classes bilangues allemand

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Alors qu’Angela Merkel et Emmanuel Macron viennent de signer un nouveau traité renforçant la relation franco-allemande et que l’on célèbre le 56ème anniversaire du Traité de l’Elysée, l’enseignement de la langue de Goethe est souvent mis à mal dans notre pays (et la réciproque est valable). Serge Olivier est professeur d’allemand dans un collège à Haguenau, en Alsace. Une région où cet enseignement est encore relativement épargné. « La position de l’allemand ici est celle de l’espagnol dans le Sud-Ouest. Les élèves choisissent très largement cette langue, souvent apprise dès le primaire. Nous avons beaucoup d’élèves, de travail et d’heures », reconnait le professeur. Ici, la réforme du collège a néanmoins conduit à la suppression de la section européenne, même si le démarrage de la LV2 dès la 5ème a permis de limiter ces effets. L’établissement compte quatre professeurs d’allemand, ce qui favorise les projets en commun. Sa proximité avec la frontière permet, par exemple, des excursions outre-Rhin sur une journée. Les cours d’aujourd’hui sont moins magistraux et plus interactifs qu’autrefois. « Nous veillons à proposer des séquences attractives et à mettre les élèves en action. On varie les approches : participation à la quinzaine du film allemand, visionnage de reportages, travail en groupe… », ajoute Serge Olivier. Les élèves utilisent des outils numériques comme Skype. L’écran est projeté et chacun discute à son tour devant son correspondant. Le professeur est toutefois bien conscient que beaucoup de confrères dépeignent une autre réalité du terrain et doivent se battre pour leur poste.

Des postes en moins

Dans la région nantaise, le collège d’Isabelle Chemin, professeure depuis 28 ans, a perdu lui aussi sa section européenne et pas mal d’heures avec la réforme du collège. « Nous étions deux professeurs d’allemand ainsi que deux professeurs habilités dans la langue : l’un pour l’histoire-géographie et l’autre pour l’EPS. Cela nous permettait de faire Abibac. Suite à la réforme, je suis la seule professeure d’allemand dans le collège. Je m’estime encore heureuse que ma bilangue soit maintenue. Ca me permet d’enseigner dans un seul établissement », déclare-t-elle. Frédéric*, lui, n’a pas eu cette chance. Il enseigne, en Bourgogne, de la 5ème à la 3ème sur deux collèges. « J’ai des difficultés d’emploi du temps du fait d’être dans deux établissements. A cela s’ajoute la multiplication des réunions, des mails à gérer et des affichages à lire en salles des professeurs », explique-t-il. De plus en plus de professeurs d’allemand se retrouvent dans cette situation, à devoir enseigner sur deux ou trois établissements, séparés de plusieurs dizaines de kilomètres. Des contraintes qui engendrent ainsi de la fatigue, des frais supplémentaires et une perte de temps.

Victimes des baisses de dotations horaires

Outre la réforme du collège, la dotation horaire globale (DHG) met également à mal la discipline. Chaque année, en janvier-février, le chef d’établissement reçoit sa DHG et distribue ensuite les heures. « A cette période, on tremble en tant que professeur d’allemand », lance Patricia Lewinski, professeure agrégée de classe exceptionnelle. Jusqu’à l’an dernier, elle enseignait au collège Charlemagne à Paris, l’un des meilleurs de la capitale. Le nouveau proviseur a retiré des heures à sa matière en découvrant la baisse de la DHG. « J’ai beau être agrégée, enseigner dans un établissement côté où l’allemand est bien établi depuis longtemps, être formatrice à l’académie et en lien avec le recteur, ça ne protège de rien ! Tout dépend du bon vouloir du chef d’établissement. En trois ans, mon poste aurait explosé. J’aurais dû aller sur deux établissements, être installée nulle part, tout faire en double », regrette Patricia Lewinski qui a préféré muter dans un autre collège parisien. Malheureusement, la suppression d’une classe de 6ème, en raison d’une baisse d’effectif, doit là encore lui enlever 4h d’enseignement dès l’an prochain. « J’en ai assez. Je commence même à vouloir me réorienter. Mais avec un profil de germaniste pur, ce n’est pas évident. Et puis, l’enseignement c’est vraiment ma vocation », confie-t-elle. Quant aux collègues, ils se montrent peu solidaires. Ils sont souvent partagés entre leur amitié et leur satisfaction d’être épargnés par la baisse d’heures, voire de pouvoir récupérer du temps pour leur matière. Une situation qui isole les professeurs d’allemand et crée des tensions entre collègues.

Promouvoir sa langue

Pour attirer les élèves et s’assurer un poste, les professeurs d’allemand lorgnent de plus en plus vers le primaire. Ils y présentent bénévolement leur matière, y donnent parfois même des cours après avoir convaincu le directeur de l’école et le Dasen. Tous reconnaissent qu’il faut se battre contre les préjugés évoquant une langue difficile à apprendre, à entendre, au passé terrible lié à Hitler… Les élèves de primaire sont encore ouverts d’esprit et représentent un vivier potentiel, lorsqu’ils ne rejoignent pas les collèges privés. La découverte de la langue passe alors par des supports ludiques : jeux, théâtre… Et les enfants en redemandent !
Marie Olléon-Dumas, jeune professeure dans un collège en Gironde, a choisi ce métier pour la beauté de la langue. Elle a conscience des difficultés liées à la profession mais reste positive. « Je suis très contente car j’adore le contact avec les élèves. Je sais qu’à terme, je vais forcément me retrouver à enseigner dans au moins deux établissements, mais la situation est comme ça. Il faut se battre mais je suis motivée. Je saisis la moindre marge de manœuvre pour promouvoir ma discipline », ajoute-t-elle. Elle présente ainsi sa matière aux élèves de 6ème, organise des expos au CDI à travers des portraits de personnalités allemandes, fait participer ses élèves à des concours créatifs… Face à tous ces efforts, il faut éviter le moindre faux pas. « Il faut être autoritaire sans l’être trop pour ne pas avoir d’élèves qui souhaitent arrêter l’allemand et fassent une mauvaise réputation à cette matière sous tension auprès des plus jeunes », juge de son côté Frédéric.

Un plébiscite des professionnels

Être professeur d’allemand, c’est souvent aussi avoir des groupes moins chargés, avec des élèves généralement bons et moins turbulents selon les professeurs interrogés. Christine Kerhoas-Krieger, professeur d’allemand au lycée professionnel hôtelier de St-Quentin-en-Yvelines, a ainsi trois élèves en 2nde, sept en 1ère et trois en terminale. « Je suis un peu désespérée quand je vois des classes de plus de 25 élèves en espagnol. C’est déséquilibré ! L’allemand perd sa place alors que dans le monde professionnel les profils germanistes sont davantage recherchés. Il y a une pénurie de candidats. J’arrive tout de suite à placer mes jeunes dans des hôtels prestigieux autrichiens », souligne la professeure contractuelle qui dirige en parallèle une société dans le tourisme.
Beaucoup de professeurs d’allemand espèrent une vraie politique en faveur de leur discipline et souhaitent que la pédagogie ne soit plus opposée à la comptabilité.

*Le prénom a été modifié