« Amener l’école à ceux qui en sont empêchés est une noble mission » explique Anne Szymczak. Image : Getty

Comment avez-vous accueilli la proposition de nomination à la tête du Cned ?

Cette proposition a été une surprise pour moi car ma candidature à la direction de l’IGÉSR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, Ndlr) était restée sans suite. Mais j’ai accueilli celle-ci avec plaisir car ce poste comprend des missions qui ont un sens profond pour moi et qui correspondent à ma vision et à mon engagement pour l’École au sens large : amener l’école à ceux qui en sont empêchés est en effet une noble mission. Le Cned est aussi un établissement de complémentarité dans l’offre scolaire, voire dans l’offre d’enseignement supérieur avec les campus connectés, pour réussir la couverture territoriale la plus large possible. Un autre enjeu qui m’intéresse est de contribuer à une offre de services publics autour de la reconversion, de la formation continue dans un contexte de non-linéarité des parcours professionnels. Tout comme le fait de participer à l’attractivité de la fonction publique à travers cette offre de préparation aux concours d’enseignants notamment. L’activité commerciale du Cned est pour moi un autre défi motivant car il y a une forme de dualité dans cet établissement public. Enfin, c’est un opérateur solide financièrement.

Vous avez un parcours riche. Pouvez-vous en rappeler les grandes lignes ?

J’ai été professeure de chimie en classe préparatoire en grandes écoles en deuxième année dès le début de ma carrière, après avoir passé l’agrégation. En 2013, j’ai été nommée inspectrice générale dans le groupe physique-chimie. J’ai souhaité prendre en charge, entre autres dossiers, celui de l’enseignement des sciences et technologies à l’école et au collège. J’ai tout de suite travaillé avec mes collègues du premier degré. J’ai été désignée en 2015 correspondante académique sur l’académie de Nantes, puis de Créteil. J’ai été sollicitée en 2018 par Caroline Pascal quand elle a pris la direction de ce qui était à ce moment-là l’IGEN, l’inspection générale de l’éducation nationale. Je suis devenue l’une de ses assesseurs, en charge de la solidarité obligatoire et de l’éducation prioritaire.  L’aventure s’est poursuivie auprès d’elle quand elle est devenue chef de l’IGÉSR, au moment de la fusion de quatre inspections générales. À ce moment-là, j’ai pris aussi la responsabilité de la mission permanente enseignement primaire au sein de l’inspection générale. Et enfin, j’en suis devenue la cheffe par intérim à partir du 1er août 2024, quand Caroline Pascal a été nommée DGESCO (Directrice générale de l’enseignement scolaire, Ndlr). Ça a été effectivement une expérience multiple et diversifiée.

Vous êtes aussi une femme engagée pour l’égalité des chances…

Oui, j’ai été présidente d’une école de la deuxième chance au moment de sa création en 2010. Et actuellement, j’en suis vice-présidente parce que géographiquement, j’en suis un peu éloignée. Et j’ai été engagée aussi dans les instances du réseau E2C France (École de la 2ème chance, Ndlr) pendant plus de six ans. C’est particulièrement important pour moi parce que ça répond à mon attachement à faire réussir tous les publics et à ma conviction de l’éducabilité de chacun.

En quoi ces expériences passées vous sont utiles au Cned ?

J’ai été professeure, donc je connais ce que sont les élèves. Je les ai aussi ensuite fréquentés de par les observations de terrain faites à l’inspection générale. Je connais l’ensemble des métiers du ministère de l’éducation nationale. Je connais également l’ensemble des fonctionnements à la fois des établissements de l’école au lycée, des établissements d’enseignement supérieur, en France et à l’étranger, et des services de l’administration centrale de nos ministères de tutelle, ainsi que des services déconcentrés. Et puis mon expérience à l’IGÉSR me conduit aussi à connaître un peu le milieu sportif, ce qui est important dans le cadre de la scolarisation au Cned des élèves qui ont un projet sportif. J’ai une vision de l’ensemble des réformes plus ou moins récentes ou en cours, et donc une bonne compréhension des enjeux. Et effectivement, de par mon implication à l’école de la deuxième chance, je pense avoir une connaissance de publics de différents types. Peut-être certains parleront d’un grand écart entre le public de l’école de la deuxième chance et les étudiants de classe préparatoire… Mon implication dans l’école de la deuxième chance m’a aussi conduite à nourrir beaucoup de réflexions et d’actions autour de la relation école-entreprise et de la compréhension des enjeux du monde économique. J’estime qu’il ne doit pas être séparé du monde scolaire et que ces deux espaces doivent contribuer à l’avenir de notre pays.

Vous êtes agrégée de chimie, ex vice-présidente de « Sciences à l’école », membre du conseil d’administration de la Fondation de la maison de la chimie… Comptez-vous œuvrer au développement des sciences auprès des jeunes et notamment des filles via le Cned ?

