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Début février, l’APMEP, avec d’autres associations de mathématiques et sociétés savantes dénonçait, via un communiqué de presse, la situation de l’enseignement des mathématiques au lycée. Pourquoi ?

Il y a deux points qui nous soucient particulièrement. Le premier, c’est l’augmentation très importante du nombre d’élèves en lycée général qui ne font plus de mathématiques en 1ère et terminale. Actuellement, dans le tronc commun il y a seulement l’enseignement scientifique. La proportion de professeurs de mathématiques qui y participe est de 6 %. Avec 94% de professeurs de SVT et de physique-chimie assurant les cours d’enseignement scientifique, les cours et évaluations portent logiquement majoritairement sur ces disciplines et très peu sur les mathématiques

Le deuxième point qui nous pose problème, ce sont les effets stéréotypés de genre et en particulier le fort abandon des filles dans les filières scientifiques.

En terminale en 2021, la moitié des filles ont abandonné la spécialité maths. Avant la réforme, il y avait 42 % de filles en spécialité math (8h/semaine) contre 31 % de filles désormais en option maths expertes (9h/ semaine)…

En 1ère, on est encore à peu près à l’équilibre mais en terminale, en maths expertes -qui sont destinées aux classes préparatoires scientifiques, aux grandes écoles d’ingénieur etc – on a un tiers de filles et deux tiers de garçons. Et en maths complémentaires, la voie plutôt destinée aux études en économie ou en médecine, on a deux tiers de filles et un tiers de garçons.

Sur BFM TV, Jean-Michel Blanquer a dit que 51 000 lycéens s’étaient spécialisés en maths contre 49 000 avant la réforme. Il parle d’une hausse des filles et des garçons faisant des études scientifiques après un parcours scientifique au lycée. C’est positif, non ?

Les chiffres relatifs aux filles ne sont pas significatifs sur les classes préparatoires : ça correspond à 80 filles supplémentaires sur une proportion de 23 000 élèves à peu près. Il parle beaucoup des classes prépa scientifiques mais on voit un abaissement du nombre de lycéens allant en classes préparatoires économiques par exemple. La réforme a aussi un impact sur celles-ci.

Et qu’en est-il pour les études universitaires ?

C’est compliqué d’extraire les données chiffrées de Parcoursup. Mais les enseignants des universités n’observent pas d’augmentation des élèves dans les filières scientifiques universitaires. Ce serait même plutôt une légère diminution d’après nos collègues qui y enseignent. Ils voient des profils plus atypiques, qui ne viennent pas forcément de voies générales, et qui sont moins polyvalents. Avant, les élèves suivaient des cours de SVT, de physique-chimie et de maths, ce qui n’est plus le cas avec l’abandon d’une spécialité en terminale.

Plus de 45 % des lycéens ne font plus de maths. En quoi est-ce négatif pour eux ?

Le fait de choisir des spécialités implique de s’orienter plus tôt. A 15 ans, c’est difficile de savoir ce que l’on veut faire. Les élèves qui ne prennent pas la spécialité maths ont beaucoup moins de possibilités. Or les mathématiques sont aussi importantes pour des études de psychologie, de sociologie, de géographie… Un élève qui abandonne les maths en première va rencontrer énormément de difficultés pour rattraper le niveau demandé dans le supérieur. Avec cette spécialisation précoce, on n’a plus le droit de se tromper de voie et c’est dramatique.

Qu’en est-il pour les élèves qui choisissent l’option mathématiques complémentaire en Terminale. Leur niveau leur permet-il de poursuivre des études supérieures en psycho ou socio sans difficulté ?

Oui. Le seul problème, c’est que c’est une option. C’est la dernière répartie dans les emplois du temps de service des établissements. Les options sont placées à des horaires souvent moins propices aux apprentissages et sont financées sur les marges des établissements qui servent aussi pour les dédoublements de classe, les accompagnements personnalisés… Pour limiter ces coûts, les chefs d’établissement acceptent plus de 40 élèves en se disant que certains abandonneront l’option en cours d’année ou sélectionnent les meilleurs élèves. Les autres sont refusés en option maths complémentaires même si ça leur est nécessaire pour leur poursuite d’études.

Quel impact cette réforme a-t-elle sur les enseignants en mathématiques ?

