Alphabet grec

Alphabet grec – Getty images

Après avoir subi la réforme du collège, l’enseignement des langues classiques reprend des couleurs. Il faut dire que lorsque le latin et le grec sont proposés dans un établissement, les élèves répondent généralement présents. Dans le collège où enseigne Romain Vignest, professeur de latin à Paris et président de l’association des Professeurs de Lettres (APLettres), l’affluence est telle qu’il y a deux groupes de latinistes par niveau. Pourtant, pas de promotion à outrance. Le professeur présente simplement l’option aux 6èmes accompagné de quelques élèves de 3ème. Quant au grec, le cours proposé en 3ème compte une vingtaine d’élèves. Les effectifs s’y maintiennent malgré un horaire difficile sur l’heure du déjeuner. Constat positif également dans le lycée de l’académie de Créteil où exerce François Martin, professeur  de français, latin et grec et président de la Cnarela (Coordination Nationale des Associations Régionales des Enseignants de Langues Anciennes). Il y a un groupe de latin et de grec par niveau, dont 30 élèves en 2nde pour le latin. « Je me déplace sur mes heures personnelles dans les collèges en fin d’année pour inciter les élèves à poursuivre ou à débuter cette option au lycée. Ca demande du temps et de l’énergie mais ça finit par payer. Les petits frères et sœurs s’inscrivent à leur tour », reconnaît le professeur. Les motivations des élèves pour apprendre ces langues anciennes sont multiples.

Des lacunes à combler

D’après les professeurs interrogés, ils choisissent ces matières pour étudier la langue, la grammaire, le vocabulaire et l’histoire romaine ou grecque. Le latin, en tant que langue-mère du français, les aiderait notamment à mieux comprendre leur langue. « Lorsque j’exerçais à Créteil, les élèves se sont toujours montrés intéressés par le latin car on y faisait de la grammaire. Ils savaient que ça leur donnerait les bases qu’ils n’ont pas reçues en français au primaire », explique Hélène Brunel, professeur de latin dans le lycée de la légion d’honneur à Saint Denis, en région parisienne. Désormais, même si elle enseigne dans un établissement privilégié (il est réservé aux filles, petites-filles et arrières-petites-filles des membres de l’ordre de la légion d’honneur, de l’ordre national du mérite ou de médaillés militaires, ndlr), où l’uniforme est de mise et l’ambiance de travail studieuse, elle se heurte aussi aux difficultés d’apprentissage de ses lycéennes. « Mes élèves ont de la bonne volonté et j’ai noué avec elles une vraie relation de confiance qui vaut de l’or. Mais les mots sont souvent détachés de leur sens pour les élèves. Elles appliquent mécaniquement des recettes. Or le latin leur permet de compenser ces pertes de logique», poursuit Hélène Brunel.

Un moment de plaisir gratifiant

Autre atout qui séduit les élèves, les précieux points que ces options peuvent apporter pour le bac et la mention. Celles-ci comportent un coefficient 3 contre 2 pour les autres options. « La spécialité latin n’est proposée qu’aux terminales littéraires. Mais dans notre lycée, presque aucun élève de L ne fait du latin. Ils viennent globalement des séries S et ES. Il y a une rigueur et une logique qui leur conviennent bien.  Et puis, ils savent que ça rapporte beaucoup de points au bac. Il suffit d’analyser, à l’oral, un texte écrit étudié en classe. La moyenne nationale à l’oral du bac pour l’option latin est de 15/20 », confie Pascale Barillot, professeur de latin en terminale dans un lycée de Pontoise. Avec la réforme du baccalauréat, le grec et le latin seront les deux seules options à rapporter des points bonus, comme l’a affirmé Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education Nationale.
Les élèves choisissant ces options se montrent généralement curieux et motivés malgré les préjugés. « Le latin, c’est une bouffée d’oxygène par rapport aux classes de français qu’on a, et qui sont plus agitées. De toute façon, ça doit être un moment de plaisir, tout en restant exigeant, sinon on perd les élèves qui peuvent arrêter l’option à chaque fin d’année », précise Pascale Barillot. Ainsi, les professeurs de langues anciennes ne souffrent pas d’un désamour des élèves pour leur matière mais plutôt des répercussions de la réforme du collège et des baisses de moyens.

Les séquelles de la réforme

Suite à la réforme du collège, l’enseignement du latin était, en effet, passé de 8h à 5h et celui du grec de 3h à 2h. « La réforme du collège a été terrible. Elle a détruit le moral de beaucoup de collègues. Au début nous n’existions plus : nous étions inclus dans des EPI, adjoints à un autre cours. Aux côtés d’autres associations, nous nous sommes battus pour arrêter cette mort organisée », se souvient le président de la Cnarela. Depuis, un arrêté ministériel de juin 2017 accorde 7h à l’enseignement du latin et 3h au grec au collège. « Il y a malheureusement encore une expression dans les textes à laquelle on se heurte et qui dit « dans la limite de 7h ». C’est un frein au retour du latin », regrette François Martin. Par ailleurs, les options au collège et lycée sont financées sur les marges de la dotation horaire globale (DHG). Les langues anciennes sont alors en concurrence avec les dispositifs d’aide, les éventuels EPI, les dédoublements de classe pour les matières scientifiques…

Des conditions de travail dégradées

« En 2018, nous avons pu rétablir des heures supplémentaires d’enseignement de latin dans notre collège mais nous ne sommes pas sûrs qu’avec la dotation horaire de cette année, on puisse les maintenir. On se sent facilement menacés. On nous dit que les langues anciennes sont réservées aux meilleurs élèves, que ça ne sert pas… Nos difficultés à enseigner ne viennent pas d’un manque d’attrait pour nos disciplines. C’est la menace de l’institution qui est épuisante », ajoute Romain Vignest. Un sentiment partagé par Hélène Brunel, « Ce n’est pas l’absence de demande qui fait fermer les classes de latin au collège, c’est le manque de moyens. Quand on est prof, on est la dernière roue du carrosse, notre sort est joué », précise celle-ci.
Des combats lourds à supporter pour ces professeurs de langues anciennes qui ont parfois trois matières à préparer : le français, le latin et le grec et sont souvent isolés dans leurs établissements. « Les conditions d’exercice du métier se sont dégradées. Il y a certes les vacances, mais le salaire reste faible et il n’y a pas de reconnaissance de la société. Cela explique le peu de candidats au CAPES et le fait qu’on ait de moins en moins de professeurs certifiés ou agrégés. On recrute des personnes dont le niveau interroge… », déplore François Martin. Pourtant, comme il aime à le rappeler, avec plus de 500 000 élèves étudiant aujourd’hui le latin et le grec, ce sont des disciplines réellement attrayantes !