Interview de Nicolas Gaube, qui figure parmi les 10 finalistes du Global Teacher Prize 2023.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Nicolas Gaube, je suis professeur de SVT. J’enseigne dans l’académie de Montpellier, au collège René Cassin à Agde, dans l’Hérault.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer au Global Teacher Prize ?

J’ai entendu parler de ce prix il y a plusieurs années par le biais d’un reportage ; une collègue professeure d’anglais avait été finaliste. L’année dernière, deux enseignants australiens, que j’ai connus via ma chaîne YouTube, ont participé aux concours et ont été respectivement dans le top 50 et dans le top 10. Je me suis dit : “pourquoi pas moi ?” J’ai décidé de tenter un peu sur un coup de tête, pour sortir de ma zone de confort et faire le point sur ma carrière. J’ai été sélectionné dans les 10 finalistes parmi plus de 7000 candidatures, de 300 pays différents.

Est-ce que l’enseignement était une vocation ?

Oui, j’ai toujours eu un intérêt particulier pour l’enseignement. Déjà en sixième, je faisais du tutorat pour aider un camarade en mathématiques. J’ai d’abord fait médecine, car j’étais intéressé par la relation à l’autre qu’il y a dans ces métiers. Je me suis ensuite réorienté en fac de sciences, et j’ai rapidement choisi de faire de l’enseignement – et non de la recherche. C’est l’idée de partage qui me plaît.

Comment avez-vous eu l’idée de créer une chaîne YouTube ?

J’ai commencé la chaîne “A happy teacher” vers 2017. Là aussi, c’est le fait de voir d’autres professeurs partager leur quotidien, qui m’a donné envie de me lancer. Je suivais par exemple un prof américain qui montrait ce qu’il se passait dans sa classe, comment il organisait ses cours et rendait possible l’autonomie des élèves… ça m’a inspiré.

Je suis quelqu’un qui, paradoxalement peut-être, n’aime pas être mis en avant, alors j’ai opté pour l’anglais. Je me suis dit que je serais incognito en France. J’ai filmé mon quotidien de classe. Dès la première vidéo que j’ai postée, j’ai été contacté par des professeurs australiens et américains. On a monté ensemble la série de vidéos “Teaching around the world” sur un an : chaque mois, on comparait un aspect du système éducatif de nos pays respectifs. Au fur et à mesure, d’autres personnes en Turquie, au Brésil, en Belgique ou au Canada se sont jointes à nous.

Ce que j’ai observé de cette expérience, c’est que sur certains aspects, on a des privilèges en France dont on ne se rend pas compte : être fonctionnaire par exemple, offre une certaine sécurité de l’emploi. On passe aussi moins de temps devant les élèves que dans d’autres pays. Sur le plan financier, par contre, j’étais celui qui avait le salaire le plus bas. J’ai surtout pris conscience qu’à travers le monde, on fait face aux mêmes problématiques enseignantes : l’image du professeur dans la société et la crise des vocations sont des sujets qui existent partout.

J’ai ensuite adapté la chaîne en français avec “Un prof heureux” et fait des vidéos sur d’autres sujets.

Était-ce votre objectif de créer une communauté d’enseignants autour de votre chaîne ?

Une communauté s’est créée naturellement, ce n’est pas quelque chose dont j’ai vraiment conscience. Au moment du confinement, avec mes vidéos sur l’enseignement à distance, la chaîne a rencontré un certain succès. Petit à petit, la communauté s’est étendue sur plusieurs réseaux sociaux, avec beaucoup d’échanges et de rencontres virtuelles entre enseignants.

Aujourd’hui, des collègues s’adressent à moi tous les jours, si par exemple ils ont besoin d’aide avec des outils numériques ou des méthodes pédagogiques. En France, on me reconnaît parfois : je suis allé plusieurs fois aux universités d’été Ludovia, et quand j’y croise des profs, ils me disent bonjour, me remercient… Un stagiaire de mon établissement m’a aussi dit qu’il regardait mes vidéos. Tout ça me ravit et me surprend à la fois.

