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Dans un sondage Odoxa/Dentsu Consulting pour le Figaro et France info, 86% des sondés estimaient que les enseignants étaient « confrontés à des élèves et à des parents de plus en plus durs ». En classe, cela se traduit de diverses manières, notamment selon l’âge des enfants. Ainsi, Jessica, professeure des écoles à Paris, en petite section, explique que ses élèves n’en sont pas encore tout à fait. Ils découvrent, pour certains, la vie en collectivité et ses règles. « Leur insolence n’en est pas vraiment une. C’est plus une réaction comme une autre car ils n’ont pas encore intégré la bonne façon de répondre », souligne l’enseignante. 

Rappeler les règles

Elle leur fait donc toujours remarquer les comportements qui ne sont pas acceptables (parole déplacée, tape…) en leur parlant. Mais elle accepte aussi quelques écarts les premiers mois. « Si l’un d’eux joue au lieu de venir au coin regroupement, je peux le tolérer en début d’année. Après les vacances de février, c’est déjà mieux intégré », ajoute-t-elle. Et si un élève essaye de fuir, elle rappelle la règle valable pour tous plutôt que de recourir à une autorité frontale qui ne servirait à rien selon elle. « Je ne dis pas « je te demande de » car ils n’ont pas envie d’écouter cette autorité. Mais je dis « tu sais que c’est le moment de… » et on va voir sur le tableau les photos des activités de la journée. C’est plus facile à accepter pour eux », ajoute Jessica. Quand ça reste compliqué, elle en discute avec la famille pour savoir si c’est un comportement global ou pas. Et parfois, elle fait venir la psychologue pour voir s’il n’y a pas autre chose derrière.

Créer un climat bienveillant


Olivier, professeur des écoles en CP-CE1 en Nouvelle-Aquitaine, a connu comme beaucoup d’enseignants des classes difficiles. Tant et si bien qu’il s’est mis à la méditation pour se détendre. En découvrant ses bienfaits, il a décidé d’en faire profiter ses élèves. « Tous les matins, on fait une séance de méditation sur la moquette. Je ne suis alors plus un instit qui les surveille. C’est le premier truc à faire pour que ça marche. Je n’ai pas d’attente par rapport à cette séance mais chacun y trouve de quoi répondre à son besoin : de la confiance en soi, une meilleure gestion de sa colère, un gain de concentration… », explique l’enseignant. A chaque retour de récréation, les élèves pratiquent des respirations ayurvédiques abdominales pour revenir au calme. En fin de journée, Olivier leur propose quelques minutes de gratitude pour formuler des remerciements (pour une aide reçue, un aspect du cours qui leur a plu, pour saluer la nature…). « Ils adorent ça et c’est très efficace pour combattre le biais de négativité », observe le professeur.
Le vendredi, les élèves sont davantage fatigués et moins patients. Olivier en a donc fait la journée de la bienveillance. Il fait une méditation spéciale où les élèves pensent aux gens qu’ils aiment. Puis, une semaine sur deux, quand ils ont les yeux fermés, il leur lit les mots bienveillants que chacun a écrit et déposé, sans les signer, dans une petite boîte. L’autre vendredi, il donne à chacun un prénom sur un petit papier pendant la méditation du matin. Chaque élève doit alors veiller sur ce camarade toute la journée sans qu’il ne s’en aperçoive. « Un élève est insolent parce qu’il n’est pas bien dans ses baskets et qu’il a un public. Toute l’ambiance de classe que je crée permet d’avoir un groupe uni et bienveillant. Si l’un d’eux est insolent, les autres ne toléreront pas ce comportement et n’en feront pas un héros ou un caïd », remarque Olivier.


Ne pas imposer son autorité

En enseignant le français de la 6ème à la 3ème dans un collège en Rep+ à Nice, Gaëlle reconnait avoir tous les jours des élèves insolents. Certains provoquent, sortent spontanément de classe… « J’en ai même eu un qui a jeté une chaise sur une fenêtre une fois. Ca a été l’épisode le plus violent. Dans ces cas-là, il faut rester calme et ne pas montrer qu’on a peur », relate l’enseignante. Avant, elle voulait que les élèves lui obéissent, qu’ils ne répondent pas, ne coupent pas la parole… En devenant maman, elle a revu sa manière de faire. « J’ai réalisé qu’à force de remettre les élèves à leur place, on les empêche de s’exprimer, de partager leur incompréhension, leur colère, leur tristesse. Et alors, ils deviennent agressifs envers nous », analyse-t-elle. Une prise de conscience qui l’a même amenée à créer l’association BE-N-Joy Bienveillance, Empathie et Neurosciences pour un accompagnement positif, d’un point de vue éducationnel et relationnel. 

