
5 000€ de retard de paiement. C’est la somme due à Mickael Worms-Ehrminger pour ses heures d’enseignements comme vacataire. Docteur en santé publique et recherche clinique et enseignant, il a publié un long message sur son expérience sur LinkedIn. Depuis quatre ans, il est vacataire pour plusieurs universités et des écoles privées.
250 heures de cours non payées en 2024
En 2024, il a assuré 250 heures de cours, sans compter les heures passées à les préparer ni à corriger les copies des étudiants. Aucune de ces heures n’a été rémunérée. « Cette année encore, j’ai dû mettre en demeure trois universités et une école pour espérer recevoir ce qui m’est dû : un simple salaire. Misérable de surcroît, sans évolution depuis 4 ans, malgré une inflation de près de 15% et une augmentation des taux de cotisation URSSAF de près de 4 points (pour les enseignements sur facturation en école) », écrit-il. Les heures de vacation sont payées au tarif des heures complémentaires de l’enseignement supérieur, soit pour une heure de travaux dirigés une indemnité de 43,50€ non soumise à retenue pour pension. Le délai pour se faire rémunérer ses précédentes heures dépassait parfois un an. Là encore, à force de relances et de lettres de mise en demeure qui consument énergie et temps. Et aucune explication concernant ces retards.
Mais ce qui révolte davantage encore cet enseignant, c’est « la culpabilisation insidieuse, comme si réclamer son dû était indécent. On vous répond avec condescendance, ou pire, on vous fait comprendre que vous devriez simplement vous taire pour ne pas nuire à votre carrière », note-t-il.
« Par moments, il y a des dysfonctionnements graves »
Une situation rencontrée par d’autres vacataires. Agathe*, psychologue, docteure en psychologie et psychopathologie cliniques, est vacataire depuis 2018. Elle collabore avec trois universités, une privée et deux publiques. Dans la première, « aucun souci, j’ai un contrat de travail, des fiches de paie et le virement dans le mois suivant les cours, tous les mois. Cependant le salaire des vacataires est vraiment faible (de l’ordre de 28€ brut de l’heure TD) », confie-t-elle.
En revanche, pour les universités publiques, c’est plus compliqué. Si elle a toujours été remboursée pour ses frais de déplacements, de logement et de repas, elle n’a rien touché pour les cours. Selon Jérôme Giordano, chargé de mission Enseignement Supérieur et Recherche à l’UNSA Éducation, « globalement, le système des vacations fonctionne plutôt bien mais, par moments, il y a des dysfonctionnements graves et quand ça arrive ça pose vraiment question », reconnaît-il.
Les vacataires, un vivier nécessaire
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces retards de paiement. Depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU-2007), les établissements supérieurs gèrent davantage leur budget et leur masse salariale. Leur budget provient de leurs propres ressources (appels à projets, formation continue, contrats de recherche…) et majoritairement de la subvention pour charge de service public (SCSP) délivrée par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Une partie de la SCSP est dédiée aux crédits de fonctionnement et l’autre à la masse salariale.
Or les fonctionnaires ne peuvent être payés que sur les crédits de masse salariale. Face à une démographie étudiante en forte augmentation et à une enveloppe budgétaire trop faible pour couvrir les besoins et l’inflation, les établissements n’ont d’autre choix que d’engager des contractuels et vacataires, finançables sur leurs propres ressources. Depuis 2016, le nombre de vacataires a ainsi augmenté de 44 % selon les chiffres relayés dans la note d’analyse de juin 2024 du Centre Henri Aigueperse de l’UNSA éducation. En France, les vacataires, qui sont en grande majorité des personnes exerçant une activité professionnelle principale en parallèle, représentent plus de la moitié des enseignants dans le Supérieur. Ils font partie intégrante du système et assurent son fonctionnement.
Retards de paiement des vacataires : des lourdeurs administratives
Autre piste avancée pour justifier ces retards : les démarches administratives. Les vacataires sont rémunérés à l’heure, une fois que l’établissement la valide. Il faut compter un délai de paiement d’au minimum deux mois après la validation des heures travaillées. « Certains vacataires, chefs d’entreprise notamment, ne cherchent même pas à être payés. Les collègues des services administratifs en relancent pour leur réclamer les pièces justificatives pour leur dossier et ça peut ralentir le paiement. Cette lourdeur administrative s’aggrave car les services sont débordés. Ils manquent de personnels. Les collègues ont beaucoup de choses à gérer, il y a du turn-over, des burn-out. Ça n’excuse pas tout, c’est au cas par cas », constate Jérôme Giordano. Agathe, elle, se heurte aussi aux lourdeurs administratives. « Les démarches sont tellement compliquées qu’il manque toujours un document. Le logiciel OSE, même avec un tutoriel et un doctorat, c’est le bordel… Je suis persuadée que pour 2023 j’ai tout fait comme il faut et je n’ai jamais été rémunérée », ajoute la vacataire.
La loi de programmation de la recherche prévoit la mensualisation des vacataires, ce qui permettrait d’avoir une indemnité versée régulièrement. Mais celle-ci est difficilement applicable car le décret qui définit le statut de vacataire prévoit que les heures doivent avoir été faites pour que l’administration les valide et les paye. Le 20 février 2024, le ministère répondait à une question sur le sujet et déclarait : « Si la mensualisation du paiement de ces vacations n’est pas encore effective dans tous les établissements, c’est qu’elle impose la mise en place d’un système d’information coordonné, dont la construction et le déploiement nécessitent plusieurs mois, ainsi que de simplifier la multiplicité des étapes de certification du service fait réalisé au sein des formations et UFR ». Plus d’un an après, le problème n’est toujours pas résolu.
Un budget insuffisant
Jérôme Giordano, lui, pointe du doigt le financement insuffisant des établissements pour compenser la hausse des effectifs étudiants et la forte inflation, ce qui dégrade les conditions d’enseignements et d’encadrement. « Les vacataires sont mal payés, l’université ne paye pas les cotisations employeurs pour eux. Ça entraîne une précarité. Notre tort, c’est de compenser. L’état donne moins et ça continue de fonctionner mais avec des dégâts pour les étudiants et le personnel. On alerte depuis longtemps mais on nous répond que l’État est endetté, que l’Enseignement supérieur et la recherche sont épargnés par ces coupes budgétaires. Parfois, c’est vrai mais ça ne correspond pas aux besoins. Le ministère de l’économie ne comprend pas le rôle fondamental de l’enseignement et de la recherche dans la société », plaide le syndicaliste.
Face à ces difficultés à travailler dans de bonnes conditions, Mickael Worms-Ehrminger a décidé de ne plus enseigner à l’université et Agathe songe à faire de même.
* Le prénom a été changé.
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