Je reste évidemment extrêmement sensible à la question de l’enseignement des sciences dès le plus jeune âge tout en étant attentive à l’équilibre de l’ensemble des disciplines. Le Cned travaille déjà sur la question de l’orientation et de l’accompagnement des élèves. Nous avons de nombreuses filles inscrites en terminale générale au Cned. Sur les quelques 6000 élèves de terminale générale inscrits au Cned et résidents sur le territoire français, nous avons 69 % de filles. Et parmi ces élèves de terminale, nous avons 48,6 % de filles qui suivent un enseignement de spécialité parmi mathématiques, physique-chimie, SVT, NSI, sciences de l’ingénieur. Au national, ce taux est à 36,3. Donc nous avons déjà une bonne représentation des filles en terminale générale dans ces spécialités. 

Vous venez de signer une convention de partenariat avec l’Académie de police. De quoi s’agit-il ?

Nous avons lancé trois nouvelles préparations à des concours de recrutement pour la police nationale sur les fonctions de gardien de la paix ; pour la gendarmerie, recrutement de sous-officiers de gendarmerie ; et pour la police municipale, recrutement de gardiens-brigadiers de police municipale. Il s’agit de contribuer à la promotion des métiers de la sécurité dans le service public.  Le partenariat avec la police nationale prévoit une promotion mutuelle. La police nationale promeut notre offre de préparation aux concours et nous promouvons ces métiers de la sécurité. Nous prévoyons également des échanges de pratiques et de savoir-faire puisque le Cned a un Lab’Innovation et l’Académie de police a une Lab’Académie. Cela nous permet d’engager une dynamique commune pour réfléchir à la qualité du dispositif de formation réciproque et d’anticiper les évolutions des métiers de la sécurité.

La démocratisation de l’IA est l’un des défis majeurs à relever pour l’éducation. De quelle manière le Cned s’en empare-t-il ?

Au Cned, nous avons énormément de métiers et tous ont vocation à tirer profit du développement des usages de l’intelligence artificielle. Sur le plan administratif par exemple, elle nous permet d’optimiser nos ressources, d’enrichir, de transformer certains métiers et peut-être aussi de faciliter nos parcours usagers et clients avec du chatbot en continu, avec de la lecture automatique de pièces justificatives, etc. Concernant l’utilisation en pédagogie, nous sommes déjà un peu avancés. D’abord, nous avons une première couche de services qui inclut l’intelligence artificielle dans un dispositif qui s’appelle MemoMax. Il s’agit d’un dispositif d’aide à la révision des notions clés en mesurant la courbe d’oubli de façon individualisée et en adaptant le programme de révision pour chaque élève. Ce dispositif à la disposition des collégiens et des lycéens est particulièrement plébiscité. Nous testons aussi d’autres usages ou utilisations internes sur le plan pédagogique grâce à notre Lab’Innovation et une communauté de bêta-testeurs que le Lab’Innovation anime, apprenants ou usagers parents. Nous utilisons aussi les intelligences artificielles génératives pour produire des films, des objets audiovisuels en plus grande quantité, en générant nos propres avatars, animations, sons, plus rapidement et avec une très grande qualité.

Mais sans jamais oublier le bénéfice que ça doit apporter aux apprenants. On n’utilise pas l’IA pour le plaisir mais pour améliorer notre performance et celle des apprenants. 

Quels sont les autres projets actuels et à venir pour le Cned ?

Nous avons plusieurs gros dossiers interdépendants. Notre schéma pluriannuel de stratégie immobilière 2025-2030 est en phase terminale de validation par les autorités de tutelle. Le Cned est implanté à Poitiers sur trois bâtiments et dans six unités opérationnelles qui se trouvent dans sept autres départements. Nous avons donc beaucoup d’implantations qui nécessitent de réfléchir à leur fonctionnement, à leur usage ainsi qu’à leur taux d’occupation.

Nous finalisons en interne la construction de notre plan de transition écologique que nous déploierons à partir de l’automne. La question de la transition écologique dans le fonctionnement et dans le bâti est très présente mais elle se pose aussi au regard de l’utilisation de l’IA et de l’utilisation du numérique de manière générale, de l’éco-conception de l’ensemble de nos objets de formation.  Nous sommes en cours d’élaboration d’un nouveau schéma directeur du système d’information. Et enfin, nous entrons aussi dans l’élaboration d’une stratégie établissement concernant l’intelligence artificielle.  Beaucoup de nos agents l’utilisent déjà de manière expérimentale ou individuelle. Nous voulons définir une stratégie d’utilisation de l’ensemble des intelligences artificielles de manière à ce qu’il n’y ait pas d’excès, y compris pour nos apprenants. Bien sûr, le ministère a produit un cadre pour l’utilisation de l’intelligence artificielle mais nous devons nous interroger sur ces utilisations qui posent beaucoup de questions éthiques, de frugalité et d’évolution des métiers. 

Les diverses réformes vous occupent aussi…


Oui, nous sommes pleinement mobilisés autour du surplus d’activités que représente la mise en œuvre des réformes en cours, le choc des savoirs, avec de nouveaux programmes en français, mathématiques, langue vivante notamment. Il y a aussi la réforme de la formation initiale des enseignants. Nous avons un enjeu de déploiement de nouvelles formations, tout autant que de rationalisation de notre offre dans le contexte budgétaire contraint du moment. Enfin, les inscrits demandent de plus en plus de suivi, d’accompagnement, de présence humaine incarnée. Nous voulons réussir cette individualisation, améliorer la qualité de service et en même temps augmenter le volume d’activités pour assurer la pérennité de l’établissement.