Entretien avec Sara Fally, professeur de lettres modernes, psychologue, membre du groupe de travail sur le TDAH des enfants et adolescents à la Haute Autorité de Santé et auteure de « J’accompagne mon élève avec un TDAH » (éditions Ellipses).
Qu’est-ce qui vous a amenée à avoir la double casquette de professeur et de psychologue ?
J’ai commencé à enseigner en tant que professeur de français il y a un peu plus de 20 ans. J’ai accueilli en classe ordinaire des élèves à besoins spécifiques, avec des troubles du spectre autistique, d’autres avec des troubles du langage, de l’attention, etc. Je ne savais pas comment les aider et je ne trouvais aucune formation au sein de l’Éducation nationale alors je me suis informée en lisant des livres et en suivant des Moocs. Je me suis finalement inscrite à l’université tout en continuant à travailler, ce qui n’était pas simple, et j’ai obtenu mon Master en psychologie. Aujourd’hui, je travaille à temps partiel au collège et au CHU de Montpellier. Ces deux activités sont très complémentaires.
Comment peut se manifester le TDAH d’un élève en classe ?
Le TDAH est un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité. S’ils ne sont pas hyperactifs, ces élèves ne font pas toujours de bruit et peuvent passer inaperçus. Ils sont surtout un peu dans la lune, distraits. Les élèves avec un TDAH oublient fréquemment leur matériel, les consignes… Il faut leur répéter souvent les choses. Leur mémoire de travail peut être moins performante. Ils ont également du mal à s’organiser, à prioriser leurs tâches et à gérer leur temps. Ils procrastinent et réalisent les tâches plus lentement. Ces enfants sont souvent davantage intolérants à la frustration et à l’échec. Il n’y a que 10 % des TDAH qui n’ont pas de trouble associé (trouble anxieux, du sommeil, dys, trouble oppositionnel avec provocation…). L’enseignant est surtout gêné par l’hyperactivité car il redoute de ne pas pouvoir accomplir sa mission avec le reste de la classe. L’enfant TDAH, lui, est davantage perturbé par son inattention. L’ensemble des manifestations du TDAH à l’école peuvent le stigmatiser, le dévaloriser et affecter son estime de soi.
Quelle est la formation des enseignants pour comprendre et épauler ces élèves ?
Depuis 2020, dans la formation initiale, il y a 25 heures pour parler des élèves à besoins spécifiques mais cette introduction évoque aussi les enjeux de l’école inclusive, les différents dispositifs, les aménagements possibles, la distinction des différents troubles, la coopération avec les divers acteurs… C’est insuffisant pour tout aborder ! Quant à la formation continue sur le sujet, elle est rare et se fait plutôt sur le temps personnel or les professeurs sont débordés. J’anime parfois des formations pour eux mais c’est le plus souvent à l’initiative du CHU… Et puis, le TDAH n’est pas unanimement reconnu par les collègues, pourtant ça touche un à deux élèves par classe. Au Canada, les enseignants y sont mieux formés, ils peuvent anticiper et gérer ces situations. Les élèves TDAH ont alors plus confiance en eux, sont plus efficaces et développent plus leurs compétences sociales.
Qu’est-ce que les professeurs peuvent mettre en place pour aider ces élèves sans que cela ne soit chronophage ou énergivore ?
Difficile de faire de la pédagogie différenciée quand on a 30 élèves dans sa classe. Il faut une stratégie applicable à tout le monde. Il faut peu de règles mais les expliquer clairement. Je recommande de privilégier l’enseignement explicite appliqué au comportement. D’habitude, on dit simplement ce qu’il faut faire ou non dans la classe. Là, on montre aux élèves par exemple avec une petite vidéo des comportements inadaptés pour aller au CDI, à la cantine, en cours etc. On demande aux élèves ce qui ne va pas et ce qu’ils devraient faire. Ensuite, on leur montre comment se comporter et on les fait pratiquer physiquement. Ça prend quelques jours à la rentrée mais après c’est intégré pour la majorité des élèves. On laisse juste un résumé affiché dans chaque pièce.
Et pour les exercices en classe, que peut-on privilégier ?
