Juliette Duquesne
Juliette Duquesne credits Patrick Lazic

Pouvez-vous nous rappeler ce qui a motivé la création des Carnets d’alerte ?

En 2016, après avoir travaillé une dizaine d’années pour le journal télévisé de TF1, j’ai eu envie de prendre davantage le temps d’enquêter sur des sujets. J’ai créé avec Pierre Rabhi (figure du mouvement agroécologique, Ndlr) la collection Carnets d’alerte, des livres où j’enquête pendant un an et interroge entre 50 et 80 personnes. Ces ouvrages abordent des sujets qui nous paraissent fondamentaux pour l’avenir de l’humanité, qui sont liés à l’écologie, à des modèles économiques viables…
Je me suis rendu compte que j’avais beaucoup de matière et j’ai donc cofondé l’association Carnets d’alerte pour diffuser ces informations sous d’autres formes avec des articles, des ateliers dans les collèges et lycées, des vidéos…  

Le 14 avril, vous lancez le premier podcast d’une série de dix, avec le soutien de la CASDEN. Pourquoi investir ce nouveau média ?

Je ne pourrais pas faire de podcast si je n’avais pas réalisé auparavant ce travail d’écriture et de synthèse. Le podcast permet de raconter un peu plus les coulisses de l’enquête, les difficultés que l’on peut rencontrer pour avoir une information ou une interview… On y donne moins de précisions que dans un ouvrage mais le contenu est toujours aussi juste. Et les personnes peuvent faire quelque chose d’autre pendant qu’elles écoutent ces épisodes. Même s’ils ne durent qu’une dizaine de minutes, ils sont quand même assez complets.

Comment sont conçus ces épisodes ?

Dans cette première série, coproduite avec Wave audio, on essaye de choisir des thématiques qui nous paraissent intéressantes à l’intérieur de nos grosses enquêtes. Elles peuvent d’ailleurs être transversales comme c’est le cas par exemple dans le premier épisode sur l’alimentation et l’agriculture. A chaque fois, on commence par un état des lieux et on termine en exposant les solutions. La difficulté, c’est de rester global tout en donnant des exemples concrets.

Dans ce premier épisode, vous abordez l’agriculture. Pourquoi ce sujet ?

J’ai grandi en région parisienne. Au début, l’agriculture n’était pas un sujet qui m’attirait particulièrement. Ce sont mes enquêtes qui m’ont permis de découvrir son rôle central quant à la pollution, au modèle économique… Globalement, les chercheurs que j’ai interrogés, notamment Serge Morand et Jean-François Guégan, montrent depuis des années un lien entre la baisse de la biodiversité, en grande partie due à notre agriculture industrielle, et la hausse des épidémies. Nous ne sommes pas encore certains de la chaîne de transmission de la Covid-19 mais d’après les chercheurs, s’il n’y avait pas eu cette épidémie, il y en aurait eu une autre. Un exemple que je donne dans le podcast et qui est assez révélateur, c’est le cas du virus Nipah. Suite à la déforestation en Malaisie, les chauves-souris privées d’abri et de nourriture, ont quitté ces forêts profondes. Elles ont mangé des fruits à côté d’élevages de cochons qui ont aussi consommé ces fruits. Les cochons puis l’Homme ont été contaminés par le virus. Là on a vraiment vu la chaîne de transmission.

Quels sont les premiers sujets de cette série de podcasts ?


Outre ce premier épisode intitulé « L’agriculture, là où tout se joue », qui sort sur les plateformes d’écoute le 14 avril, chaque semaine il y aura un nouvel épisode : « La croissance verte : une équation impossible », « L’avenir de l’eau passe par l’agroécologie », « L’Intelligence Artificielle, entre mythes et réalités »…

Quel est l’objectif de ces podcasts ?

Mon travail consiste surtout à informer et à synthétiser les analyses des différents acteurs de la société civile (chercheurs, associations, entrepreneurs, politiques, anciens salariés…) pour avoir une vision globale. On pourrait dire que ce sont des enquêtes engagées car elles parlent de thématiques environnementales mais je ne suis pas née avec cet intérêt pour ces sujets, ce sont mes enquêtes qui m’ont conduite à travailler dessus. Bien sûr, éveiller les consciences c’est intéressant mais l’objectif c’est d’aider les gens à se faire leur propre opinion et permettre des débats intellectuellement honnêtes à partir d’informations vérifiées. Par exemple, on entend très rarement que dans le monde 85% de l’eau est consommée par l’agriculture et que souvent le changement climatique est révélateur d’une mauvaise répartition et gestion de l’eau sur un territoire.

Vous intervenez dans les collèges et lycées sur ces sujets. En quoi cela vous paraît-il important ?

Souvent ces ateliers abordent à la fois la manière de s’informer aujourd’hui et les sujets traités par Carnets d’alerte. C’est très intéressant car les élèves de 3ème ou les lycéens préparent eux-mêmes la conférence, posent des questions et deviennent un peu des journalistes. Ils ont l’impression que c’est très facile de s’informer mais ils le font souvent sur les réseaux sociaux. J’explique comment vérifier les informations, les recouper…
Ils sont souvent plus sensibles que les adultes aux sujets environnementaux. La dernière fois, on a beaucoup échangé sur la surconsommation. Ils ont conscience des dangers de la pollution pour la planète et en même temps on est tous pris dans nos incohérences : 88% des téléphones portables qui sont changés fonctionnent encore.
Je ne suis pas là pour prêcher la bonne parole mais pour engager le débat, montrer que ce n’est pas si facile de se faire une opinion et qu’elle peut être manipulable. Cet échange entre générations est essentiel pour l’avenir.

Pour écouter les podcasts de Carnets d’Alerte : https://carnetsdalerte.fr/podcast