Elle diminue complètement la variété de façons d’enseigner et peut créer une lassitude. Auparavant, on avait un programme de ES, de S et des programmes différents pour toutes les voies technologiques. A l’heure actuelle, on a le programme de la voie technologique qui est identique pour tous, et pour la voie générale : le programme de la spécialité et celui des options maths complémentaires et maths expertes.

Cet appauvrissement de cette offre de mathématique ne permet plus de répondre aux attentes des différents profils très hétérogènes des élèves.

Jean-Michel Blanquer soutient que le programme de spécialité math est beaucoup plus exigeant que celui de l’ancienne filière S. Les lycéens auraient un meilleur niveau. Qu’en pensez-vous ?

Ça ne remonte pas le niveau des élèves. En 1ère, beaucoup de lycéens n’arrivent pas à suivre et sont dégoûtés des mathématiques. En réalité, avec ce programme ambitieux, on trie les élèves qui sont capables de suivre un rythme soutenu. Ce sont ceux qui ont déjà une forte capacité de travail personnel qui suivent ces cours. Si on veut augmenter le niveau de l’ensemble des élèves, il faut donner les moyens de les accompagner.

N’est-ce pas ce qui est fait en 2nde avec le dispositif « je réussis au lycée » qui propose 1h d’aide supplémentaire par semaine, notamment en maths ?

Ce dispositif est arrivé très tard, en octobre-novembre. Ce sont des HSE (heures supplémentaires effectives, Ndlr) qui augmentent la charge de travail des enseignants. Ça va aider ponctuellement certains élèves mais ça ne peut pas, au vu du nombre d’heures, profiter à tous. Il y a une réflexion de fond à avoir sur la place de l’enseignement des mathématiques.

Justement, le 16 février, suite aux diverses interrogations, Jean-Michel Blanquer a mis en place un comité d’experts pour conduire des audiences auprès des associations, des sociétés savantes de mathématiques, des syndicats, parents d’élèves etc. Comment avez-vous accueilli cette initiative ?

Ce n’est pas ce que l’on avait demandé. On souhaitait une audience auprès du ministre car il y a une urgence. Mais on veut être hors du temps politique. Ce comité doit rendre sa copie début mars, c’est-à-dire avant les élections présidentielles. Il a quinze jours pour réfléchir à l’enseignement des mathématiques et des sciences. Ce délai est trop court pour avoir une analyse de fond cohérente sur des propositions qui seraient favorables à l’ensemble des élèves et des disciplines. Et puis la composition de ce comité nous interroge. Un certain nombre de personnes qui le composent ont déjà un parti pris. Certains ont participé à la réforme, d’autres ont clairement communiqué leur position sur les réseaux sociaux. C’est vraiment un coup politique et c’est malheureux pour l’ensemble des élèves et pour la nation. L’école est un enjeu beaucoup plus fort que les intérêts politiques.

Jean-Michel Blanquer parle d’une possible refonte du tronc commun. Qu’aimeriez-vous ?

Il y a deux choix possibles. Je prends souvent en comparaison les systèmes anglais et italiens. En Italie, au lycée général, les élèves se sentent cultivés car ils étudient aussi bien les sciences que les humanités. En Angleterre comme aux États-Unis, il n’y a plus de tronc commun mais uniquement des spécialités et des modules. Cette réforme en France, est un entre-deux. On est avec une culture commune mais qui n’est pas égalitaire car il y a une minorité de sciences par rapport aux humanités, et une pseudo spécialisation. Il faut réfléchir au modèle que l’on souhaite avoir et se demander jusqu’à quel stade une culture commune à chaque citoyen nous semble nécessaire.

Quels sont les souhaits de votre association en vue de l’élection présidentielle ?

On souhaite une réflexion de fond sur la situation actuelle de l’école, son devenir et la place des sciences. Ça n’est malheureusement pas suffisamment au cœur des propositions des candidats. L’un des enjeux de l’école est l’équité des chances. Elle joue aussi un rôle au niveau économique et sociétal. Des rapports de l’OCDE montrent qu’on est en pleine explosion des nouvelles technologies et qu’on peine déjà à trouver des ingénieurs. On chiffre ce manque à environ 5000 par an. L’école doit pouvoir préparer à ces enjeux.