Pour soulager les TDAH, mais aussi les élèves avec un trouble du spectre autistique, il est intéressant de mettre en place des routines, avec toujours le même style d’exercices. Ainsi, ils n’ont pas à faire un effort d’attention pour écouter la consigne. Ils savent ce qu’ils doivent faire et ça les sécurise. Attention car les consignes doivent être courtes, simples et sans double tâche. Il faut malgré tout varier les activités surtout dans le 2nd degré : travail à l’oral, à l’écrit, en individuel, en groupe…
Que faire si l’élève s’agite ?
On ne peut pas lui demander de rester calme pendant tout le cours sinon son énergie sera toute dédiée à cette demande et moins axée sur le travail cognitif. Parfois la stimulation motrice aide l’élève à fixer son attention. Si les perturbations restent mineures et ne gênent pas le reste de la classe, mieux vaut les ignorer. Sinon, on rappelle juste la règle en se déplaçant à proximité de l’enfant.
Que faire s’il parle et interrompt souvent le cours ?
L’élève qui a un TDAH est impulsif et comme il a peur d’oublier ce qu’il veut dire, il intervient souvent. La punition ne sert à rien. Ces élèves l’ont déjà été maintes fois au cours de leur scolarité et ça finit en surenchère disproportionnée. Mieux vaut demander à l’enfant d’écrire sur son bloc notes ce qu’il veut dire pour patienter. On peut aussi lui lancer le défi de rester silencieux 5 mn, et la fois d’après 10 mn et on lui accorde un privilège. On peut lui mettre trois languettes de post-it sur sa table, chacune lui donne le droit de prendre la parole pendant le cours. Il va essayer d’économiser les languettes. On peut aussi faire du renforcement positif : le féliciter parce qu’il a levé la main par exemple, car ça lui demande davantage d’efforts qu’à un autre élève. Particulièrement sensible aux gratifications immédiates, il aura envie d’être de nouveau félicité et adoptera encore ce comportement espéré. Si on ne le félicite pas, il se sentira tout le temps mauvais et se demandera à quoi bon faire des efforts.
Comment maintenir son attention ?
On peut construire le cours autour d’une question courte que l’on mentionne au début de l’heure pour que les élèves sachent où on veut les emmener, ce que l’on veut leur apprendre. A l’écrit, on simplifie la présentation, on aère le texte, on utilise une police sans empattement, on retire les illustrations superflues qui peuvent détourner son attention. L’AESH peut plier la feuille pour lui montrer une partie de la copie à la fois. A l’oral, quand on demande de faire attention, on dit pourquoi et surtout à quoi il faut être attentif. On fait des pauses quand on parle, on se déplace, on écrit les mots importants au tableau. On fait souvent reformuler les élèves. On établit un contact visuel et on se rapproche d’eux.
Des conseils s’il oublie souvent ses affaires ?
Un élève qui a oublié ses affaires en est déjà puni car il doit trouver une alternative. Il redoute les réflexions de ses parents, de son professeur… Inutile d’en rajouter. En revanche, on peut lui donner des stratégies comme avoir ses trousses en double (ou triple en cas de garde alternée) : une qui reste dans le cartable, l’autre à la maison. On accroche l’emploi du temps devant son bureau, à proximité du cartable plutôt que sur le frigo. On accorde une couleur par matière pour qu’il distingue plus facilement ses cahiers.
Comment travailler efficacement avec les parents ?
Certains parents d’enfant TDAH ont aussi ce trouble de l’attention et ont pu avoir une scolarité problématique. Ils peuvent avoir un ressentiment vis-à-vis de l’école. Je préfère communiquer avant qu’il n’y ait un problème. En tant que professeur principal, j’essaie d’appeler les parents de tous les élèves en début d’année pour établir un premier contact positif. Si je dois les appeler pour un souci par la suite, l’échange sera moins tendu. C’est important de rester factuel, sans juger, et d’expliquer calmement les faits. Si la communication est bloquée, on fait intervenir un tiers (CPE, chef d’établissement…). Et concernant les devoirs à faire à la maison, en tant que professeur, on lâche prise : ce n’est pas grave si l’élève n’a pas fait tous les exercices. En outre, des élèves TDAH sont médicamentés et leur traitement fait moins d’effet en fin de journée. Si les devoirs créent des tensions au sein de la famille et se font au détriment du bien-être de l’élève, ce n’est pas souhaitable.
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