Affiche ElleStime pour la journée du 26 janvier 2024. Le collectif a mobilisé 13 628 élèves de 5e pour les sensibiliser aux métiers qui existent autour des mathématiques, de l’informatique, de la tech… autour de 200 femmes « mentor ».

Juliette Delas est conférencière et directrice commerciale de la communauté 50inTech ; elle travaille sur la place des femmes dans les entreprises de la tech, et les sujets de parité, d’égalité salariale et encore de parentalité dans les carrières scientifiques.

Stéphane Gaussent est enseignant-chercheur en mathématiques à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne. Il travaille à promouvoir la culture scientifique auprès des élèves filles et des publics éloignés – géographiquement ou économiquement – des centres scientifiques. Il a été délégué général et président du conseil scientifique de la Fondation Blaise Pascal.

Ils sont deux des co-fondateurs du collectif d’associations ElleStime, qui regroupe la Fondation Blaise Pascal, Femmes et Mathématiques, Elles bougent ou encore L-Impact – et qui s’est donné pour mission de sensibiliser à l’importance des métiers de la science et des mathématiques, en particulier auprès des jeunes filles. Cette année, le collectif a réuni pas moins de 13 628 élèves de cinquième de la région Franche-Comté autour d’une première journée de sensibilisation.

Ils nous parlent de la suite de l’aventure ElleStime.

Comment est née l’idée de ce collectif ?

ElleStime existe à proprement parler depuis un an. Le projet a commencé autour d’une polémique : Aurélie Le Cain, experte en science des données et conférencière, faisait début 2023 une intervention dans un lycée parisien, et avait dû ce jour-là amener avec elle son petit garçon. La vidéo de ce moment fait le tour des réseaux sociaux, dont LinkedIn, et elle a été la cible d’une vague de réactions violentes.

Nous avons alors été plusieurs à lui témoigner notre soutien, et c’est comme ça que plusieurs personnes issues d’associations différentes se sont rencontrées un peu plus tard pour fonder ElleStime. Nous nous sommes rendus compte que pour changer la donne, il fallait intervenir au plus tôt et ainsi limiter les biais dans la tête des jeunes filles et des jeunes garçons. L’idée qui a émergé a été de créer une demi -ournée de sensibilisation destinée aux collégiennes et collégiens, pour transmettre une vision égalitaire du monde professionnel scientifique.

Pourquoi est-il important de sensibiliser à ce sujet au collège ?

La science et la tech sont notre avenir ; les fonds levés, les innovations dans ces domaines sont censés être pensés pour 100 % de la population, et répondre aux besoins des femmes autant que des hommes. Or la tech est actuellement pensée et réalisée par une majorité d’hommes. Il faut rappeler que 50 % des femmes quittent le secteur au bout de 8 ans, à cause du plafond de verre – d’autant plus si elles sont mamans – et du sexisme ambiant qu’elles y rencontrent. Dans les années 1960, il y avait beaucoup de femmes dans les études scientifiques, puis les objets technologiques comme l’ordinateur ont été commercialisés et publicisés comme des outils masculins, et les salaires dans l’informatique ont augmenté. A partir de là, il y a eu davantage d’hommes et moins de femmes dans ces métiers.

En outre, un certain nombre de choses ont été démontrées sociologiquement : par exemple, les organisations qui offrent une bonne mixité fonctionnent mieux et innovent plus (les équipes tech paritaires surperforment environ de 15 %).

De ce fait, il est impératif de travailler sur des actions pour favoriser l’égalité des chances et atteindre l’égalité salariale, briser le plafond de verre, améliorer l’attraction et la rétention des femmes dans les entreprises de la tech.

