Luis Galindo

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis chargé d’expertise au sein de la direction de la recherche et du développement du réseau Canopé, et chercheur associé au laboratoire Techné, à l’université de Poitiers. J’y travaille notamment sur les interactions, la collaboration entre les humains et les machines.

Comment définiriez-vous, en quelques mots, l’intelligence artificielle ?

Quand je présente l’intelligence artificielle aux enseignants ou aux élèves, je commence par leur demander ce que cela évoque pour eux. Souvent, le premier mot cité est « robot ». YouTube, Instagram ou autre, ne sont presque jamais associés à l’intelligence artificielle. Mais en se familiarisant avec le concept, ils réalisent qu’il y a aussi de l’intelligence artificielle dans les réseaux sociaux, qu’il y en a partout en fait !

Concrètement, un modèle d’intelligence artificielle est un système qui comporte trois étapes : les données (ou jeu de données), l’algorithme d’apprentissage et la prédiction. Les données de la première partie vont être utilisées par l’algorithme d’apprentissage de la machine pour réaliser une prédiction. Pour Youtube, par exemple, l’algorithme va se baser sur les vidéos regardées, les endroits cliqués par l’utilisateur pour prédire quels contenus il voudra regarder.

Vous avez animé un atelier sur l’enseignement de l’intelligence artificielle lors de la journée Eidos64. En quoi consistait-il ?

Lors de cet atelier, j’ai exposé le travail mené avec une enseignante dans une classe de CM1/CM2, dans le cadre d’un projet du réseau Canopé : l’agence des usages. Nous avons monté, en collaboration, un atelier pour ses élèves de primaire, afin de leur faire comprendre comment l’intelligence artificielle fonctionne.

Comment faire comprendre l’intelligence artificielle à des élèves si jeunes?

Dans notre atelier, nous utilisons l’analogie du sandwich !

Nous commençons par leur expliquer le fonctionnement d’un algorithme traditionnel, comportant une entrée, un certain nombre d’étapes qui modifient l’entrée, et une sortie. Dans notre analogie, l’entrée est représentée par les ingrédients (tomates, steak, pain), les étapes sont le montage du sandwich (mettre un pain, une tomate, un steak…), et la sortie est le sandwich finalisé !

Ensuite, pour leur faire comprendre l’intelligence artificielle d’une machine nous reprenons la même analogie. L’entrée est représentée par les ingrédients mis à disposition de la machine, les étapes consistent en la préparation du sandwich par la machine, et en sortie nous obtenons le sandwich. Sauf que dans ce cas, il est possible d’obtenir en sortie un sandwich préparé n’importe comment ! Pourquoi ? Parce qu’une machine ne sait pas faire de sandwich. C’est nous qui devons lui apprendre à les préparer.

C’est ainsi qu’on revient aux étapes de l’intelligence artificielle : grâce aux données que nous fournissons à la machine (dans notre exemple, cela peut être des ingrédients, mais aussi des modèles de sandwichs permettant de comprendre comment faire) l’algorithme d’apprentissage va « s’entraîner » pour obtenir une prédiction correcte (un sandwich préparé comme nous le souhaitons).

Getty

Nous demandons ensuite aux élèves d’entraîner eux-mêmes un modèle d’intelligence artificielle grâce au site Machine Learning for kids. Avec des photos, ils essaient d’apprendre à la machine à reconnaître les hommes et les femmes. Cela fonctionne assez bien jusqu’au moment où on présente à la machine une photo de femme aux cheveux courts. L’intelligence artificielle la classe alors dans les hommes…

Cela leur fait comprendre que, comme la majorité des femmes sur les photos ont les cheveux longs, la machine a créé une règle selon laquelle les femmes doivent avoir des cheveux longs. Et là nous pouvons commencer à aborder les questions éthiques de l’intelligence artificielle. Nous leur citons notamment Amazon, qui avait créé un modèle d’intelligence artificielle pour classer les CV reçus. Seulement, comme ce modèle avait été surtout entraîné avec des données provenant d’hommes, il pénalisait les femmes, pensant que seuls les hommes pouvaient travailler chez Amazon…

Avez-vous mené le même type d’atelier avec des élèves plus âgés ?

Oui, mais nous utilisons les réseaux sociaux, cela leur parle davantage. Nous allons aussi un peu plus loin dans la partie programmation, et je leur montre parfois un peu de code Python, afin qu’ils comprennent que ce n’est finalement pas très compliqué de concevoir un modèle d’intelligence artificielle.

Et nous poussons aussi davantage les débats de société, à propos de YouTube par exemple, qui recommande des contenus en fonction de ceux déjà regardés. On peut alors évoquer avec eux certains problèmes éthiques, comme l’extrémisme. Quelqu’un qui regardera des vidéos racistes par exemple, s’en verra conseiller d’autres, renforçant ainsi les tendances de la personne…

Pourquoi selon vous est-il important d’enseigner l’intelligence artificielle dès les petites classes ?

Parce qu’elle est présente dans de nombreux aspects de la vie quotidienne ! Et elle le sera de plus en plus, donc il est très important de comprendre comment ces systèmes fonctionnent, et quels en sont les enjeux.