Sur ma chaîne, les grandes thématiques sont les outils numériques, qui font encore peur à beaucoup de collègues. Je lis aussi des articles de recherche, je fais d’ailleurs partie d’un groupe qui tente de créer des ponts entre la recherche scientifique et l’enseignement.

Les sciences cognitives m’intéressent énormément, et nous avons créé au sein de mon établissement des pratiques communes, pour intégrer les sciences cognitives à la classe (outils de mémorisation, gestion de l’attention, etc). C’est le projet “Et si on apprenait ensemble.” Nous organisons également des semaines événementielles, par exemple “La semaine de l’attention” où on explique aux élèves comment leur cerveau fonctionne.

On invite aussi les parents au collège pour leur montrer comment on fait classe, quelles méthodes on utilise, et comment ils peuvent faire la même chose avec leurs enfants. Faire cours devant les parents, c’est la prochaine étape. On essaie de renouer le lien avec les familles, parce qu’on remarque qu’un certain écart s’est creusé entre les parents et l’école ; on veut leur montrer qu’on est dans le même camp.

Avez-vous d’autres projets en route ?

Il y a le projet “Déplace ta classe” : nous essayons de créer des espaces d’apprentissage pour aider les élèves à mieux apprendre, un peu dans l’esprit d’Archiclasse. Dans ma classe, j’ai instauré un espace laboratoire, un espace documentaire et un espace numérique. Cela encourage les élèves à prendre des initiatives, à gagner en autonomie et en esprit critique.

Qu’est-ce que vous voudriez faire avec l’argent récolté si vous gagnez le prix ?

Si je gagne le prix, j’aimerais justement développer ce projet à l’échelle de l’établissement, avec des espaces de bien-être, où la parole de l’élève est prise en compte. Les espaces seraient co-construits, on pourrait par exemple réinventer les heures de permanence, avec des espaces plus fluides et dynamiques. Mais tout ça nécessite des travaux, des aménagements, et des changements en termes de pédagogie. C’est un projet qui se fera avec l’aide de plusieurs acteurs.

Le but pour moi est aussi de rendre aux élèves de ce collège ce qu’ils m’ont apporté humainement, car ce sont eux qui m’ont fait grandir en tant que prof.

Vous vous définissez comme optimiste. Est-ce que c’est si rare chez les enseignants ?

Non, mais il y a une part d’invisibilisation. Même s’il y a des reportages à la télévision – locale, souvent – qui montrent des choses merveilleuses qui se passent dans les classes, on a toujours l’image des professeurs en vacances, ou en grève, ou qui se font agresser à la sortie de leur établissement. Il manque des choses positives. Je ne suis pas quelqu’un de spécialement revendicateur, mais j’ai choisi d’appeler ma chaîne comme ça pour passer le message : on peut être prof en France et être un prof heureux. Il ne s’agit pas d’afficher un optimisme béat ou d’ignorer les problèmes, mais de proposer une voie différente dans un métier qui est marqué par la crise du recrutement. Je reçois des messages de jeunes étudiants qui veulent devenir prof, et qui n’osent pas le faire car tout le monde autour d’eux le leur déconseille.

Que diriez-vous à ces jeunes ?

C’est un métier exigeant, et il est parfois complexe de trouver équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. C’est un métier qui ne s’arrête jamais, on continue de penser au travail quand on est à la maison, il faut le savoir. Mais au contact des élèves, on apprend, on s’épanouit, et on devient un meilleur citoyen et être humain. Si je suis la personne que je suis aujourd’hui, c’est en grande partie à mon métier que je le dois. C’est une aventure professionnelle et intérieure passionnante.

Cette année, je suis par ailleurs devenu formateur en éducation prioritaire. Je n’ai pas encore beaucoup de recul, mais je peux dire que c’est dans les établissements difficiles qu’on voit l’importance du métier et qu’on y trouve du sens. On a une certaine reconnaissance de la part des élèves, ce n’est pas une génération ingrate ou “consommatrice” comme on peut l’entendre. Si on prend le temps d’écouter les élèves, on s’en rend compte.