Pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre parcours ?

Je m’appelle Antoine Fournier, je suis professeur de Sciences de la Vie de la Terre, et auteur d’une chaîne YouTube de vulgarisation en biologie.

J’ai passé un bac scientifique et fait des études pour être ingénieur agronome : une classe préparatoire, puis trois ans à l’école ENSAT de Toulouse. Finalement, j’ai changé de direction et je suis parti à Lyon pour préparer l’agrégation de SVT. J’ai eu le concours, et demandé un report de stage. J’ai ensuite passé une année à développer ma chaîne YouTube, à faire des conférences… Actuellement, j’enseigne dans un lycée de Montpellier pour mon année de stage ; j’ai des classes de Seconde et de Première. Parallèlement, je suis un master MEEF.

Pouvez-vous nous parler de la chaîne Biosfear, et de sa création ?

J’ai lancé la chaîne Biosfear lorsque j’étais en école d’ingénieur, dans l’idée de retransmettre ce que j’avais appris en classe préparatoire, et qui pouvait selon moi intéresser d’autres personnes. J’étais déjà moi-même un grand consommateur de contenu sur YouTube : je regardais à l’époque les vidéos de vulgarisateurs comme Dirty Biology, E-penser… 

Je m’occupe donc de ma chaîne depuis presque cinq ans. J’y parle principalement de biologie, parfois de géologie, à travers deux formats différents :

Il y a les Biosfear, qui sont des vidéos de vulgarisation classiques et explorent chacune un thème assez général, et les Statosfear, un format plus court dans lequel je m’amuse à manipuler des ordres de grandeur pour donner une idée de certains phénomènes scientifiques – comme dans la vidéo « Le tour du monde à la vitesse de la digestion. »

Est-ce que cette chaîne YouTube est votre première expérience en tant que vulgarisateur ?

Oui, ma première. Il a fallu tout apprendre : je ne connaissais rien à la réalisation. Je me suis auto-formé au montage vidéo grâce à des tutoriels trouvés sur Internet. C’est très utile mais assez handicapant, car je n’ai pas appris « proprement » le montage. Aujourd’hui encore, j’ai des difficultés ! Pour la plateforme YouTube, je n’ai pas eu trop de mal à me l’approprier, le fonctionnement est assez intuitif.

A la même période, je me suis essayé à l’article scientifique dans un journal universitaire, et aux conférences : j’ai notamment fait un TedX à Centrale Nantes. Tous ces exercices sont très différents et formateurs.

Combien de temps de travail nécessite la réalisation d’une vidéo en moyenne ?

C’est très long. Pour les vidéos Biosfear, la phase d’écriture peut prendre une dizaine d’heures, et le tournage trois ou quatre heures. Le montage est la phase la plus longue : il faut compter plusieurs dizaines d’heures pour traiter l’image, le son, faire des animations (qui prennent chacune beaucoup de temps). Pour les vidéos Statosfear, tout ce travail est beaucoup plus rapide.

Comment trouvez-vous vos sujets, et comment choisissez-vous l’angle selon lequel vous allez les traiter ?

Je suis quelqu’un de curieux, donc je me renseigne en permanence sur plusieurs sujets. Quand je trouve des études ou des articles intéressants, je les ajoute à ma « liste. » Pour faire une vidéo, je choisis dans cette liste un sujet qui pourrait selon moi intéresser le grand public.

Pour l’angle, j’ai plus de mal ; le travail éditorial n’est pas mon domaine de prédilection. Il faut trouver la bonne manière d’aborder le sujet, celle qui parlera à davantage de monde et notamment à la cible de la chaîne YouTube, plutôt jeune. J’essaye de rendre mes contenus dynamiques et de leur donner des titres accrocheurs. L’une des vidéos qui a le mieux marché est celle qui s’appelle « Comment tenir l’alcool. » Mais il faut toujours faire attention à de pas verser dans le « racoleur » et à proposer un contenu scientifique rigoureux.

Avez-vous des astuces pour rendre vos contenus attrayants ?

