Réponse avec Pierre-Yves Duwoye, ancien recteur d’Académie, ancien secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale, ancien directeur de cabinet de Vincent Peillon, et conseiller-maître honoraire à la Cour des comptes. Image : Getty

Le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse représente le premier budget de l’État. Pour 2024, il devait s’élever à 63, 646 milliards d’euros et bénéficier d’une hausse historique de 3,9 milliards (+ 6,5%). Ce budget est en constante croissance puisque depuis 2017, il a augmenté de 29 % (soit 14,3 milliards d’euros) avec une hausse significative ces dernières années : entre 2022 et 2024, il a gagné 13,6 % (+ 7,6 milliards d’euros contre + 6,7 milliards d’euros entre 2017 et 2022). Un budget conséquent donc.

Les dépenses de personnels, la part majeure du budget

« Ce qui est déterminant, ce sont les dépenses de personnels qui doivent représenter près de 90 % du budget », déclare Pierre-Yves Duwoye, ancien recteur d’Académie, ancien secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale, ancien directeur de cabinet de Vincent Peillon, et conseiller-maître honoraire à la Cour des comptes. Le budget voté et alloué chaque année au ministère de l’EN est susceptible d’évoluer en fonction notamment du nombre de départs à la retraite, des démissions… « Cette estimation est délicate à réaliser et donne lieu à une bagarre de chiffres entre le ministère de l’Éducation nationale qui dit qu’il aura besoin de plus d’argent et le ministère de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique qui minimise ce besoin. Une fois le budget voté, pour garder une marge d’appréciation, il y a une règle qui prévoit de geler jusqu’à 10 % des crédits du Ministère en début d’année », explique Pierre-Yves Duwoye. Parfois, toute cette somme doit être dégelée pour faire face aux dépenses qui se présentent en cours d’année, parfois il en reste et ce budget est reconductible sous forme de reports de crédits.

Les reports de crédit, une variable récurrente

Les reports de crédit correspondent à une sous-consommation du budget qui est généralement réinjectée dans le budget de l’année suivante. Ainsi, le 26 janvier 2024, un arrêté ministériel indiquait la restitution de 285 millions d’euros non utilisés par le ministère de l’Éducation nationale en 2023 et qui seraient ajoutés au budget de cette année. Ces 285 millions comprennent eux-mêmes les 144,5 millions de crédits en autorisations d’engagement non utilisés en 2022. Mais ces reports de crédits répétés peuvent aussi peser dans la balance et inciter Bercy à rogner sur le budget alloué l’année d’après. « Si des crédits prévus pour la formation continue par exemple n’ont pas été exploités cette année, ils pourront l’être l’année d’après. Mais si chaque année, ils ne sont pas utilisés pour diverses raisons, le Ministère des finances peut refuser de les reporter car personne n’en profite. S’ils sont supprimés, moins de personnes peuvent en bénéficier, c’est une spirale infernale », décrit le conseiller-maître honoraire à la Cour des comptes.

Des reports mal perçus

Ces reports de crédits interrogent souvent les syndicats et le personnel de l’Éducation nationale qui réclament régulièrement plus de moyens pour des dédoublements de classes, des dotations horaires globales plus généreuses, des augmentations de salaires… « En terme de pourcentage du PIB, le budget alloué à l’éducation en France n’est pas si mal que ça par rapport au reste de l’Europe. Mais le problème majeur de la France, qui est aussi une richesse, c’est son réseau très éparpillé. On a 44 000 écoles primaires, de souvent moins de 4 classes, dans 20 000 communes. Ça coûte de l’argent ! L’État, mais aussi les syndicats, sont responsables d’une certaine forme de conservatisme dans l’organisation scolaire et la répartition de la dépense », estime Pierre-Yves Duwoye.

Un budget finalement raboté en 2024

Mais cette année, le report de crédits de 2023 est déjà évaporé dans le cadre du plan d’économie annoncé par Bruno Le Maire. Le décret paru au Journal officiel le 22 février 2024, annule 10 milliards de crédits prévus en 2024, dont 691,6 millions d’euros pour l’enseignement scolaire. Les pans les plus ponctionnés sont ceux dédiés à la « vie de l’élève », c’est-à-dire la rémunération des personnels de vie scolaire ou accompagnants en situation de handicap (261,7 millions). Viennent ensuite les enveloppes destinées au premier degré public (138,2 millions), au second degré public (123,4 millions), à l’enseignement privé (98,9 millions), ce qui a trait au soutien de la politique de l’Éducation nationale (60 millions) et à l’enseignement technique agricole (8,5 millions). Cela représente 1 % du budget global de l’Éducation Nationale pour cette année, ce ministère étant l’un des moins impactés.

Des conséquences à la clé ?

Nicole Belloubet a déclaré que cette mesure restrictive n’affecterait pas les annonces faites concernant la rentrée ou le choc des savoirs. « Ce n’est pas faux : les comptes ne sont pas faits. On ignore combien on va dépenser et si ces 700 millions vont manquer ou pas à la fin de l’année. Mais c’est la première fois que l’on supprime une partie de l’argent qui est gelé dès le début de l’année. Et on ne supprime pas 700 millions dans un budget sans conséquence », rétorque Pierre-Yves Duwoye. S’il manque de l’argent pour payer le personnel, il faudra bien rétablir une partie de ce crédit. « On ne va pas licencier des titulaires, mais il y a à 15 à 20 % de non titulaires dans l’Éducation nationale. Il reste une marge sur les contractuels en ne les reprenant pas, en arrêtant leur contrat, en ne recrutant pas pour un remplacement d’un ou deux mois… », suppose le conseiller-maître honoraire à la Cour des comptes. Résultat : des classes pourraient se retrouver sans enseignant. De plus, avec la mise en place des groupes de niveaux en maths et en français à la rentrée, les besoins en personnels sont importants et l’aide des contractuels pourrait être nécessaire. Mais selon Pierre-Yves Duwoye, si les groupes de niveaux fonctionnent bien, Nicole Belloubet et le Premier ministre pourraient demander à ce que de l’argent soit prélevé ailleurs pour maintenir le dispositif auquel ils sont favorables.