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Le 29 janvier 2021, les modalités d’organisation des concours du CAPES ont été publiées au journal officiel. La plupart des sections comporteront deux épreuves écrites d’admissibilité : une destinée à apprécier les compétences du candidat dans la discipline, l’autre à évaluer sa capacité à construire une séquence pédagogique. Les épreuves d’admission orales comprennent, quant à elles, une « épreuve de leçon » dans laquelle le candidat doit concevoir et animer une séance d’enseignement. Au cours de celle-ci, il doit ainsi démontrer sa maîtrise des compétences disciplinaires et pédagogiques. La seconde épreuve est un entretien qui porte sur « la motivation du candidat et son aptitude à se projeter dans le métier de professeur au sein du service public de l’éducation ».

Les compétences disciplinaires délaissées 

A compter de la rentrée 2022, l’une des épreuves orales qui évaluait jusque-là les compétences disciplinaires disparaît donc. « Les épreuves d’admissibilité avec une note éliminatoire à 5 font que l’on ne prendra pas un candidat mauvais dans cette discipline. Mais on ne va pas vérifier ses compétences à l’oral », remarque Alain Billate, professeur d’histoire-géographie à Bordeaux et secrétaire national du Snes en charge de la formation. Dans un précédent article, Pierre Merle, professeur à l’INSPE de Bretagne, qualifiait ce retrait de l’oral académique de « recul considérable ». Ce remplacement inquiète Chloé, prof de français dans les Yvelines, et néo-titulaire. « Ça va peut-être laisser des personnes non (ou pas assez) qualifiées enseigner. C’est aussi mauvais pour ces futurs enseignants que pour leurs futurs élèves », glisse-t-elle. Une crainte partagée par Julien (le prénom a été changé), professeur agrégé de maths dans un lycée en Nouvelle Aquitaine. Celui-ci déplore la crise de recrutement qui existe déjà dans l’Education Nationale et ses effets néfastes. « On risque d’avoir des candidats potentiellement moins performants dans leur discipline alors qu’il y a déjà un affaiblissement du niveau du concours et des professeurs recrutés. Ça rejaillit sur les élèves que l’on doit déjà sur-noter, au bac notamment, pour cacher leurs lacunes. Je ne sais pas ce que ça va donner sur le plan sociétal. Il y aura sans doute des professionnels mal formés dans de nombreux domaines », confie le professeur.

Une vision réaliste du métier

Si l’abandon de l’oral académique semble largement regretté dans la communauté éducative, d’autres voient d’un bon œil l’évaluation de critères plus larges. « Enseigner, ce n’est pas simplement penser que l’élève est un entonnoir où l’on verse du savoir. Il n’y a pas que la maîtrise disciplinaire qui importe », plaide ainsi Béatrice Laurent, professeur d’école maître-formateur (PEMF) à l’INSPE de Besançon, secrétaire nationale de l’Unsa-éducation en charge de la formation initiale. Le syndicat s’est ainsi battu pour qu’existe l’entretien de motivation qui remplace l’épreuve académique orale. « Il permet au candidat de démontrer que sa démarche ne relève pas du rêve, de souvenirs d’élèves, mais qu’elle est ancrée dans la réalité. Finalement, l’entretien ne porte pas tant sur sa motivation que sur sa vision globale de la réalité du métier. Si le jury est formé en conséquence, ça valorisera aussi l’expérience des candidats. C’est une manière d’éviter les déconvenues et les abandons », déclare Béatrice Laurent. Cet aspect est également positif aux yeux de Chloé pour qui il importe de connaître la motivation d’un candidat au concours, d’échanger avec lui sur ses attentes, sa volonté et d’éviter in fine des démissions. Mais la néo-titulaire reconnaît qu’un autre aspect la « fâche » : « ne serait-ce pas le moyen pour l’Education Nationale d’éviter de recruter de futurs professeurs critiques envers l’institution ? D’éviter les grèves, les contestations ? », interroge-t-elle. « On cherche de gentils petits soldats pour faire toujours plus avec moins de moyens », lance Julien, le professeur de maths.
Beaucoup trouvent, en effet, que cet entretien s’apparente à un entretien d’embauche. D’ailleurs, le jury comprend des personnels administratifs « choisis en raison de leur expérience en matière de gestion des ressources humaines » comme l’indique l’arrêté paru au JO. « On retombe un peu sur une épreuve de l’éthique du fonctionnaire où il faut apprendre le « catéchisme républicain ». On juge le comportement du candidat plutôt que sa maîtrise de la discipline », ajoute Alain Billate.

Un calendrier difficilement tenable

Enfin, le calendrier du concours fait grincer des dents. Il aura désormais lieu en fin de M2 alors que cette année est particulièrement chargée. « Il y a des exigences très fortes sur les candidats et on ne leur donne pas les moyens d’étudier. Ils ont le concours, les études, le mémoire, le stage à gérer la même année. Ce n’est pas un cadeau qu’on leur fait ! », regrette Alain Billate. « Le concours en fin de M1, c’était la solution la moins mauvaise. On ne brade pas son diplôme. Ça prend du temps de réaliser un mémoire », renchérit Béatrice Laurent. Un moment qui est encore bien présent à l’esprit de Chloé, la jeune professeure de français. « J’ai été épuisée lorsque je préparais uniquement le Capes et prête à m’effondrer durant le M2, entre l’angoisse de la titularisation et les travaux à rendre (mémoire, devoirs…). Alors tout ça en même temps ? Cela me paraît énorme. Pour ma part, je suis passée de 16 de moyenne en M1 (quand je n’avais que le concours à préparer), à tout juste la moyenne en M2… Je ne travaillais que pour mes élèves », se souvient Chloé. Les futurs candidats n’auront pas d’autre choix que de tout donner s’ils veulent espérer réussir le concours.