Lycée pro : les raisons de la grève. Entretien avec Axel Benoist, co-secrétaire général du SNUEP-FSU. Image : Getty

Le 1er février, vous serez en grève pour dénoncer entre autres un lycée pro saboté par la réforme. En quoi celle-ci affecte-t-elle certaines filières ?

Le gouvernement souhaite réduire les capacités de formation de 15 % dans certaines filières notamment celles du commerce et de l’accueil qu’ils ne jugent pas assez propices à l’insertion sur le marché du travail ou à la poursuite des études. Nous contestons cette approche car les élèves de ces filières sont majoritairement des filles et, après ce premier diplôme, elles poursuivent généralement leurs études. Nous constatons surtout que l’apprentissage via les CFA se développe fortement dans ce domaine du tertiaire. Ce n’est pas l’intérêt des élèves qui guide cette réforme , mais celui des entreprises pour avoir une main-d’œuvre gratuite.

A la rentrée 2023, ce sont 146 fermetures de formations (sur 17 000) et l’ouverture de 230 formations qui étaient prévues pour proposer « des parcours attractifs et cohérents avec l’activité économique ». Le bilan est plutôt à la hausse, non ?

Effectivement, le gouvernement nous dit qu’il ne veut pas diminuer l’offre de formations en lycée pro et compte ouvrir en parallèle des formations dans le domaine de la production industrielle. Mais son objectif, c’est clairement d’envoyer nos jeunes vers les métiers qui ont du mal à recruter en raison de salaires faibles et de mauvaises conditions de travail, plutôt que d’encourager ces entreprises à améliorer leur attractivité. Ce n’est pas en orientant les jeunes vers ces formations que ça suffira à remédier à ces problèmes. A la rentrée prochaine, nous aurons 3 000 élèves supplémentaires dans les lycées professionnels publics or l’évolution des cartes de formation se fait quasiment en moyens constants. C’est aussi un problème. On doit écouter les envies de la jeunesse et les sections dans lesquelles elle veut se former, comme les métiers de bouche, mais on n’ouvre pas. Ce qui compte avant tout c’est d’avoir un diplôme pour ensuite être en mesure d’avoir un emploi et pour cela il faut que la formation corresponde aux goûts des jeunes.

L’année de Terminale comprendra un parcours différencié : de mi-mai à début juillet, les lycéens pourront suivre des cours ou aller en stage. Qu’en pensez-vous ?

Ce parcours différencié a pour corollaire une diminution des heures de formation. Les élèves pour accéder au bac pro vont perdre 170 heures de cours sur trois ans. Si on cumule ça avec les plus de 300 heures d’enseignement déjà perdues avec la réforme de 2018, ces élèves auront perdu plus de 500 h soit l’équivalent d’une demi-année de cours en lycée pro. Est-ce que l’on accepterait ça pour le lycée général et technologique ? Et puis ce stage a été présenté comme un premier job. On sort les élèves du lycée non pour qu’ils aillent se former, puisque ça ne comptera pas pour le diplôme, mais pour qu’ils aillent travailler. Ce n’est plus de l’école. On a des ministres qui retirent leurs enfants de l’école publique pour les mettre dans le privé afin qu’ils aient plus de cours, et dans le même temps on retire aux élèves des milieux les plus populaires du temps d’école ! Enfin, ce n’est pas l’entreprise qui rémunérera les jeunes, leur gratification de 100€ par semaine sera prise en charge par l’État et les fonds européens.



Il y a malgré tout des heures d’enseignement prévues pour les lycéens qui ne voudraient pas faire ce stage…


La plupart iront en stage, même s’ils ont fait des vœux sur Parcoursup, parce qu’ils gagneront 100 euros par semaine. Quand on connaît les difficultés financières des familles de nos élèves, c’est un élément qui penche en faveur du choix du stage. Mais effectivement, ce parcours sera flexible car les élèves qui commencent en stage pourront aller en cours et inversement. Mais les textes réglementaires ne définissent pas ces six semaines en établissement. Il n’y a pas de programme. On pourra préparer les lycéens qui seront encore dans l’établissement à l’épreuve « Prévention santé environnement » en juillet puis à leur oral de projet. Ils seront encore dans une ambiance de travail scolaire mais les autres en seront sortis depuis plusieurs semaines. On est sur une rupture d’égalité face à l’examen. Et puis, les conditions d’études vont être complètement chamboulées alors que la progression pédagogique ça se planifie.

Quel regard portez-vous sur le décalage de la plupart des épreuves du bac pro au mois de mai ?

Jusqu’à maintenant, le ministère nous a répété que les modalités des épreuves ne changeraient pas hormis leur décalage dans le temps. Mais avec 170h de cours en moins sur trois ans, peut-on vraiment aborder le même contenu dans les épreuves ? Il y a quatre semaines de cours en moins en Terminale, or c’est sur cette année que l’on prépare notamment les épreuves ponctuelles prévues dans certaines disciplines. Dans les matières professionnelles, on va avoir moins de temps pour rentrer dans les apprentissages, former les élèves aux savoir-faire et aux techniques. On a une grosse inquiétude.

Qu’exigez-vous à l’occasion de la journée de grève du 1er février et d’une manière générale face à ces réformes ?

Le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) a émis un vote défavorable concernant cette nouvelle organisation de la Terminale Pro. Il n’y a pas eu une voix pour, ce qui est quand même inédit ! Ce que l’on souhaite avec l’intersyndicale c’est que l’actuelle ministre renonce à publier cet arrêté et  stoppe la réforme en cours pour que l’on puisse avoir un réel dialogue social. Nous voulons qu’il y ait un état des lieux du lycée professionnel et de ses besoins pour changer la réforme. Nous savons que nos élèves ont besoin de temps pour rentrer dans les savoir-faire, les techniques et la pratique. On ne dit pas qu’il faut rester sur un statut quo mais cette réforme ne prend pas la bonne voie. Avec la grève du 1er février, nous défendons l’amélioration des conditions de travail des enseignants et d’études des lycéens. Un autre lycée pro est possible.