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Déjà sept semaines que les établissements scolaires ont fermé leurs portes. Malgré la continuité pédagogique instaurée, l’éloignement de l’école, de l’équipe éducative, des camarades, d’un cadre propice au travail en amène certains à décrocher. « Le découragement s’installe plus facilement pour les élèves en situation précaire, dont les conditions de vie ne favorisent pas les apprentissages, ceux qui n’ont pas développé de méthode de travail, qui ont déjà des difficultés à suivre en temps normal… » explique Isabelle Pailleau, psychologue clinicienne du travail et des apprentissages, co-auteure de « Apprendre autrement avec la pédagogie positive » (éd. Eyrolles) et co-fondatrice de « La fabrique à bonheurs ».

Les ados plus susceptibles de décrocher

Si les plus jeunes suivent globalement les consignes et se mettent au travail, la situation est souvent plus délicate avec les adolescents. A cet âge, ils sont en plein questionnement, en quête d’identité. « Le cerveau des adolescents n’est pas encore mature et ne leur permet pas de prendre du recul. Leurs émotions s’imprègnent de ce climat flou et comme ils ne savent pas ce qui va se passer, ils ne voient pas l’intérêt de travailler. Ce qui les tenait avant dans un comportement qui avait l’air motivé, c’est l’institution, le lien social avec leurs pairs, l’autorité extérieure du professeur. Il y avait une dynamique de groupe. Là, ils sont seuls face à eux, face au vide », analyse Christine Henniqueau-Thioly, professeure de lettres pendant seize ans, aujourd’hui psychopédagogue et co-auteure de « Savoir accompagner le travail scolaire » (éd. Fabert). Par ailleurs, leur motivation fluctue selon les échecs et réussites. Et ils n’acceptent pas toujours que leurs parents leur disent de travailler. « C’est dur de garder le cap car ils ont besoin d’opposition pour se construire, or certains se replient encore davantage sur eux en ce moment », ajoute Isabelle Pailleau.

Réduire le contenu… et les attentes

Pour éviter ce découragement et s’adapter au changement d’environnement, les professeurs ont trouvé de nombreux supports ludiques et interactifs. Mais les expertes recommandent de revoir également davantage leurs attentes à la baisse, le programme ne pouvant être abordé aussi efficacement qu’en classe. « Beaucoup de profs se sentent poussés à la surenchère, d’autant plus qu’ils n’ont pas leurs élèves avec eux. Ceux que je connais me disent qu’ils n’ont jamais autant travaillé. Ils donnent beaucoup de contenus, d’exercices pour montrer qu’ils s’intéressent à leurs élèves mais pas ou peu de guidage. C’est massif et ça crée un mouvement de recul chez les jeunes », résume Christine Henniqueau-Thioly. Ainsi, habituellement, en classe, si le professeur prépare plus de travail, il reporte ce qui n’a pas pu être fait le jour J. Là, il donne tout aux élèves et produit l’effet inverse de celui escompté.
Par ailleurs, si un élève bute sur des questions, la psychopédagogue conseille de ne pas s’obstiner au risque de l’enfermer dans ses difficultés, sa révolte et son angoisse. Mieux vaut alors lui envoyer le corrigé en lui demandant s’il comprend mieux, si ça l’aide pour une autre fois. On sélectionne ce qui semble essentiel. Et l’an prochain, le prof tiendra compte des retards et reprendra en partie le programme. « Faire la leçon de morale aux élèves, ce n’est pas très pertinent. Chacun fait ce qu’il peut. Le plus important c’est de continuer à entraîner leur cerveau à penser, observer, à développer sa mémoire de travail… Ca sera toujours utile après », ajoute Isabelle Pailleau.

Découper la charge de travail

Plutôt que de dire vainement aux élèves d’être autonomes, Christine Henniqueau-Thioly suggère de les accompagner dans cette démarche. On peut ainsi leur demander : « est-ce que ça t’aide de faire un emploi du temps journalier ? » et on en discute.
Certains élèves refusent de s’y mettre, disent qu’ils ne comprennent rien, que le texte est trop long… « Il ne faut pas prendre la chose globalement mais diviser les difficultés », conseille la psychopédagogue. Face à la masse de travail, elle préconise donc la stratégie des petits pas en demandant à l’élève de séparer les tâches qu’il peut faire seul de celles pour lesquelles il a besoin d’aide. Il avancera déjà un peu. Puis, on lui demande d’identifier des aides possibles : un parent à la maison, appeler un camarade, faire un petit groupe d’entraide sur Zoom et bien sûr solliciter le prof. Cela représente davantage de travail pour l’enseignant, mais la présence, même virtuelle, est indispensable pour aider et, selon la spécialiste, beaucoup de profs acceptent volontiers cet engagement.

Fixer des objectifs

L’importance d’avancer dans le programme a peu d’écho auprès des jeunes. Cela suppose d’aimer apprendre par soi-même, d’avoir conscience de certains enjeux. Or ceux-ci sont bien loin des préoccupations de la plupart des jeunes. Si la méthode de la carotte et du bâton peut être tentante pour motiver l’élève, sans le cadre de l’institution scolaire, elle perd de son poids. La motivation passe avant tout par l’expérience, la réussite de petits objectifs fixés par l’élève : venir à bout de sa to-do-list du jour, savoir établir un planning, gagner en autonomie, apprendre en prévision de ses futures études… Idéalement, selon la psychopédagogue, le professeur demande alors à l’élève comment il s’y est pris, ce qu’il a ressenti en réussissant. Cette démarche ancre ainsi sa motivation dans une émotion positive et la renforce.

Maintenir le lien affectif

Pour motiver ses élèves à distance, l’aspect émotionnel doit également être pris en compte. « L’important pour que ça marche, c’est de rester en lien, de leur demander comment ils vont, comment se déroule le confinement pour eux. Pour ceux qui lâchent, dont on est sans nouvelle, on envoie un sms, on appelle, on relance plusieurs fois. Ils ont besoin de voir qu’on s’inquiète pour eux, qu’ils ne sont pas un numéro noyé dans la masse. C’est bien d’être sincère, de dire aux élèves qu’ils nous manquent. Même si le professeur n’est pas là pour les aimer, les enfants se construisent dans le regard de l’autre. On travaille ensemble, il y a une relation de confiance qui se crée », précise Isabelle Pailleau. Le groupe classe a besoin de ce lien affectif. Pour le cultiver, certains professeurs organisent des visioconférences avec des sous-groupes pour que chacun puisse s’exprimer. Un bon moyen d’humaniser un peu le cours, de le rendre moins impersonnel. De la même manière, on encourage l’entraide, le travail en binôme, les échanges de savoirs entre élèves… On les incite à parler entre eux de leurs difficultés, un peu comme ils le feraient lorsqu’ils se retrouvent pendant la récré. Une manière de ne pas les laisser coincés, seuls, dans leur bulle.