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En quoi la réforme du lycée et du bac a-t-elle modifié l’enseignement des SVT, notamment en termes de volume horaire ?

David Boudeau : En 2nde, il y a toujours 1h30 d’enseignement de SVT. En 1ère et en Terminale, il y a eu d’une part la création d’une nouvelle discipline d’enseignement scientifique de 2 heures dans le tronc commun, dans laquelle les enseignants de SVT sont impliqués, et d’autre part la spécialité SVT de 4h en 1ère et de 6h en Terminale. Par rapport à l’ancien bac S, on a une augmentation du volume horaire des SVT chez les élèves prenant la spécialité. On est passé de 3h30 à 4h en première et pour les élèves qui choisissaient la spécialité SVT en Terminale S on était à 5h30 contre 6h désormais. Mais il y a des mais…

Quels sont ces aspects moins positifs ?

David Boudeau : L’aspect négatif, c’est la mise en place d’un choix de spécialités. La spécialité SVT en 1ère est moins demandée par rapport à l’ancienne filière S. De plus, nous observons une baisse de 2 % des effectifs par rapport à l’an dernier. Cela nous inquiète grandement au vu des enjeux du supérieur, des besoins de formation pour les métiers dans le domaine du vivant, de la santé, de l’agronomie, de l’environnement, la gestion des ressources…

A quoi attribuez-vous cette baisse d’effectif ?

David Boudeau : Il y a une concurrence qui se fait entre les disciplines, qu’elles soient scientifiques ou pas. Notre discipline n’est pas suffisamment considérée dans l’imaginaire collectif. Elle est pourtant fondamentale au vu des enjeux, dans la construction intellectuelle des élèves, dans la démarche expérimentale… Demander à des lycéens d’abandonner une spécialité, c’est trop précoce car ils ont encore un manque de maturité et une vision de l’avenir réduite. C’est quelque chose qu’il faudra corriger… Il ne faut pas oublier qu’il y a de nombreux débouchés professionnels liés à des besoins dans l’agronomie, l’environnement, la santé : c’est un enjeu stratégique pour notre pays. La crise sanitaire en est témoin. Ces métiers passent par l’enseignement des SVT.

Beaucoup de lycéens qui souhaitent intégrer une formation scientifique post-bac délaissent notamment les SVT en Terminale au profit des maths et de la physique-chimie. Quels problèmes cela amène-t-il dans le supérieur ?

Christophe Guégo : Avec la série S, les étudiants de première année de licence de Biologie présentaient une certaine homogénéité de profils. Environ 80 % de nos étudiants étaient issus de la série S. Le problème avec la réforme du lycée, c’est que des étudiants arrivent en 1ère année de licence de biologie en ayant abandonné la spécialité SVT en Terminale… Or en 1ère année de licence de biologie, il y a plus d’enseignement de biologie que de mathématiques, de physique ou de chimie. On se retrouve avec un public plus hétérogène, d’où la nécessité de mettre en place une remise à niveau, ce qui pose problème étant donné les effectifs lourds en université. Avec la réforme du lycée, on demande aux élèves en fin de 1ère d’abandonner une spécialité, alors que toutes les matières scientifiques sont importantes pour la première année universitaire. C’est un paradoxe de demander aux jeunes une forme de spécialisation précoce au lycée, alors qu’à l’université une culture scientifique initiale solide dans tous les domaines est nécessaire pour s’adapter et réussir ses études.

Certaines de ces thématiques sont tout de même abordées dans l’enseignement scientifique…

Christophe Guégo : L’enseignement scientifique est plus succinct, moins approfondi que l’enseignement de spécialité. En outre, il signe la perte d’identité des Sciences de la Vie et de la Terre, parfois considérées comme une matière secondaire facilement rattrapable en 1ère année de fac. Une de nos difficultés réside également dans le fait que trop de filières du supérieur comme les sciences médicales ou les parcours agro, véto ont tendance à considérer qu’il vaut mieux garder les mathématiques et la physique-chimie au détriment des SVT.

David Boudeau : Il n’est pas possible de rattraper les SVT aussi facilement dans le supérieur. Le choix de cette spécialité est fondamental si les élèves se destinent à ces voies-là. Nous avons demandé avec la Fédération Biogée que la sélection après le bac par Parcoursup se fasse en tenant compte de la discipline majeure pour la filière, comme les SVT pour toutes les filières biologie, géologie, santé, agro, véto…. Il est évident qu’un élève qui se destine à poursuivre dans ces filières d’enseignement supérieur doive poursuivre la spécialité SVT en Terminale. Il faut casser les anciennes logiques de série qui privilégiaient des choix de raison aux choix de cœur.