Liberté de mouvement et d’expression


Aujourd’hui, elle se montre à l’écoute des élèves et de leurs besoins ce qui limite leur insolence. Ils peuvent bouger dans la classe, aller aux toilettes quand ils le demandent, se reposer sur le canapé du coin lecture… Elle leur montre qu’elle leur fait confiance et leur permet aussi de s’exprimer à travers leur cahier des émotions. Ils y écrivent ce qu’ils veulent, sans qu’elle ne le lise. Des affiches sont collées au mur et permettent aux ados d’y poser leurs mains à tout moment s’ils sont énervés. Elle a également ouvert une cogni’classe, axée sur les recherches en neurosciences, et travaille l’axe de l’attention avec ses élèves. « Tout ce travail sur les émotions, ça les apaise beaucoup », confie-t-elle. Et quand un élève est insolent, elle lui dit qu’elle comprend son émotion mais qu’elle n’accepte pas son attitude. Elle lui laisse alors la possibilité d’y remédier par lui-même ou bien c’est un mot dans le carnet de correspondance (au bout de trois, elle prend rendez-vous avec les parents). « Si on répond à leur besoin affectif et d’expression, ils sont plus attentifs. La confiance se crée et il y a moins d’agressivité. Mes lectures d’Isabelle Filliozat, Adele Faber et Elaine Mazlish, et du Dr Catherine Gueguen m’aident à être plus dans cet accompagnement », précise Gaëlle.

Dialoguer avec élèves et parents


Anne enseigne pour sa part l’allemand en collège à Paris. Elle qui a exercé du primaire au lycée en passant par les classes prépas estime que c’est au collège que les élèves ont l’âge le plus difficile. « Ici se reflètent le mal-être des enfants, l’ambiance à la maison, la période fréquente des divorces… L’impulsivité est à son maximum, il y a une hyper sensibilité. C’est le moment des rapports de force et de positionnement dans la classe », remarque-t-elle. A 57 ans, elle constate que la société a changé le rapport à l’autorité et à l’école, que les parents sont plus méfiants vis-à-vis de l’institution et surprotègent leur enfant. « On survalorise les contenus, les connaissances mais on n’accorde pas d’importance à la psychologie, à la communication. On me reproche souvent de « trop discuter » avec les élèves ou de « vouloir faire la psy »… », regrette Anne qui prône avant tout les explications et le dialogue avec les élèves et leurs parents, mais sanctionne aussi. « Ce métier, un des rares où l’on est seul(e) face à un groupe, est extrêmement difficile et gourmand en énergie et tension nerveuse, même quand le cours se passe bien. Il suffit d’un élève ou deux pour déstabiliser tout le groupe. Pour beaucoup, le problème vient du prof qui ne sait pas gérer. Ca ne se dit pas entre profs ni à sa hiérarchie qu’on a des difficultés. C’est un tabou absolu et une solitude terrible pour le prof », confie-t-elle.


Être soutenu par ses pairs


Frédérique, professeure de lettres en lycée en Occitanie, a également trente ans de métier. Ses élèves sont plus âgés mais l’insolence existe encore. Parfois, plutôt que de les affronter, l’enseignante tente l’ironie, les lycéens ayant une meilleure maîtrise de la langue et davantage accès au second degré. « S’ils rient de moi pour un lapsus ou une distraction, je ris avec eux. En revanche, toute moquerie malveillante est proscrite, toute tentative de harcèlement (ce n’est pas rare) d’un-e camarade immédiatement punie. (…) Parfois, la sanction immédiate est nécessaire. Parfois, il est plus utile de marquer fermement sa réprobation et de convoquer, devant la classe, l’élève pour un dialogue en fin de cours », déclare Frédérique. Pour faire face à certains élèves qui « s’imaginent en consommateurs tout puissants et manquent de l’éducation la plus élémentaire », elle reconnaît que le soutien des équipes et de la hiérarchie est indispensable au risque de se faire déborder. « Je crois qu’il faut aux adolescents de vrais adultes en face d’eux, que ce soit pour s’y confronter ou pour recevoir leur appui », conclut Frédérique.
Loin d’avoir une méthode imparable face aux incivilités, chacun tente de trouver des solutions, si possible en étant épaulé.