La part des contractuels à l’université a augmenté, passant de 30597 en 2014 à 34706 en 2021, soit une hausse de plus de 13%. Quelles sont les conséquences ? Image : Getty

« Aujourd’hui, c’était la prérentrée de la licence d’histoire dont j’ai la responsabilité. Cette année, moins de la moitié des heures de cours (46%) seront assurées par des enseignants titulaires de l’université », c’est le constat fait par Teva Meyer, maître de conférences en géopolitique et géographie à l’Université de Haute-Alsace, sur X (ex Twitter) le 4 septembre 2023.

Dans les universités, les enseignants titulaires sont des enseignants du second degré affectés dans le supérieur (Esas) ou des « enseignants-chercheurs », c’est-à-dire les maîtres de conférences et les professeurs des universités, qui ont à la fois pour mission d’effectuer de la recherche fondamentale et appliquée et de transmettre des connaissances aux étudiants. Cette baisse des heures de cours assurées par leurs soins semble toucher de nombreux établissements.

Moins d’enseignants-titulaires, plus de contractuels et d’étudiants

D’après le panorama des personnels enseignants de l’enseignement supérieur 2021, édité en 2023 par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, il y avait 70 221 titulaires en 2014 contre 68 536 titulaires en 2021 (-2,4%). Dans le même temps, la part des contractuels a augmenté, passant de 30 597 en 2014 à 34 706 en 2021, soit une hausse de plus de 13%. Et le nombre de titulaires devrait encore baisser si l’on en croit la note flash des SiES*, parue en juillet 2021. Celle-ci annonce que les départs définitifs (retraites et autres) des enseignants-chercheurs titulaires doivent augmenter de 67 % entre 2020 et 2028, en particulier en sciences avec une hausse de 119 %. Mélanie Guenais, maîtresse de conférences en mathématiques à la Faculté des Sciences d’Orsay et vice-présidente de la Société Mathématique de France, confirme la tendance. « On subit la même chose que tous les collègues des autres disciplines, à savoir que depuis 2008 avec la Loi LRU « libertés et responsabilités des universités , les universités deviennent autonomes sur leur budget y compris en ce qui concerne les ressources humaines. Comme le budget global alloué par l’État aux universités a baissé, les postes d’enseignants-chercheurs ont diminué. Depuis 2010, on a perdu en France à peu près 7 % des postes d’enseignants-chercheurs en maths ce qui représente environ 200 postes alors que le nombre d’étudiants a presque doublé dans la discipline », observe-t-elle. Du fait d’une gestion budgétaire propre à chaque université et de subventions allouées en fonction du nombre d’ appels à projets obtenus par chacune, il existe une grande disparité de niveaux entre les universités et certaines sont au bord de la faillite. Difficile dans ce cas de recruter des titulaires.

L’enseignement pas valorisant pour la carrière

D’autres faits peuvent expliquer la baisse des enseignants-titulaires assurant les cours en universités. Depuis 2021, pour améliorer l’attractivité des métiers scientifiques, la nouvelle loi pour la Recherche (LPR) prévoit une nouvelle voie de recrutement à travers la création de chaires de professeurs juniors. Ces contrats peuvent se transformer en postes permanents au bout de trois à six ans. Ces chaires présentent des avantages qui séduisent même les titulaires. « Ces postes sont bien payés et surtout ils comportent beaucoup moins d’heures d’enseignement, si bien que des enseignants-chercheurs demandent parfois ces chaires et ça constitue une fuite », remarque Mélanie Guenais. Résultat, ils sont moins présents pour assurer les heures de cours. Autre phénomène assez nouveau, certains enseignants-chercheurs recrutés sur des postes permanents diffèrent leur arrivée pour profiter de la situation qu’ils ont ailleurs et qui nécessite moins de charges d’enseignement. D’autres enseignants-chercheurs demandent des décharges d’enseignement. Derrière ce rejet des heures d’enseignement, une raison toute simple : « Le problème de notre métier c’est que le dossier d’évaluation de promotion dans les carrières est basé presque exclusivement sur la recherche. Or on a plusieurs missions : la recherche, l’enseignement, la diffusion scientifique, on ne peut pas tout faire donc on fait des choix », explique Mélanie Guenais. Et pour mieux valoriser leur carrière, certains enseignants-chercheurs priorisent la recherche au détriment des heures d’enseignement.

Des répercussions diverses

Sur le terrain, le manque d’enseignants-chercheurs a des répercussions diverses. Teva Meyer expliquait ainsi, toujours sur X, que cela engendrait une « instabilité des supports de poste car la pérennité des ATER (attaché temporaire d’enseignement et de recherche, Ndlr) n’est jamais assurée », mais aussi « des problèmes pour construire des emplois du temps contraints par la disponibilité des vacataires du secondaire ». Autres difficultés soulignées, « le temps passé à chercher de nouveaux vacataires chaque année et à les « gérer » administrativement et surtout l’impossibilité de faire tourner les responsabilités administratives ». Tout ceci ajoute à la charge de travail des enseignants-chercheurs en poste. Les étudiants sont également pénalisés au niveau de leur encadrement, surtout les premières années de Licence en raison du grand nombre d’inscrits. « Les groupes sont plus chargés. Il y a moins de TP, plus de vacataires et une baisse du nombre d’heures enseignées devant les étudiants. En sciences, les Licences ont autour de 500 heures par an alors qu’il y avait près de 700 heures il y a vingt ans et qu’il y a environ 1200 heures pour un élève de prépa »,», estime Mélanie Guenais. Difficile dans ces conditions d’assurer un enseignement de qualité.

*(Systèmes d’information et d’études statistiques) du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation