Le ministre de l’Éducation nationale vient d’annoncer que les mathématiques redeviendront obligatoires dans le tronc commun de la filière générale dès la prochaine rentrée. Lui attribuez-vous pour autant un satisfecit ?

Cela va bien sûr dans le bon sens, mais la mesure manque de clarté dans ses objectifs. Il nous semble essentiel que tous les élèves possèdent des fondamentaux mathématiques. De nombreux enjeux citoyens, écologiques, sanitaires, économiques, politiques… sont liés aux sciences et aux mathématiques. Ils nécessitent de savoir raisonner, d’avoir des capacités d’abstraction, de réfléchir contre son intuition, etc.  Or, il est vrai que depuis la précédente réforme, certains élèves, sachant que les mathématiques n’étaient plus obligatoires en première, se démobilisaient dès l’année de seconde et faisaient très vite une croix dessus.

Dans ce cadre, nous devrions saluer sans réserve ce retour des mathématiques dans le tronc commun. Mais d’une part, celui-ci ne concernera pas tous les élèves et d’autre part, le ministre défend l’idée que cette heure et demie sera adaptée aux ambitions d’orientation des lycéens. Elle sera pourtant bien insuffisante pour des bacheliers qui voudront entamer de nombreux cursus « non scientifiques », mais pour lesquels les mathématiques sont essentielles (Prépa économiques et commerciales ou Sciences économiques et gestion, par exemple). Il y a donc un vrai risque que de nombreux élèves de seconde abandonnent l’idée de faire une spécialité mathématiques persuadés à tort que cette heure et demie leur suffira pour les études supérieures, ou les professions, qu’ils pourraient envisager.

Au-delà de cette actualité, il m’apparaît très important que les élèves sachent mieux quelles spécialités amènent à quelles études supérieures. Cela permettrait d’en finir avec les « stratégies de cursus » pensées en fonction des notes au Bac et de ParcoursSup. Ce qui est certain, c’est que ce retour des mathématiques dans le tronc commun ne suffira pas à endiguer la baisse du nombre d’élèves qui choisissent les trois spécialités scientifiques ; rappelons que 200 000 élèves passaient un Bac S contre environ 130 000 qui suivent les spécialités scientifiques aujourd’hui.

Les effectifs d’enseignants seront-ils suffisants pour assurer ce retour dans le tronc commun ?

C’est une vraie interrogation. Selon le ministre – qui évalue les besoins à 400 à 425 équivalents temps plein – cela ne posera pas de problèmes, ni en termes de recrutement ni en termes de nombre de professeurs en face des élèves. Pourquoi ? Parce qu’il anticipe un rééquilibrage entre la spécialité et le tronc commun, voire parce qu’il table sur le fait qu’il y ait moins d’élèves qui choisissent mathématiques comme spécialité. Ce serait alors une catastrophe, car le « vivier » des lycéens est déjà faible, or ils sont les futurs étudiants, donc nos futurs ingénieurs, techniciens de l’industrie et du numérique, nos futurs chercheurs ou nos futurs professeurs de mathématiques !

Puisque vous évoquez la profession, pourquoi celle-ci attire-t-elle de moins en moins ?

Trop peu de candidats se présentent pour pouvoir recruter à la hauteur des postes prévus, c’est une évidence. Oublions 2022 qui est une année particulière du fait du déplacement du concours à la fin du M2. Mais même les années précédentes nous constations déjà ce problème de recrutement. Par ailleurs, ce placement du concours à la fin du Master 2 va créer des difficultés nouvelles. Les étudiants vont se lancer dans un master Meef (qui ne me conduit qu’aux métiers de l’enseignement) et pour « l’utiliser » devront passer un concours. En début de carrière, leur rémunération sera de 2 000 €. Autrement dit, ils vont faire des études longues pendant lesquelles ils n’auront souvent pas de revenus. Et certains ne pourront pas aller au bout parce qu’ils auront rencontré une difficulté financière inattendue. Ce n’est pas une question théorique. Je travaille à temps partagé entre un collège et un Institut national supérieur du professorat et de l’éducation de Lyon. J’ai donc régulièrement en face de moi des étudiants qui ambitionnent de passer le Capes de Mathématiques ou le CRPE, et j’en croise régulièrement qui choisissent de devenir contractuels parce qu’ils ont besoin de travailler et d’être payé à temps complet.

Il y a un problème d’attractivité salariale qu’il ne faut pas nier. Il pousse des étudiants à s’engager dans d’autre cursus, d’autres masters que le Meef, pour avoir le choix, soit de partir vers des carrières plus rémunératrices soit de bifurquer ensuite vers l’enseignement s’ils en ont toujours la vocation. Mes étudiants de Master sont très volontaires et très enthousiastes pour devenir enseignants. Donc, oui, cela existe encore, fort heureusement, mais pas suffisamment pour remplir les concours.

La formation des professeurs de mathématiques vous semble-t-elle adaptée aux attentes et aux besoins ?

Nous faisons ce que l’on peut dans les quotas d’heures qu’on nous attribue, mais je trouve que les contenus des formations sont pertinents. Ils permettent à la fois de former les élèves à différents pans de la pédagogie, à la didactique de la discipline, d’aborder l’évaluation, la manière de préparer les cours… C’est complet et je ne pense pas que cela soit la formation qui soit inadaptée. Plus que le contenu, c’est l’organisation de la formation qui peut poser problème. Il est vrai que toute la formation arrive avant que l’étudiant ne devienne professeur stagiaire. Et c’est là une étape qui génère évidemment beaucoup de questions chez eux.

Les filières mathématiques et scientifiques séduisent toujours moins les filles et les enfants des catégories socioprofessionnelles inférieures. Comment endiguer cette tendance ? 

Oui, en effet, il demeure malheureusement des stéréotypes sociaux et de genre assez marqués. Je ne pense pourtant pas que les filles ou les enfants de classes sociales moins favorisées ne soient pas intéressés par ces matières. Ce n’est pas quelque chose que j’ai constaté dans mes classes non plus. Et les filles n’ont pas moins de capacités que les garçons à suivre des études scientifiques comme on l’a parfois entendu dire. L’Étude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe) a parfaitement démontré qu’il n’y avait aucune raison neurologique qui pourrait expliquer que les filles réussissent moins en mathématiques, au contraire.

L’explication est donc de nature culturelle et notre association travaille aux manières de gommer ces stéréotypes que nous véhiculons tous, enseignants compris, malgré nous.

Je crois surtout que les filles et les élèves des catégories sociales dites inférieures ont moins conscience de leurs potentiels et de leurs chances de réussite. Cela se manifeste notamment lorsqu’ils arrivent au lycée. Ils manquent souvent de modèles et de figures de référence dans leur entourage. Je trouverais d’ailleurs formidable que l’on fasse revenir dans les établissements, des « anciens » qui auraient embrassé des carrières scientifiques. La structure actuelle du lycée demande aux jeunes d’être très éclairés très tôt sur leurs poursuites d’études, sur ce qu’ils sont, ou seront, capables de faire. Mais les temps consacrés à l’orientation sont insuffisants. Cela conduit certains à faire des choix guidés par des déterminismes et des ressentis de leurs compétences, des ressentis qui ne sont pas toujours justes. S’y ajoute un autre phénomène spécifique aux filles. Celles-ci ont souvent des résultats bien plus homogènes que les garçons. Elles peuvent donc se permettre des choix plus larges, là où les garçons vont capitaliser sur leur point fort qui est souvent une matière scientifique.

On entend souvent dire que la sphère de l’Éducation nationale a plutôt une culture littéraire ce qui expliquerait, en partie, la place décroissante accordée aux sciences. Est-ce un poncif éculé ?

Ce n’est pas du tout un poncif et il est toujours bien actuel. Michel Serres dans « Le Contrat naturel » évoque les instances gouvernantes comme étant le produit de formations principalement tournées vers les sciences humaines et sociales.

Nous n’avons que très peu de dirigeants politiques qui ont un cursus réellement scientifique. Cela interroge d’ailleurs les décisions prises en matière de santé, de climat, etc. Bien de nos dirigeants semblent croire que l’on peut se débrouiller sans les mathématiques… en oubliant qu’ils ont eux-mêmes sans doute passé un Bac C voire S qui leur avait apporté un vrai bagage !

Dans notre pays, personne n’imaginerait possible de ne pas savoir lire et écrire correctement, alors que ne pas avoir des compétences mathématiques basiques est bien plus admis. Dans le même temps, la société cultive cette idée qu’être bon en mathématiques c’est être intelligent. Cette valeur sociale importante pourrait être perçue comme flatteuse, mais c’est un biais de jugement. Nous aimerions que les mathématiques soient vues à leur juste valeur. Autrement dit une discipline qui, en effet, est indispensable dans sa dimension experte, mais qui est aussi nécessaire à tous pour comprendre le monde.

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