés d’avancer en marche forcée. Et ceux qui auraient eu besoin de plus de maths sans forcément prendre la spécialité n’auront pas un contenu suffisant et l’auront reçu à la va-vite.

Les lycéens qui auront besoin des maths pour leurs études supérieures ne vont-ils pas plutôt se diriger vers la spécialité ?

On l’espère. Cet enseignement obligatoire dans le tronc commun ne sera imposé qu’aux élèves ne faisant pas la spécialité. Peut-être que certains se diront quitte à faire des maths autant prendre la spécialité. Mais cet enseignement fait peur notamment aux filles et aux enfants de classe populaire. Comme les filles ont un niveau généralement plus homogène dans plusieurs disciplines, finalement elles auront plus de choix possible. Ça peut être contre-productif, car elles peuvent se dire que cet enseignement dans le tronc commun sera suffisant pour poursuivre vers des études supérieures nécessitant des maths et choisir une autre spécialité.

Avec la réforme du lycée, les élèves sont partagés entre faire ce qui leur plaît et ce qui leur sera utile pour leurs études supérieures. La difficulté c’est qu’en seconde, les élèves n’ont pas toujours d’idée de ce qu’ils voudront faire. Cet enseignement dans le tronc commun peut encore davantage brouiller les cartes.

L’autre problème que vous soulevez c’est la budgétisation dans la dotation horaire globale des établissements.

Oui. Dans la plupart des académies, les établissements ont été dotés d’heures spécifiques en plus pour pouvoir assurer ces heures de tronc commun. Mais dans l’académie de Normandie, des collègues nous ont rapporté que des établissements vont ouvrir des groupes sans savoir s’ils auront les heures qui correspondent. Ils seront obligés de sacrifier d’autres choses pour ouvrir ces groupes de mathématiques.

Le « module de réconciliation avec les maths » prévu en 2nde pour chaque lycée (LGT et LP) pose aussi question. Pourquoi ?

Pour nous, c’est la même chose que la consolidation en 6ème. Il vaut mieux aider les élèves quand ils sont en train d’apprendre plutôt qu’après coup. On ne peut pas les aider au collège car les horaires d’enseignement ont baissé et qu’on a de moins en moins de demi-classe. Ces quelques heures en 2nde vont être stigmatisantes pour les élèves et vont s’ajouter à un emploi du temps déjà chargé. Les élèves au lieu de se « réconcilier » risquent d’être encore plus contrariés par ces conditions. Là encore, ces heures n’ont pas toujours été budgétisées dans les établissements et peuvent se faire au détriment d’autres dispositifs. Le ministère veut montrer qu’il s’occupe de ces élèves mais n’alloue aucun moyen horaire. La part d’élèves qui peut en bénéficier est très faible.

Le terme de « réconciliation » vous a étonnée ?

Oui même si le module a changé de nom depuis. Pourquoi serait-on fâché avec les mathématiques plutôt qu’avec une autre matière ? Pour les autres disciplines, on va appeler ça de l’aide personnalisée ou autre mais là il faut se réconcilier avec les maths. Ça nous fait passer un peu pour des monstres. On était un peu contrariés par ce terme.

Quelle serait pour vous la solution pour réellement remonter le niveau des élèves en maths ?

Si le but c’est d’aider les élèves, pourquoi ne pas remettre en place un dispositif comme « plus de maîtres que de classes » . Pour que l’élève arrive mieux préparé en 6ème, il faut travailler en amont. Le début du cycle 3 aborde plein de notions nouvelles et très complexes comme les fractions, les nombres décimaux… Pourquoi ne pas faire travailler ces élèves avec quelqu’un d’autre dans la classe qui puisse soutenir le professeur des écoles ? On a la même chose entre la 3ème et la 2nde, avec les fonctions, les équations, le calcul littéral qui sont des notions complexes. Pourquoi ne pas aider les élèves au moment de l’introduction de ces notions ? En didactique des maths, on apprend que la première fois où un élève se retrouve face à ces notions, il s’en fait une idée. Mieux ça se passe à ce moment-là, moins il sera en difficulté pour la suite. Ça nécessite d’avoir du temps à consacrer à chaque élève dès le départ plutôt que de mettre un pansement sur une jambe de bois.

Cela leur permettrait aussi d’aimer davantage les mathématiques ?

L’idée que les élèves n’aiment pas les maths est plus un reflet de ce que pense la société, un préjugé, que ce qu’ils ressentent vraiment. Les élèves manquent parfois de confiance en leurs compétences mathématiques mais ce n’est pas la même chose. Par ailleurs, la résolution de problèmes permet de suivre sa propre démarche et peut contribuer à l’estime de soi, même si ce n’est pas la même méthode que celle de l’enseignant. Il n’y a pas une méthode pour résoudre les problèmes mathématiques. Les automatismes et la résolution de problèmes devrait être faites de manière plus sereine avec des effectifs réduits dans les classes afin de prêter attention aux difficultés des élèves. En ayant perdu une demi heure d’enseignement en 6ème, en 5ème, en 4ème et en 3ème avec les précédentes réformes, les élèves ne peuvent pas apprendre autant qu’avant.