
Depuis la rentrée 2023, la réforme du lycée professionnel se déploie. Ses objectifs ? Lutter contre le décrochage scolaire, renforcer le partenariat avec les entreprises en augmentant la durée des stages et en garantissant la rémunération des stagiaires par l’État. Mais sur le terrain, qu’en pensent les professionnels ?
De rares points positifs
Les syndicalistes sondés peinent à trouver des points positifs à cette réforme. Pour Axel Benoist, co-secrétaire général du SNUEP-FSU et enseignant en maths et sciences en lycée professionnel, le seul aspect bénéfique est la modification de l’épreuve du chef d’œuvre en projet pour le Bac pro. « On y consacre moins d’heures et on retrouve donc un peu d’heures disciplinaires ». Pour Pascal Vivier, secrétaire général du SNETAA et professeur de lettres et histoire en lycée professionnel, l’aspect positif de la réforme pour les élèves concerne la gratification des stages. Mais rapidement, il nuance son propos. « Les jeunes risquent de considérer qu’il y a nécessité à être rémunéré pour tous leurs stages. Et pour le budget de l’État, c’est très négatif puisque ça représente 500 millions d’euros par an, sans donner les bagages culturels, scolaires et professionnels dont les jeunes ont besoin », déclare-t-il.
Par ailleurs, le nouveau calendrier de la Terminale Bac pro comprend quatre semaines de stage supplémentaires à la fin de l’année pour les élèves désireux de s’insérer sur le marché du travail. Mais avec le déploiement des stages en 2nde générale et technologique, l’offre de stages est jugée insuffisante.
170 heures de cours supprimées
Avec cette nouvelle réforme, le lycée professionnel a perdu 170 heures de cours pour la délivrance du bac pro et deux semaines de périodes de formation en milieu professionnel (PFMP). « Contrairement à ce que dit le ministère, il n’y a pas eu d’ajout d’heures d’enseignement disciplinaire. C’est juste un redéploiement interne d’heures qui ne compense pas cette perte », souligne Axel Benoist. Difficile de former les élèves correctement, notamment ceux rencontrant déjà des lacunes, en ayant moins d’heures de cours. D’après les tests de positionnement de début de seconde 2024, 50 % des élèves de 2nde professionnelle ont une maîtrise satisfaisante de la compréhension de l’écrit, 55 % pour la compréhension de l’oral, 40 % maîtrisent les nombres et calculs et seulement 17,7 % ont une maîtrise satisfaisante en espace et géométrie. « Les élèves ont besoin de plus d’école, pas de plus d’entreprise. Les artisans ou commerçants chez qui nous les plaçons nous disent que les jeunes n’arrivent pas à lire, à comprendre la consigne, à faire un angle pour couper une planche de bois… », confie Pascal Vivier.
Des inquiétudes mitigées pour le Bac
La baisse des heures d’enseignement est appliquée depuis la rentrée 2024. Il est trop tôt pour constater d’éventuelles retombées sur le niveau des élèves et les résultats au Bac. Mais avec les épreuves finales d’enseignements généraux en mai, les enseignants disposent de moins de temps pour y préparer les lycéens et boucler le programme. Certains ont du faire des choix et rogner sur le contenu. Pendant ces épreuves, les autres élèves ont cours et le bruit risque de perturber les candidats.
A l’issue de ces épreuves, les terminales peuvent retourner en cours ou aller en stage avant de revenir fin juin passer deux épreuves : prévention, santé et environnement et l’oral de projet. Des épreuves non éliminatoires, de coefficient 1, qui laissent à penser à Axel Benoist que certains élèves ne s’y présenteront pas. Pascal Vivier, lui, n’a aucune appréhension pour le Bac pro. « On n’a plus à se leurrer sur les résultats du Bac. S’ils ne sont pas bons, l’inspecteur du centre d’examen demande qu’on remonte les résultats des élèves par rapport à ce que l’on attend d’eux », glisse-t-il.
Un absentéisme à craindre
Autre souci posé par ce nouveau calendrier : le manque d’informations concernant les semaines d’enseignement après les premières épreuves terminales. Ce manque de cadrage donne lieu à une grande disparité entre les établissements. « Près de 40 % des lycées professionnels n’appliqueront pas la réforme en Y. Chacun fait ce qu’il veut et peut. On oublie qu’un grand nombre d’adultes (80 000 en CAP et 60 000 en Bac pro) passent les examens en candidats libres et qu’il faut des ateliers, des salles occupés par les élèves en cours. Certains établissements réduisent la durée du stage, des lycées centres d’examen fermeront pendant 15 jours. Les élèves qui devaient y avoir cours n’y seront pas. Personne ne dit rien, du moment que ça ne fait pas de vague », rapporte Pascal Vivier.
Ces heures de cours n’ont pas d’incidence sur la délivrance du Bac, ni sur l’affectation vers les études supérieures ; difficile de motiver les jeunes à aller en cours. L’histoire rappelle celle vécue pour le Bac général, avec l’avancée des épreuves de spécialités en mars, qui avait provoqué un taux d’absentéisme conséquent. Le calendrier a été revu depuis. En sera-t-il de même pour le Bac professionnel ?
Certains jeunes, après avoir appris que le stage de fin d’année serait rémunéré 20€ par jour, ont choisi le parcours d’insertion professionnelle plutôt que les cours. « Cette PFMP n’est ni formatrice ni certificative. L’éducation nationale n’aura pas d’emprise sur ce qui y aura été fait. D’ailleurs, l’ancienne ministre Carole Grandjean a présenté ce stage comme un premier job ou un sas de recrutement. Ce n’est pas l’objectif de formation qui rentre en ligne de compte dans ce parcours différencié », regrette Axel Benoist.
Échanges avec le ministère
Les syndicats interrogés sont en contact avec le ministère. Ils espèrent un bilan exhaustif de la réforme et son abrogation. « Tous les indicateurs démontrent que ça ne marche pas. L’année prochaine, on souhaite que les examens reviennent en juin et que les heures d’enseignement soient rétablies pour les élèves », clame Axel Benoist. Pour Pascal Vivier, cette réforme ne fait qu’ aggraver la situation des lycées professionnels pour des raisons politiques. « On ne veut pas détricoter ce qui a été mis en place par les précédents gouvernements Macron pour ne vexer personne. Ceux qui en pâtissent ce sont les élèves, les profs et les chefs d’établissements », conclut-il.
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