
Vous écrivez qu’il est difficile d’évaluer l’ampleur du refus scolaire anxieux (RSA). Existe-t-il aujourd’hui des chiffres fiables ?
Non, pas vraiment. L’Éducation nationale ne distingue pas les absences liées à l’anxiété de celles causées par une maladie ou même par un départ en vacances. Il n’existe pas de ligne spécifique « refus scolaire anxieux » dans les statistiques, sauf pour les lycéens. Une étude évoquait environ 4,8 % d’élèves concernés dans le secondaire. Mais les chiffres les plus souvent cités oscillent entre 1 et 5 %. Les médecins, eux, parlent plutôt de 8 % sur la base des diagnostics posés. Tout cela montre qu’il est très compliqué d’obtenir des données précises.
Comment définiriez-vous ce refus scolaire anxieux ?
D’abord en expliquant ce qu’il n’est pas. Ce n’est ni une crise d’opposition, ni un caprice, ni une comédie, ni une crise d’adolescence. Ce n’est pas non plus l’école buissonnière où l’enfant n’est pas angoissé, peut mentir sur ses activités et dont les parents ignorent l’absence. Le refus scolaire anxieux désigne une difficulté intense, liée à l’anxiété, qui empêche l’enfant d’aller à l’école. Ce n’est pas que l’enfant ne Veut pas, c’est qu’il ne Peut pas. Une seule lettre change et cela change tout.
On parle aussi de « phobie scolaire ». Quelle est la différence ?
Le terme de phobie scolaire a été longtemps utilisé, mais il est aujourd’hui critiqué car il suggère une peur irrationnelle uniquement de l’école, du bâtiment ou de la salle de classe. Le concept de RSA est plus large. Il prend en compte la complexité psychologique et émotionnelle du problème. Les causes sont multiples : un harcèlement, une mauvaise note, une pression excessive, un trouble anxieux sous-jacent, un deuil, une maladie dans la famille, un divorce, un déménagement, un trouble du spectre autistique ou un TDAH (trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité), mais aussi des troubles des apprentissages ou encore un haut potentiel qui s’ennuie à l’école.
À quels âges cette difficulté apparaît-elle le plus souvent ?
On observe des périodes critiques, notamment à l’entrée au CP, au collège et au lycée, donc à chaque grande transition scolaire. Mais il existe aussi des moments sensibles dans l’année comme les rentrées, et surtout les retours après les vacances de Toussaint et de Noël.
Quels sont les symptômes ?
Chez l’enfant, les manifestations sont surtout physiques : maux de ventre, de tête, nausées, fièvre, crises d’angoisse au moment de partir, pleurs, vomissements… Parfois, l’enfant hurle dans son lit ou refuse de sortir de la voiture devant l’école. Chez l’adolescent, l’anxiété est plus intériorisée. L’ado peut avoir peur d’être jugé, éprouver un sentiment de nullité, avoir des insomnies, être triste, se désintéresser de l’école. Il adopte parfois des conduites à risque comme la consommation d’alcool, des scarifications, des tentatives de suicide. Dans tous les cas, ces symptômes peuvent apparaître brutalement, parfois la veille du retour en classe.
Quelles conséquences ce trouble peut-il avoir ?
Pour l’enfant, il y a un risque d’échec scolaire, d’isolement social, de perte de confiance. Les absences commencent par être ponctuelles – on parle « d’absences perlées » – puis deviennent plus fréquentes et rapprochées. Or plus l’école est évitée, plus l’anxiété s’amplifie. Chez l’adolescent, le risque est aussi la désocialisation complète. Il peut rester seul à la maison, en pyjama, coupé du rythme scolaire et du monde extérieur.
Pour la famille, l’anxiété scolaire peut engendrer des tensions au sein du couple, de l’incompréhension entre les parents, de l’inquiétude chez les frères et sœurs. Souvent, un des parents doit s’arrêter de travailler, ce qui entraîne une perte de revenus, et parfois des difficultés financière durables. Cela peut aussi générer des dépressions ou conduire à des séparations.
Quels sont les premiers signes que l’enseignant peut remarquer en classe ?