Et le programme des SVT, est-il suffisamment complet ?

David Boudeau : Nous sommes assez satisfaits du programme proposé en spécialité SVT. On traite des domaines très vastes qui abordent la santé, la géologie, l’environnement, l’écologie… Des thématiques qui étaient peut-être moins abordées jusque-là, du fait qu’on avait moins d’horaire d’enseignement. Cette revalorisation des programmes était nécessaire mais l’université n’en profite pas car l’abandon de la spécialité SVT par certains lycéens crée un déficit difficile à combler par la suite. Le problème est que les épreuves de spécialité du Bac arrivent trop tôt dans l’année (mars) et cela ne permet pas de traiter convenablement l’entièreté du programme…

Valérie Masson-Delmotte, la co-présidente du GIEC, regrettait dans le JDD que les notions essentielles à la compréhension du changement climatique ne soient pas abordées…

David Boudeau : Dans l’enseignement scientifique du tronc commun, le changement climatique est abordé en Terminale. Il se base essentiellement sur le fonctionnement actuel du climat, les conséquences des émissions anthropiques de CO2 et les adaptations qui devraient être mises en place. Le bémol, c’est que cela représente une portion congrue du programme par rapport aux autres disciplines du tronc commun. Nous n’avons que quelques séances de 2 heures sur l’année pour traiter ce thème alors qu’en spécialité SVT, on voit l’évolution du climat de manière approfondie. Il faudrait certainement y accorder plus d’heures dans le tronc commun aussi.

Mi-février, le climatologue Jean Jouzel a remis un rapport à Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement Supérieur, pour « sensibiliser et former » tous les étudiants de bac +2 au développement durable et à la transition écologique d’ici 2027 et former tous les formateurs… Qu’en pensez-vous ?

David Boudeau : Si les lycéens avaient un enseignement plus riche en SVT, cette nécessité de former dans le supérieur à ces thématiques-là ne serait plus nécessaire.

Christophe Guégo : Si ça n’a pas été vu dans l’enseignement secondaire, il est difficile de sensibiliser les élèves, de les raccrocher après…

A quelques jours de la présidentielle, qu’attendez-vous ?

Christophe Guégo : Il y a une question de visibilité des sciences du vivant et de la Terre par les élèves comme par le grand public. Les SVT sont noyées dans l’enseignement scientifique. L’idée serait de pouvoir conserver ces trois spécialités en classe de Terminale. C’est une aberration de demander à un élève de choisir trois spécialités sachant qu’un an après il devra en abandonner une, avec de très fortes chances de la retrouver dans l’enseignement post-bac.

N’est-ce pas quelque part revenir à ce qui existait avant avec la Terminale S ?

Christophe Guégo : La série S présentait l’avantage d’offrir un équilibre entre les trois grandes matières scientifiques (maths, physique-chimie et SVT)… C’est pourquoi nous proposons de revenir à trois spécialités en Terminale au lieu de deux.

David Boudeau :  Un point positif de la réforme, c’est la possibilité pour le lycéen de choisir des combinaisons nouvelles très intéressantes en lien avec les SVT, par exemple, l’association SVT et SES pour tout ce qui est filière paramédicale ou Staps.
Il y a autre chose que je demanderais également au futur gouvernement, c’est de revaloriser l’enseignement des SVT pour les plus jeunes, du collège jusqu’à la fin de la 2nde. On a environ 240 h de SVT sur cette période alors que la physique-chimie est à plus de 300 h et les mathématiques à plus de 600 h.

Y a-t-il d’autres points qui soulèvent votre insatisfaction ?

Christophe Guégo : L’autre point qui mériterait d’être revu c’est la formation initiale des enseignants.Malheureusement, la réforme a déplacé la position du concours du M1 au M2. L’entrée dans le métier en tant que professeur stagiaire lauréat de concours est retardée d’un an, ce qui induit une entrée dans le métier plus difficile et renforce encore la perte d’attractivité. On avait déjà connu le concours en 2ème année de Master il y a une dizaine d’années et on en avait mesuré les effets catastrophiques. Au cours de son année de M2, l’étudiant qui n’est plus fonctionnaire doit tout à la fois préparer le concours, gérer un tiers de service d’enseignement face à des élèves, suivre ses cours à l’INSPE, ce qui est très lourd et source de démoralisation. Nous aimerions que cette entrée dégradée dans le métier soit également revue. Ça fait beaucoup pour un métier qui avait pourtant déjà souffert d’une perte d’attractivité avant cette nouvelle réforme de la formation des enseignants.