Interview de Christophe Marsollier, inspecteur général de l’Éducation nationale, sur le sujet de la vulnérabilité des élèves. Image Getty

Christophe Marsollier, inspecteur général de l’Éducation, du sport et de la recherche, et membre du laboratoire BONHEURS à l’université de Cergy-Pontoise, vient de publier « L’attention aux vulnérabilités des élèves ». Entretien.

Dans votre livre, vous abordez la question de la vulnérabilité des élèves. De quoi s’agit-il ?

La notion de vulnérabilité est peu employée dans le champ de l’éducation nationale, hormis dans celui du handicap. « Vulnus » signifie la blessure en latin. La vulnérabilité, c’est la potentialité à être blessé, touché, affecté. Cette notion renvoie bien sûr aux élèves à besoins éducatifs particuliers. Mais tous les élèves sont vulnérables puisqu’ils sont jeunes, qu’ils ont une immaturité physique et psychologique. De plus, la relation pédagogique à l’école est asymétrique : l’enseignant est debout quand l’élève est bien souvent assis. Il dispose d’une expérience, d’une maturité, d’un savoir et de compétences que l’élève n’a pas. Cette asymétrie ajoute de la vulnérabilité à celle intrinsèque de tout jeune. Un enfant ou adolescent est beaucoup plus susceptible d’être blessé qu’un adulte.

Quelles sont les situations, personnelles et scolaires, qui peuvent rendre les élèves plus vulnérables ?

Les élèves les plus reconnus comme vulnérables sont ceux en situation de handicap (troubles neuro-développementaux, psychologiques, physiologiques, organiques, cognitifs, élèves à haut potentiel intellectuel, élèves allophones). A ceux-ci s’ajoutent les élèves aux besoins éducatifs particuliers qui ne sont pas en situation de handicap. Ils sont beaucoup plus nombreux car de multiples parents se trouvent affectés par des problématiques personnelles qui les empêchent d’être pleinement disponibles pour répondre aux besoins de leurs enfants. Parmi les élèves en situation de grande vulnérabilité, nombreux sont victimes de violence éducative ordinaire intra-familiale. Cette violence est encore très présente en France même si elle est interdite depuis la loi du 10 juillet 2019. A cette violence éducative ordinaire s’ajoute parfois, à l’école, la violence pédagogique ordinaire envers l’élève : des injonctions paradoxales, des évaluations surprises, des stigmatisations, des humiliations, des prises à témoin… Un élève qui va bien et dont les parents s’occupent va relativement supporter ces violences tandis qu’un élève déjà vulnérabilisé chez lui risque davantage d’être touché par les remarques, les feedbacks négatifs de l’enseignant.

Les vulnérabilités peuvent être souvent passagères, mais chez les élèves en situation de handicap elles sont durables.

Quel peut être l’impact de ces vulnérabilités sur la scolarité des élèves ?

Ces élèves peuvent ressentir des sentiments de honte, de peur, d’injustice, de rejet, de trahison, voire d’abandon quand l’enseignant ne veut ou ne peut s’occuper d’eux. Ils peuvent se replier sur eux ou être violents verbalement, s’opposer… Un sentiment de grande vulnérabilité peut donner lieu à de l’absentéisme, du décrochage, des addictions, de la dépression. Beaucoup d’élèves développent des masques sociaux pour s’adapter aux attentes de l’enseignant, aux exigences de la vie collective et/ou cacher leurs difficultés. Ils peuvent adopter en apparence des comportements d’élèves gentils ou se montrer costauds, prétendre que les punitions ou remarques ne leur font rien… Il y a plusieurs types de masques possibles ; ils témoignent que l’élève n’est pas dans son « vrai self », qu’il n’est pas authentiquement lui-même. Ces masques les empêchent d’être complètement impliqués dans l’apprentissage.

Comment détecter ces situations de grande vulnérabilité en tant que personnel éducatif ?

Le repérage nécessite une attention à ce que l’on appelle les signes de vulnérabilité. Beaucoup d’enseignants n’ont pas attendu que l’on théorise la vulnérabilité pour y être attentifs. Mais il est utile de former davantage les professeurs à la psychologie du développement de l’enfant, notamment à la psychologie de la motivation scolaire et du bien-être, car elles permettent de comprendre le fonctionnement des vulnérabilités. C’est tout l’objet de mon travail depuis trois ou quatre ans qui s’est formalisé par l’écriture de cet ouvrage ainsi que la création d’un séminaire national de formation portant sur les vulnérabilités, en direction des formateurs académiques et des cadres.

Comment faire pour aider ces élèves ?

Aider les élèves à besoins éducatifs particuliers, durables ou momentanés, suppose de comprendre ce que signifie la notion de vulnérabilité, à quoi elle renvoie, quels sont les facteurs de vulnérabilité (ceux internes à la vie familiale, à la personne, au contexte, ceux internes à l’école) qui parfois se combinent. Il est aussi nécessaire de connaître les types de vulnérabilités (psychologique, sexuelle, physique, psycho-sociale, socio-linguistique, résidentielle, climatique, numérique…)  et de distinguer les vulnérabilités ordinaires, auxquelles sont confrontées tous les enfants (risque de décrochage cognitif, tensions avec les camarades, propos sexistes…), des grandes vulnérabilités (un enfant qui est battu par ses parents, humilié par un professeur, qui subit des violences sexuelles intra-familiales, qui est harcelé…), qui fragilisent considérablement les élèves.

Comment peuvent-ils ensuite accompagner ces élèves ?

L’accompagnement des vulnérabilités est facilité par la formation à l’écoute active, ce que l’on appelle l’écoute rogérienne du nom de Carl Rogers (psychologue américain du 20ème siècle, Ndlr). Il s’agit d’une écoute centrée sur la personne qui demande de la considération positive, de l’empathie et d’être soi-même, authentique. Certaines académies forment à cette écoute positive. Beaucoup d’enseignants savent communiquer avec les élèves en étant dans la posture de sachant mais une formation de quelques heures peut aider à adopter cette posture d’écoutant et accueillir les émotions des élèves. Cette écoute leur permet de connecter leurs besoins fondamentaux à l’endroit desquels ils se sentent blessés (besoin d’être en sécurité avec l’adulte, besoin d’être considéré, besoin de trouver du sens/ de la motivation, besoin de justice…).

On demande beaucoup aux enseignants. Mais il faut comprendre que l’école ne peut progresser qualitativement que si les personnels apportent suffisamment d’écoute et d’aide aux élèves traversant des situations de vulnérabilité. Les enseignants ont un rôle très important dans le développement de l’enfant. Consacrer cinq minutes d’écoute spécifique à un élève différent chaque jour permet déjà à quelques-uns d’aller mieux. Si l’enseignant se sent incapable d’aider, il peut signaler un problème et orienter l’élève vers le CPE, l’infirmière ou le médecin scolaire… L’autre levier très puissant pour améliorer le bien-être des élèves, ce sont les espaces de parole qui voient le jour dans plusieurs centaines d’établissements. Deux à quatre élèves sont écoutés par un adulte formé (CPE, infirmière…). Les résultats montrent que ces moments de régulation s’avèrent très efficaces. Bien sûr d’autres dispositifs peuvent s’y ajouter.