Olivier Fourrier, enseignant d’histoire-géographie, explique sa méthode pour enseigner l’EMC, sous forme de débat démocratique. Image : Getty

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

J’ai débuté comme professeur en 1993. Très vite, j’ai choisi de travailler en REP sensible violence, à Orly, où je suis resté quatorze ans. Avant d’arriver dans le Sud des Landes en 2007, j’ai commencé à m’intéresser à Internet. Avec ma collègue, qui est aussi mon épouse, nous avons créé histographie.net, un site pour partager nos ressources en histoire-géographie. A partir de 2015, je suis devenu formateur pour l’académie de Bordeaux. En 2017, j’ai passé le CAFFA (certificat d’aptitude aux fonctions de formateur académique, ndlr) qui m’a permis d’être professeur formateur académique. Aujourd’hui, j’enseigne toujours à temps plein au collège, tout en continuant à animer des formations disciplinaires et pluridisciplinaires. J’ai également accompagné la réforme de 2016. Je mène donc deux activités en parallèle mais qui se nourrissent l’une l’autre


En Enseignement Moral et Civique (EMC), vous demandez à vos élèves de 5e de proposer eux-mêmes des thèmes de débat. Qu’est-ce qui a motivé cette démarche ?


Cela fait déjà plusieurs années que je fonctionne ainsi. Mon expérience, en particulier en réseau sensible, m’a poussé à interroger mes pratiques. J’ai eu envie de me libérer, en tant qu’enseignant, mais aussi de libérer davantage les élèves. J’ai donc progressivement revu mon fonctionnement en classe. En EMC, cela fait un moment que je leur propose d’élaborer eux-mêmes le sujet. On commence par une phase de propositions, puis un vote démocratique. Chacun doit d’abord écrire un thème dans son cahier, puis l’inscrire au tableau. Cette année, par exemple, la guerre est revenue six fois, influencée par l’actualité. Ensuite, ils votent à bulletin secret : soit pour leur thème initial, soit pour celui d’un camarade. On retient celui qui obtient le plus de voix. Vendredi dernier, le thème qui a été choisi est celui de la violence animale.

Une fois le thème choisi, quelle est la suite ?


Lors de la séance suivante, ils préparent le débat. Pendant cinquante minutes, en silence, chacun rédige ses arguments, ses avis, ses contre-arguments. La semaine suivante, la salle est réaménagée en U. Un élève est chargé de modérer les échanges : il distribue la parole, relance si besoin, recentre quand ça tourne en rond, sollicite ceux qui n’ont pas encore parlé… Je reste en retrait, j’interviens seulement si nécessaire. Tous doivent participer en présentant un argument, un contre-argument ou en réagissant à ce qui a été dit. Le débat est évalué.

Et les élèves parviennent toujours à renouveler les arguments ?


Oui, et cela me surprend encore. Ils arrivent avec des idées auxquelles je ne m’attends pas toujours. Je les accompagne pendant la phase de préparation pour qu’ils varient et affinent leurs arguments. Le thème de la maltraitance animale, par exemple, ouvre énormément de pistes. Pour construire ensuite mon cours, j’envisage de partir d’une question : « L’être humain est-il un animal ? ». Cela me permet de rattacher la séquence à la partie du programme sur la solidarité et ses différentes échelles. Puis nous travaillerons sur les différents types de maltraitance, avant d’aborder la question de l’alimentation et du bien-être animal.

Y a-t-il des thèmes que vous refusez, notamment des sujets sensibles liés à la laïcité ou à l’actualité ?


Très rarement. Mon collège est situé en milieu semi-rural et je bénéficie d’un public plutôt calme. Avec mon expérience et mon recul, je maîtrise les sujets délicats. En revanche, ce n’est pas forcément ce que je conseillerais à un collègue débutant. J’ai déjà eu des thèmes comme le viol ou la prostitution. Dans ces cas-là, mon rôle est de cadrer. Je rappelle la loi, je définis les notions… Les élèves sont confrontés à ces sujets via les réseaux sociaux ; les éviter ne règle rien. Tant que le thème n’est pas hors-la-loi ou hors-sujet, je l’accepte.

Une fois le débat passé, vous construisez votre cours à partir de leurs apports ?


Oui. La trace écrite est réduite car je fonctionne en classe inversée et en pédagogie active. Nous utiliserons probablement un « word café ». Il s’agit de former quatre groupes autour de quatre questions. Il y a un élève référent qui reste à sa table tandis que les autres tournent toutes les cinq minutes. Chaque groupe traite successivement toutes les questions, puis l’élève référent fait la synthèse. Cela nourrit un travail collectif et permet de relancer la réflexion.

Combien de temps dure l’ensemble de la séquence ?


Environ un mois, parfois un peu plus. Entre la préparation, le débat, les activités et les prolongements, on arrive à six ou sept heures de travail effectif, réparties sur plusieurs semaines.

Combien de débats libres menez-vous en moyenne dans l’année ?


En général, j’en fais au moins un par niveau (cinquième, quatrième, troisième) par an. Mais cela dépend des classes et des années.

Est-ce que ces débats créent une émulation particulière par rapport aux thèmes que vous proposez vous-même ?


Oui et non. Ce qui change vraiment, c’est que le point de départ vient d’eux. Huit jours avant, je n’ai aucune idée de ce qu’ils vont proposer. Mais dans la méthode, c’est similaire à ce que je fais sur des thèmes plus classiques comme l’égalité femmes-hommes. Le fonctionnement est très ouvert et l’élève est acteur. La dynamique ne dépend pas tant du sujet que du format.

Avez-vous des retours de collègues intéressés par cette approche ?


Oui. Lors d’une formation récente en Dordogne, j’ai vu deux types de réactions : certains ont peur, car ce fonctionnement demande de l’expérience et une bonne maîtrise de classe. D’autres, au contraire, testent immédiatement.

Dans vos formations, y a-t-il d’autres pratiques que vous partagez et qui suscitent l’intérêt des collègues ?


Oui, je pratique par exemple le principe de l’évaluation de la deuxième chance. Je propose aux élèves qui ont eu une moins bonne note de retravailler et de refaire l’évaluation, s’ils le veulent. Ça peut être une carte, un texte, un diaporama et je conserve la meilleure note. Ils sont récompensés de l’effort supplémentaire qu’ils ont produit. On est vraiment dans l’apprentissage par compétence : on essaie, on ajuste, on progresse. L’un des collègues en formation a adopté cette idée dès la semaine suivante. Il m’a dit que les élèves moyens avaient immédiatement accroché.

Votre site représente aussi une belle aide pour les enseignants et les élèves…


Oui à nos yeux c’est important de partager. Notre site Histographie.net est entièrement gratuit et sans publicité. Les élèves y retrouvent tout ce que nous faisons en classe, ce qui me permet de consacrer le temps en cours à l’activité plutôt qu’à la prise de notes au tableau. C’est aussi une manière d’encourager des pratiques pédagogiques plus actives, même si elles exigent de se remettre en question. On perd bien moins d’élèves qu’avec un cours strictement descendant.