
Vous êtes principale du collège Arnaud Beltrame à Pégomas. Pouvez-vous nous présenter votre établissement ?
Oui. C’est un collège « classique », qui accueille des familles aux catégories socioprofessionnelles plutôt favorisées, mais sans excès. On est dans un village situé entre Cannes et Grasse, à dix minutes du festival de Cannes d’un côté et de l’univers des parfums de l’autre. Les parents sont souvent artisans ou commerçants.
Qu’est-ce qui vous a amenée à développer des initiatives autour du bien-être scolaire ?
J’ai été CPE avant de devenir principale. La question éducative et le bien-être des élèves m’accompagnent depuis longtemps. Avant Pégomas, j’étais au Collège international de Valbonne (CIV), une grande cité scolaire à vocation internationale. J’y ai lancé un projet « Réussite et bien-être » qui interrogeait : peut-on être heureux dans un établissement exigeant, en mettant à l’honneur le bien-être sans baisser la garde sur la réussite scolaire ?
Je constatais déjà à l’époque que certains élèves étaient en souffrance, victimes d’une compétition trop forte. Certains allaient mal, parfois jusqu’à des tentatives de suicide. C’est là que j’ai commencé à réfléchir à ce que chaque enseignant pouvait faire dans sa classe : favoriser la collaboration, alléger le poids de la note, aborder le sommeil, l’alimentation… Bref, poser la question du bien-être dans sa globalité.
Et vos collègues, comment avaient-ils accueilli ces initiatives ?
Au CIV, j’ai trouvé peu de résistance parmi les enseignants. Beaucoup venaient de l’étranger et avaient déjà intégré cette dimension dans leur pratique. Que ce soit au Canada, en Finlande ou en Allemagne, on regarde différemment la place du bien-être à l’école. Ces collègues m’ont permis d’ouvrir des portes. La résistance venait plutôt des familles, qui craignaient qu’en s’occupant du bonheur de leurs enfants, on néglige les compétences cognitives.
Et aujourd’hui, dans votre établissement actuel ?
Ici, c’est plus compliqué. J’organise toujours la « semaine du bonheur à l’école », mais il est encore difficile de mobiliser les collègues. Pour moi, réfléchir au bien-être, ce n’est pas seulement proposer du yoga ou de la relaxation, c’est s’interroger collectivement sur nos pratiques, que l’on soit enseignant, personnel d’entretien ou surveillant. Cela devrait être une priorité dans nos projets d’établissement, mais ce n’est pas encore le cas.
Concrètement, qu’avez-vous mis en place depuis votre arrivée en 2022 ?
D’abord, j’ai transformé la salle des professeurs. Je suis convaincue qu’un enseignant heureux rend ses élèves heureux. J’ai cassé un mur pour agrandir l’espace, installé de grands fauteuils colorés, aménagé une petite cuisine. C’était ma première action, comme je l’avais déjà fait à Valbonne.
Ensuite, j’ai porté un projet dans le cadre du programme ministériel « Notre École, faisons-la ensemble ». Le collège est récent – sept ans seulement – mais je trouvais qu’il manquait d’âme, avec beaucoup de gris, de noir et de métal. Nous avons donc créé des « bulles de lecture » : de grands fauteuils colorés, choisis par les élèves, installés dans la cour. Ils peuvent y lire pendant les intercours, mais aussi suivre des cours. Ce sont devenues de véritables « bulles de bonheur ».
Vous avez aussi mis en place une semaine du bonheur. De quoi s’agit-il ?
Oui. Chaque année, toutes les disciplines s’en emparent. En langues, on travaille le vocabulaire du bonheur ; en SVT, on aborde la respiration et ses effets bénéfiques sur le cerveau. Je fais également intervenir un professeur de philosophie qui vient débattre avec les élèves sur la notion de bonheur : Est-ce un idéal, ou la somme de petits instants ? On propose aussi aux collégiens de choisir certains menus à la cantine. C’est un moment où chacun réfléchit différemment à sa place dans l’école.
Vous avez également beaucoup travaillé sur l’accueil des 6e et de leurs parents…
Oui, c’est un point essentiel. La rentrée classique, en une matinée, ne fonctionnait pas. Les élèves de 10 ans ressortaient perdus, incapables de lire leur emploi du temps. Avec mes équipes, nous avons donc imaginé une rentrée en trois demi-journées. On prend le temps de travailler la cohésion, la méthodologie, des gestes simples comme préparer son sac. L’objectif est qu’à la fin, chaque élève connaisse le prénom de tous ses camarades.
En parallèle, nous avons accueilli les parents sur une matinée entière, avec six ateliers de 35 minutes. Ils passent de l’un à l’autre : un atelier sur l’usage du téléphone portable, animé par un médecin addictologue et un gendarme ; un autre sur le harcèlement, conduit par notre équipe « Phare » ; un atelier de méthodologie pour accompagner leur enfant dans les devoirs ; un autre sur la « confiance », que j’anime avec un gendarme, où l’on rappelle les bases de la coéducation et le respect des personnels. Nous proposons aussi un atelier pratique sur Pronote et un moment convivial avec le professeur principal.
Quels sont les retours ?
L’an dernier, 150 parents ont participé à ces ateliers de rentrée. Le sondage montrait 100 % de satisfaction. Beaucoup ont décrit un « moment magique », en voyant leur enfant heureux de faire sa rentrée. Et surtout, les élèves de cette cohorte de 6e ont rapidement adopté les codes du collège. Nous avons très peu de problèmes de discipline. C’est encourageant.
Ces initiatives ont-elles eu un écho plus large ?
Oui, l’expérience a beaucoup circulé sur LinkedIn. Des collègues m’ont appelée de toute la France, même de Guadeloupe et de Martinique, pour échanger sur ce qui avait marché ou non. La DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire, Ndlr) elle-même m’a contactée. On voit bien que ces initiatives intéressent, parce qu’elles esquissent une école un peu différente, plus attentive au bien-être des élèves et de leurs familles.
Vous semblez passionnée par ce rôle…
J’adore mon métier. Ce que j’aime particulièrement, c’est ce petit « pas de côté » que l’on s’autorise trop rarement. Sortir du cadre, semer des graines, réfléchir autrement à l’accueil des élèves, à la place des parents, à la qualité de vie au travail. C’est aussi ça, construire l’école de demain.
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