J’ai expérimenté plusieurs choses. Par exemple, je propose parfois des questionnaires en début de vidéo, pour engager le spectateur et l’amener à se poser des questions auxquelles la vidéo va répondre. J’ai aussi fait quelques tournages en extérieur. Les animations, surtout, sont très utiles pour rendre la vidéo plus organique et agréable à regarder.

Mais le plus important est de bien rythmer sa vidéo ; cela s’apprend. On peut transmettre des connaissances, mais il faut régulièrement reformuler, faire de l’humour, de manière à faire passer plus facilement le contenu scientifique.

Vous êtes à la fois youtubeur scientifique et enseignant. Quelles sont les différences et spécificités de ces deux approches ?

Ce sont deux approches très différentes. En tant que professeur, on est face à un public qui est obligé d’être là, et qui n’est pas toujours directement intéressé par le sujet. Il faut faire un peu de discipline – ce qui fait partie du quotidien d’un enseignant – et transmettre des connaissances précises en étant le plus pédagogique possible.

A l’inverse, la vulgarisation offre une liberté éditoriale immense. Le public qui regarde les vidéos est déjà intéressé. C’est ensuite au vulgarisateur de rendre son contenu attrayant et de traiter des sujets qui touchent le grand public. Il y a bien sûr les limites éthiques qu’on s’impose, et la responsabilité de transmettre des connaissances fiables et solides. Le fait de partager ses sources permet aux gens d’aller creuser le sujet par eux-mêmes.

En tant qu’enseignant, utilisez-vous des contenus de vulgarisation avec vos élèves ?

Il m’est arrivé, en classe, de partager des vidéos qui étaient pertinentes et collaient au plan de cours, comme celle sur la photosynthèse. Mais c’est assez rare, car en classe, on privilégie les travaux pratiques. En revanche, j’encourage mes élèves à se cultiver par eux-mêmes, en dehors des cours, à travers des contenus de vulgarisation sur Internet.

Dans le cadre de mon mémoire de Master, je réalise une étude sur l’utilisation de ressources pédagogiques par les enseignants, notamment de vidéos vulgarisées sur YouTube. J’ai obtenu plus de 300 réponses. Bien que je n’aie pas les résultats définitifs, il en ressort que beaucoup des enseignants interrogés utilisent ce type de contenu pour « transmettre des notions de cours » pendant la séquence, et que le critère qu’ils privilégient est la rigueur scientifique.

Quel rôle donnez-vous à la vulgarisation scientifique aujourd’hui ?

Je pense qu’il est très important de rendre la science accessible dans la société actuelle, surtout à l’heure des fake news. Nous sommes dans une époque où il est davantage question de persuader (par l’émotion) que de convaincre (par les arguments). Il est important de ramener l’attention sur les faits, et de rappeler que la science est une méthode d’investigation du monde avant tout. La vulgarisation sur Internet permet aussi de rattraper des gens qui ont eu du mal avec le système scolaire.

Dans certaines vidéos comme celle sur l’évolution, vous ouvrez le sujet à des enjeux philosophiques et anthropologiques. Pensez-vous que la biologie puisse résoudre certaines questions propres à ces disciplines ?

A partir d’un certain niveau, pour moi, la segmentation des disciplines n’a plus vraiment de sens. Les différentes sciences peuvent constituer des approches complémentaires d’un même sujet. On le voit de plus en plus dans la recherche, avec les UMR (unité mixte de recherche) qui rassemblent des chercheurs de plusieurs disciplines autour d’une question. Dans l’éducation aussi, la transdisciplinarité est encouragée.

Comment envisagez-vous la suite de vos activités ?

En ce moment, je privilégie ma casquette d’enseignant, qui est mon activité principale (et rémunératrice). Pour la suite, si je trouve le temps, j’ai d’autres projets : des interviews de doctorants, par exemple, qui leur permettraient de raconter leur parcours, leur travail de recherche… Je suis un grand amateur du concours « Ma thèse en 180 secondes » – je trouve que c’est un exercice passionnant – et plus généralement, de toutes les initiatives qui ouvrent le monde de la recherche au grand public.  J’aimerais aussi faire des vidéos qui auraient pour but de déchiffrer des articles scientifiques, et d’expliquer la démarche et la méthode qui se cachent derrière.

Image homepage : vidéo Biosfear