Les élèves de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) vont-ils retourner en cours ?

A l’échelle nationale, rien n’a encore été décidé. Au niveau local, de nombreux chefs d’établissements ont d’ores et déjà tranché. Au lycée Chaptal, dans lequel j’exerce, les étudiants de deuxième année ne reviendront pas. Idem pour les premières années, sauf si la situation était exceptionnellement favorable d’ici quelques semaines. Des décisions qui ne sont toutefois pas motivées par les mêmes argumentaires. Les étudiants de deuxième année ne passeront pas d’épreuves orales aux concours d’entrée en école d’ingénieurs (excepté à l’École Polytechnique) et les épreuves écrites sont décalées de plusieurs semaines, cela pourrait donc leur laisser la possibilité de revenir étudier… Mais ne serait-ce pas prendre trop de risques sanitaires ? Cette décision ne viendrait-elle pas accroître la fatigue des candidats ? Si ce n’est ni parfait, ni optimal, la préparation aux épreuves écrites peut se faire en distanciel ; faisons au mieux.

Pour les premières années, quels sont les objectifs pédagogiques qui justifieraient un retour au lycée ? Ce qui manque à ces étudiants, ce sont les activités expérimentales, les travaux pratiques. Les faire rentrer pour compenser ce qui n’a pas pu être fait peut se justifier si on maintient le reste des enseignements à distance. Mais en Sciences de l’Ingénieur (SI), il y a beaucoup de manipulations. En physique-chimie, il y a des aides de laboratoire, mais pas en SI. Alors, sont-ce les enseignants qui devront assurer le nettoyage du matériel ? Plus largement, disposent-ils d’assez de matériels pour chaque étudiant ?

L’enseignement à distance n’est pas une pratique familière en classe préparatoire, comment s’est-il mis en place ?

Nous avons papillonné la première semaine pour trouver des solutions fonctionnelles tant  pour les étudiants que pour les enseignants. Tout le monde a essayé, et finalement trouvé son rythme. Nous échangeons beaucoup entre collègues de l’association en partageant nos expériences, nos outils, en mutualisant nos réalisations… Les pratiques sont diverses : cours en visio, échanges de documents, capsules vidéos… L’avantage de ces dernières, c’est que tous les professeurs n’ont pas les mêmes approches, ce qui peut aider les élèves à mieux comprendre certaines notions. L’inconvénient, c’est que c’est très long à préparer, et plus long à visionner. Les étudiants sont très sollicités sur les écrans, et lorsque nous échangeons avec eux, beaucoup parlent de fatigue visuelle. Il nous faut en tenir compte.

L’une de nos préoccupations pendant le confinement a d’ailleurs été de rester au plus proche de nos élèves et de nous assurer qu’aucun ne rencontrait de problème qu’ils soient matériels ou liés aux enseignements. Au lycée Chaptal, mais cela se fait aussi ailleurs, nous contactons personnellement chacun d’entre eux pour prendre de leurs nouvelles.

Êtes-vous satisfait de la décision de reporter les épreuves écrites des concours d’entrée en école d’ingénieurs ?

Oui, clairement. Et les décaler entre le 20 et le 22 juin nous permet de voir comment les choses vont évoluer. Toutefois, de nombreuses questions restent en suspens : où les candidats vont-ils passer leurs épreuves ? Quels seront les centres d’écrits, appelés à être démultipliés ? Le Parc Villepinte qui reçoit en général quelques 4 000 candidats ne pourra pas en accueillir autant cette année. Comment sera assurée la distanciation sociale ? Le port du masque sera-t-il obligatoire ? Quelles seront les conditions sanitaires ? Nous espérons tous des réponses rapides pour que les candidats puissent se projeter. Le site du service des concours écoles d’ingénieurs (SCEI) a rouvert sa plate-forme à deux reprises pour que ces derniers puissent modifier leur ville de passage. Certains avaient prévu de passer leurs épreuves à Paris, alors qu’ils ont été confinés chez leurs parents, dans une autre ville.

Le maintien des épreuves orales n’aurait-il pas été possible ?

Très tôt, la mise en place de celles-ci nous a semblé extrêmement délicate. Les élèves de deuxième année ont été très sollicités et ont vécu une année perturbée. Les conditions extérieures ont été et sont toujours particulièrement difficiles. En conséquence : les étudiants n’ont pas eu d’épreuves pratiques, expérimentales, depuis le mois de mars, alors proposer des épreuves orales au mois d’août pour une rentrée en septembre-octobre nous semblait difficile. La question de la disponibilité des jurys se posait également.

Chaque année, les épreuves orales bouleversent une partie des classements, mais à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles.

Ces changements de modalités vont-ils, selon vous, entraîner plus de recours de la part des candidats ? 

Nous défendons le principe d’équité, et a priori, il n’y a pas plus de risque qu’il y ait des problèmes cette année. Certains étudiants se diront certainement que les épreuves orales auraient pu faire la différence. D’autres, plus forts à l’écrit, verront les choses autrement. A chaque école de s’adapter et de prendre en compte les changements qui se sont imposés cette année. La diversité dans les promotions d’écoles d’ingénieurs sera peut-être plus importante l’an prochain, mais finalement est-ce un mauvais point ?

Dans quel état d’esprit sont vos étudiants aujourd’hui ?

D’un côté, il y a une forme de fatalisme : la situation est ce qu’elle est et tout le monde fait au mieux. Ils sentent bien que la communauté enseignante est extrêmement mobilisée derrière eux et cela les rassure. De l’autre, les informations liées au concours, arrivent lentement, très lentement, mais nous comprenons bien les difficultés. Ce sont davantage les modalités de passage qui les inquiètent, la notation, la pondération. Certains ont des objectifs très figés, souhaitent intégrer telle ou telle école, ont un métier bien identifié en ligne de mire, avaient décidé de tout miser sur une épreuve…

Pourra-t-on retenir des points positifs de la crise que nous traversons ? 

Dans tout ce que nous vivons, il y a toujours des côtés négatifs que l’on identifie de façon très élevée, mais il y a aussi des points positifs. La mobilisation des enseignants pour assurer la continuité pédagogique en est un. Car, oui, les enseignants de CPGE s’intéressent à leurs étudiants ! Les initiatives qu’ils portent, comme nombre d’élèves, sont remarquables. De manière complètement individuelle ou via des écoles d’ingénieurs, des lycées, des instituts universitaires de technologie, ils ont mis en place des impressions de masques ou de visières de protection avec le matériel qu’ils avaient à disposition : imprimante 3D, thermoformeuse… Un élan de solidarité s’est créé pour mettre ces créations à disposition de ceux qui en ont besoin. Gratuitement. Les sciences et la technologie sont au service de la société. C’est pour cela qu’elles existent et nous en avons la preuve factuelle ! Il est par conséquent important de les développer, en France notamment, et de les valoriser !