Sur le plan physique, l’élève présente souvent des maux de ventre accompagnés de maux de tête, de fièvre, nausées ou vomissements. Il peut pleurer, faire des crises d’angoisse ou des épisodes d’hyperventilation. L’élève commence par être fréquemment en retard, fait des passages à l’infirmerie ou au secrétariat, est de plus en plus souvent absent. L’élève peut également développer un évitement sélectif, s’absentant lors de certaines matières (peur de mauvaises notes, d’une évaluation, d’une remarque d’un professeur) ou lieux (cantine, toilettes, gymnase) qui génèrent une anxiété particulière.
Que peut faire l’enseignant ?
Il doit observer et documenter précisément ces signes constatés durant la première semaine. Il s’agit de noter la fréquence des absences, le contexte dans lequel elles surviennent et les manifestations observées, tout en recueillant des informations auprès des autres enseignants pour avoir une vision globale. Il convient d’alerter l’équipe éducative ou la direction dès la deuxième semaine sans justificatif médical. Le Conseiller Principal d’Éducation ou le directeur d’école doivent être immédiatement prévenus, ainsi que l’infirmière scolaire pour une évaluation des symptômes physiques. Si l’établissement dispose d’un psychologue scolaire, son intervention est précieuse, de même que celle du médecin scolaire pour orienter vers une prise en charge médicale appropriée.
Le contact avec la famille nécessite une approche particulièrement bienveillante. Il s’agit d’expliquer les observations sans porter de jugement, de présenter le RSA comme un trouble médical nécessitant une prise en charge spécialisée, et d’insister sur l’urgence de la situation en expliquant que plus c’est pris tôt, plus l’intervention sera efficace. On s’occupe de la souffrance de l’enfant avant les apprentissages de l’élève.
En parallèle, que peut faire la famille ?
La première étape est médicale. Le médecin traitant pourra éliminer les causes organiques et orienter vers un pédopsychiatre ou un psychologue spécialisé dans les troubles anxieux. Une Thérapie Cognitivo Comportementaliste peut être proposée. Celle-ci associe travail sur la respiration, exercices de gestion des émotions, déconstruction des croyances négatives et exposition progressive à l’école. L’enfant réapprend pas à pas à se confronter à sa peur. En parallèle, les parents doivent maintenir un cadre : lever l’enfant le matin, garder des horaires réguliers, limiter les écrans, maintenir des activités extrascolaires, préserver le sommeil. Cela évite de basculer dans une vie déréglée qui complique le retour à l’école.
Qu’est-ce que l’école peut instaurer ?
Elle peut participer à la mise en place d’un PAI (projet d’accueil individualisé) en lien avec les médecins et les parents. Cela permet d’adapter les horaires, de créer un « lieu refuge » avec accès à l’infirmerie ou au bureau du CPE, au secrétariat pour offrir à l’élève un espace sécurisant. L’adaptation des évaluations évite d’ajouter un stress supplémentaire, tout comme la suspension temporaire des notes. L’envoi des cours et un contact régulier préserve l’inclusion scolaire.
En revanche, forcer le retour à l’école peut aggraver considérablement l’anxiété et renforcer l’évitement.
Si le retour en classe est impossible, quelles alternatives existent ?
Le CNED (Centre national d’enseignement à distance, Ndlr) peut être une solution, mais elle est à double tranchant. Le CNED partagé combine à la fois les cours à la maison et le maintien du lien avec l’établissement. Mais un CNED complet exige beaucoup d’autonomie et risque d’isoler davantage l’enfant. Il existe aussi l’APADHE (accompagnement pédagogique à domicile à l’hôpital ou à l’école), qui permet à des enseignants de se déplacer au domicile de l’élève, mais cela reste rare et dépend des services académiques.
Un dernier message à adresser aux parents et enseignants ?
Oui : agir vite. Plus le RSA est pris en charge tôt, meilleures sont les chances de récupération complète. Les trois premiers mois représentent une fenêtre d’intervention cruciale : passé ce délai, la situation peut se cristalliser et devenir beaucoup plus difficile à traiter. L’équipe éducative peut bénéficier d’une formation sur les troubles anxieux chez l’enfant et d’une supervision avec le RASED. L’établissement gagnerait à développer des protocoles spécifiques pour la gestion du RSA. N’hésitez jamais à alerter, même en cas de doute, car il vaut toujours mieux prévenir que guérir. La clé, c’est la coopération immédiate entre parents, enseignants et médecins autour de l’enfant. C’est la seule manière d’éviter que l’anxiété ne s’installe durablement.
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