Or les stéréotypes de genre sont présents à tous les niveaux de la société, et commencent à s’installer dès l’âge de 7 ans. Ils existent chez les parents, chez les professeurs, et influencent l’orientation des enfants. Dès le début de l’école primaire, en CP-CE1, les filles commencent à se censurer alors qu’elles sont les meilleures en classe au début du CP. Au collège, les filles sont également les meilleures élèves en mathématiques mais ne se considèrent pas aussi capables que leurs camarades masculins. De moins en moins de filles choisissent la spécialité mathématiques en Terminale. A l’université, on voit beaucoup de filles en licence mathématiques, mais elles se dirigent ensuite en majorité vers le Master enseignement, et rarement vers les masters de recherche en mathématiques, en cryptologie, en Intelligence Artificielle…

C’est pourquoi nous avons décidé de nous adresser aux élèves de cinquième : c’est un âge où il est encore possible de déconstruire ces idées et d’agir sur l’orientation des élèves.

Vous avez organisé votre action autour d’un grand évènement : une matinée de sensibilisation en visio. Quels en sont les enjeux ?

Nous avons travaillé pendant un an sur cette matinée. L’objectif était de faire participer le plus d’élèves possible, nous avons donc choisi de faire l’opération en visio. Nous avons pu l’organiser avec l’aide de la rectrice de Franche-Comté, qui nous a contactés. Collège par collège, sur la base du volontariat, nous avons pu rassembler plus de 13 000 élèves de l’académie de Besançon pour discuter des métiers qui existent autour des mathématiques, de l’informatique, de la tech, de la physique, de la biologie…

Le but était de décloisonner ces secteurs, d’ouvrir le champ des possibles pour l’avenir des élèves et de faire rêver les jeunes filles. Pour ce faire, nous avons réuni toutes les parties prenantes du sujet, dont plus de 200 femmes “mentors” exerçant dans ces domaines. C’est important de montrer que des femmes ordinaires peuvent accéder à ces métiers : les jeunes filles manquent de modèles féminins auxquels elles peuvent s’identifier. Ça a d’ailleurs été très fort pour ces femmes de pouvoir inspirer de nombreuses jeunes élèves.

Les enseignants qui ont fait participer leurs élèves avaient également un rôle clé au cours de la matinée, et nous ont fait des retours très positifs.

Cette matinée a eu lieu le 26 janvier dernier. Racontez-nous comment elle s’est déroulée.

L’opération s’est déroulée en trois temps :

  • Une table-ronde pour présenter les différentes typologies de métiers. Nous avions plusieurs intervenantes dont Aurélie Le Cain, mais aussi des femmes travaillant dans la propulsion des fusées, le développement d’une application sur la ménopause, l’instauration du wifi dans les avions… Il s’agissait de montrer la diversité des métiers de la tech et de ses applications quotidiennes. Garçons comme filles ont assisté à cette table-ronde en ligne.
  • Un deuxième temps que les filles ont passé avec les mentors, qui se connectaient en visio pour raconter leur travail. Pendant ce temps, les garçons étaient avec des professeurs que l’on avait formés au préalable et à qui l’on avait fourni des supports pédagogiques. Ils étaient chargés d’animer un temps de sensibilisation à l’égalité femmes-hommes dans le monde professionnel.
  • Un dernier temps où les élèves travaillaient conjointement à créer une affiche sur le thème : “Qu’est-ce qu’être un.e scientifique au XXIe siècle.” Ils ont pu mettre en commun les connaissances qu’ils et elles avaient acquis pendant la matinée.

Est-ce qu’il y aura une deuxième édition, encore plus ambitieuse ?

Le but est bien sûr d’étendre l’événement à un maximum d’élèves. Pour la Franche-Comté, c’était organisé sur la base du volontariat, mais on pourrait imaginer, dans quelques années, en faire une journée officielle, avec toujours plus de régions et/ou d’établissements participants.

Pour le moment, nous travaillons à l’étendre à deux nouvelles régions : l’Occitanie et la Bretagne, avec qui nous sommes en contact. Les modalités sont encore à définir, il faut voir s’il est possible de synchroniser les collèges des trois régions sur la même date.

La clé pour concrétiser ce projet, c’est de travailler en commun avec les professeurs, inspecteurs, recteurs… Nous avons besoin du soutien de la communauté éducative. Si des enseignants veulent sensibiliser leurs élèves à ce sujet, ils peuvent par exemple en parler à leur chef d’établissement. L’idée à terme est que les classes puissent s’inscrire librement.