Pour le collectif Maths&Sciences, « c’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’on a aussi peu de bacheliers scientifiques, et en particulier aussi peu de femmes, à s’orienter vers les STEM après le Bac ». Image : Getty

Suite au rapport « Filles et mathématiques : lutter contre les stéréotypes, ouvrir le champ des possibles », publié le 7 mai 2025 par l’inspection générale, le Collectif Maths&Sciences a rédigé une note d’analyse sur la filière STEM. Pouvez-vous nous rappeler ce que c’est ?

Les STEM, c’est le secteur des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (acronyme de science, technology, engineering, mathematics en anglais, Ndlr). Les STEM du rapport excluent la biologie, la santé et les sciences de la Terre qui sont les disciplines des formations du supérieur vers lesquelles s’orientent massivement les filles. Au lycée, cela revient à exclure les sciences de la vie et de la Terre (SVT). L’objectif de l’étude était de voir la place des filles dans les autres disciplines scientifiques.

Quelle est l’importance des STEM en termes d’emplois d’avenir ?

Tout secteur de la Hi-tech a besoin des autres sciences (sociologie, psychologie…). Mais s’il n’y a pas de STEM, il n’y a pas de recherche et d’innovation. C’est ce qui permet d’avancer, de créer. C’est donc très important d’avoir des jeunes qui vont vers ces filières et notamment des filles.

Entre 2020 et 2021, il y a une baisse d’environ 11 % des bacheliers scientifiques choisissant cette filière dans le supérieur. Pour les bacheliers hors SVT, la baisse est de 17 % chez les garçons et 34 % pour les filles. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

Ces chiffres sont assez inquiétants. C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’on a aussi peu de bacheliers scientifiques, et en particulier aussi peu de femmes, à s’orienter vers les STEM après le Bac. C’est vraiment un signal d’alerte. A priori, tout le monde s’en fiche pour l’instant parce que, globalement, le vivier n’a pas bougé en termes d’effectifs dans le supérieur. Par contre, il a bougé en terme d’origine scolaire. Les étudiants en STEM n’ont pas du tout le même profil à leur arrivée.

En quoi cette hétérogénéité de profils dans la filière STEM post-bac pose-t-elle problème ?

Avant, on avait majoritairement des bacheliers S. Quand on accueillait des élèves de ES qui avaient fait des maths mais pas de sciences, ils avaient besoin d’un an de remise à niveau. Ce n’était pas toujours facile. Là, on n’a pas encore les résultats, mais on risque de voir des jeunes vraiment démunis, parce qu’ils ont un défaut de formation au départ qui est très important. C’est la première fois qu’on a ce genre de public dans nos filières.

Le Collectif Maths&Sciences pointe du doigt la réforme du bac. En quoi a-t-elle affecté l’orientation en STEM ?

Les parcours scolaires ne sont pas linéaires et c’est normal. Sauf qu’auparavant, quand on ne savait pas quoi faire, on allait en S. Un parcours polyvalent, scientifique, qui permettait ensuite d’aller aussi bien en sciences, qu’en droit, qu’en lettres… On pouvait choisir. Aujourd’hui, ce qui correspond le plus à cette filière S et qui ferme le moins de portes, c’est le choix des spécialités maths-physique mais il ne contient plus de SVT.  On y retrouve uniquement les très bons élèves mais tous n’ont pas fait de choix pour le supérieur (prépa lettres, prépa sciences…) et beaucoup ne vont pas en STEM. Si on voulait avoir des parcours mieux organisés, il faudrait donner à tout le monde un bagage qui permette de choisir.

La polyvalence qu’offrent les spécialités maths et physique-chimie devrait leur permettre d’attirer plus de lycéens, non ?

Oui, mais c’est devenu beaucoup plus difficile d’y aller car on dit aux jeunes de choisir ces spécialités seulement s’ils sont très motivés alors qu’auparavant, pour aller en S, il suffisait d’être bon dans ces matières. On a refermé l’accès aux maths et aux sciences globalement. Donc, on les a rendus beaucoup plus élitistes.

Pourquoi dissuader les jeunes de prendre ces spécialités ?

C’est un choix politique qui consiste à ne pas vouloir proposer un enseignement scientifique aux lycéens qui n’en auront pas besoin après le bac. On présente ces disciplines aux mordus de maths qui sont super motivés. Donc, si un jeune ne sait pas quoi faire après le Bac, il ne fait pas ces spécialités.

Il y a aussi davantage de spécialités proposées depuis la réforme du lycée…

Oui, avec la création des spécialités, on a mis en concurrence les sciences avec beaucoup d’autres matières. Et alors que tous les élèves en Terminale font trois heures d’histoire-géo, quatre heures de philo dans le tronc commun, il n’y a pas d’équivalent pour les maths ou les sciences (2 heures d’enseignement scientifique, Ndlr). Or il y a cinq disciplines scientifiques : maths, Physique-chimie, SVT, NSI (numérique et sciences informatiques), SI (sciences de l’ingénieur).

Il y a également moins de bacheliers STEM (hors SVT) : – 41 % pour les garçons et -70 % pour les filles entre 2020 et 2021… Cela peut influer sur l’orientation en STEM en post-bac, non ?

Oui, le vivier a diminué. Quand on réduit la base en acceptant seulement les lycéens très motivés par les sciences dans ces spécialités, même si la base est grosse au départ, on diminue aussi les possibilités d’avoir des étudiants en STEM. C’est ce qui se passe. Or ces élèves indécis, s’ils avaient fait des spécialités scientifiques, auraient pu changer d’avis et s’orienter en STEM.

Pourquoi le plan « Filles et Maths », dévoilé par le ministère de l’Éducation nationale pour féminiser les formations et métiers scientifiques et techniques, ne pourra enrayer ces baisses, selon votre collectif ?

Ce plan vise à côté du problème car il ne questionne pas la réforme. Or les problèmes du lycée viennent d’elle, ils n’étaient pas présents avant. Le plan prétend résoudre le problème avec des politiques de cible. Ça ne peut pas marcher. C’est la structure qui interdit aux anciens élèves en sciences économiques et sociales d’avoir un cours de maths adapté. Tant qu’il n’y en a plus, il n’y a aucune raison pour qu’on puisse les orienter à nouveau vers les maths.

Et pour les filles qui veulent s’orienter vers la santé et la biologie, en terminale, le système leur impose d’abandonner une spécialité. C’est ridicule de les forcer à abandonner la SVT pour prendre les maths alors qu’elles veulent aller en SVT !

Et quand vous pointez du doigt cet argument-là, qu’est-ce qu’on vous répond ?

On dit que de toute façon, si elles vont en santé, ce n’est pas grave qu’elles ne fassent pas de maths.  C’est faux et en plus ça ferme les portes vers les prépas.

Et en terminale, elles peuvent prendre l’option maths complémentaire par exemple, non ? 

Ce n’est pas du tout suffisant, c’est moitié moins d’heures. Après, elles se retrouvent en concurrence avec des gens qui en ont fait 6 ou 9 heures et c’est très difficile à rattraper, à moins d’avoir de l’aide à la maison ou des cours intensifs en plus. Ce qui est très inégalitaire socialement. Il est plus facile de rattraper son retard en SVT au vu du programme.

Que préconisez-vous pour enrayer la baisse des effectifs féminins en STEM ?

Il faudrait pouvoir garder les trois spécialités en Terminale et avoir des offres de cours de maths adaptés à un plus large public. C’est indispensable si on veut retrouver un équilibre de l’accès aux maths et aux sciences.