
Bruno Robbes
Vous êtes l’auteur de plusieurs livres (1) consacrés à l’autorité à l’école. D’où vous vient cet intérêt ?
Cette question qui occupe mes travaux de recherche depuis une dizaine d’années est née de mon expérience d’instituteur. J’ai exercé pendant 15 ans dans ce qu’on nomme des « quartiers sensibles » à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise). Or, les interrogations que j’ai travaillées en tant que chercheur, je les avais déjà face aux élèves. Les enseignants, notamment débutants, s’interrogent souvent sur la manière de faire preuve d’autorité sans pour autant basculer dans l’autoritarisme ou, au contraire, dans le laxisme, faute de réponses adéquates. Je n’y ai pas échappé ! J’étais à l’École normale (comme on l’appelait alors) au milieu des années 80. Et, à l’époque, la question de l’autorité de l’enseignant était encore très taboue. À nos interrogations, les formateurs répondaient généralement par : « il n’y a pas de recettes, pas d’astuces à partager ou de posture à acquérir. L’autorité, c’est quelque chose de naturel ! »
Cette fameuse « autorité naturelle » qui, selon vous, n’existe pas…
C’est ce que je défends, oui. L’idée qu’il existerait une autorité naturelle est un leurre qui évite d’apporter des réponses à la question : « que faire ? ». Car à partir du moment où l’on décrète qu’il s’agit de quelque chose d’inné, on clôt le débat et l’on s’interdit d’agir. Mais, que je sache, personne n’a encore découvert le gène de l’autorité naturelle !
Y a-t-il une définition particulière de l’autorité lorsqu’on parle d’école ?

L’autorité éducative dans la classe
La spécificité du rapport d’autorité à l’école, c’est qu’il y a une nécessité de transmission de savoirs, de connaissances. Cela place l’enseignant dans une double position puisqu’avant même d’être identifié comme « le professeur », il est perçu comme le représentant du monde des adultes, c’est-à-dire de la société avec ses exigences, ses codes, ses interdits… Le professeur doit créer les conditions des transmissions des connaissances (ce qu’attend de lui la société), créer les conditions pédagogiques, didactiques pour mettre les élèves en activité d’apprentissage et non faire d’eux de simples réceptacles d’une parole magistrale, « professorale » qui, on le sait, fonctionne de moins en moins. L’autorité éducative est donc, pour moi, une façon particulière d’être « en relation ». Et il y a là une dimension très humaniste, puisque cette autorité doit permettre à celui sur lequel elle s’exerce de grandir, d’évoluer, de gagner en autonomie, de devenir une personne accomplie… Une bonne autorité éducative est une promotion de la personne dans une perspective humaniste d’accomplissement.
Est-il facile d’acquérir cette autorité juste et efficace (si on peut employer ce terme) et surtout, comment ?
Ce mot d’efficacité ne me choque pas. Une autorité juste et efficace c’est une autorité par laquelle l’enseignant va demander à l’élève d’obéir et obtenir cette obéissance sans soumission parce qu’elle aura été bien comprise. Alors est-ce facile ? Bien évidemment la réponse est non… mais c’est possible.
Aujourd’hui d’autres chercheurs travaillent comme moi sur cette question de la conduite de classe, de la gestion disciplinaire respectueuse de la personne de l’élève, etc. Nous sommes tous convaincus que cela peut presque toujours se construire, même si cela demande généralement quelques années. Cela passe notamment par la formation – initiale et continue — afin d’augmenter la gamme des réponses possibles, les savoirs d’action, les gestes professionnels à la disposition du professeur. L’étude de situations vécues par les enseignants, les mises en commun des façons de faire possibles, la confrontation des attitudes des professeurs expérimentés avec celles de débutants… sont autant d’outils efficaces. Ils sont toutefois insuffisants. Chaque enseignant doit aussi travailler de manière plus introspective sur son propre rapport à l’autorité, au métier, sur ses motivations, sur ce que cela signifie pour lui de transmettre des savoirs…
Enfin, ce qui alimente une autorité éducative efficace, c’est la manière dont on va présenter les contenus de savoirs pour faire en sorte que les élèves s’y intéressent. Des pédagogies coopératives, actives, sont souvent pertinentes, car elles captent l’intérêt des élèves et on résout ainsi une partie des problèmes d’exercice d’autorité en évitant qu’ils se posent.
On a le sentiment que les élèves – mais aussi leurs parents — sont plus qu’autrefois en rébellion face à l’autorité du maître. Partagez-vous ce constat ?
Bien entendu il existe des transformations de société qui induisent des mutations de l’exercice de l’autorité. C’est une révolution profonde dont les racines sont sans doute à chercher dans les événements de Mai 68 qui ont sonné le glas du modèle patriarcal. Certes, tout récemment, notamment à la suite des attentats, des exhortations au retour d’une autorité beaucoup plus forte dans les classes, des appels à l’autoritarisme à l’école ont refait surface. Mais je crois que ceux-ci sont voués à l’échec.
Une autre donnée à prendre en compte est liée au statut du savoir dans nos sociétés. L’école n’est évidemment plus le seul lieu où le savoir se transmet. Or dans ces « ailleurs » où se transmettent également les connaissances, et tout particulièrement sur Internet, on trouve beaucoup d’opinions, de communication, de propagande, d’idéologies, de croyances, de lobbies… Les dénégations concernant les travaux scientifiques démontrant tous le réchauffement climatique en sont une parfaite illustration.
Tout cela amène les enseignants à faire en sorte que leurs décisions en matière d’autorité soient les moins contestables possible. Ils doivent ainsi être en capacité d’expliquer dans le détail pourquoi telle décision a été prise, telle note a été donnée, etc. Le risque étant d’aboutir à un mécanisme de justification permanent, le professeur doit aussi savoir couper court à une discussion qui s’apparenterait à la remise en cause de son aptitude professionnelle. Le phénomène n’est pas propre à l’école ! C’est aussi le lot des responsables politiques, des journalistes et de tous ceux qui sont amenés à exposer publiquement des connaissances.
Les enseignants ne sont pas réputés pour aimer exercer l’autorité. Est-ce une vérité ou un mythe ?
C’est, en effet, quelque chose que j’ai régulièrement constaté. Bien souvent les professeurs expriment une forme de malaise face à la nécessité de faire preuve de plus d’autorité qu’ils ne le souhaiteraient. « J’en ai marre de faire le gendarme » est une phrase qui revient régulièrement dans les entretiens que je conduis. Toutefois plusieurs sociologues soulignent que l’autorité redevient une valeur qui ne fait plus honte, y compris chez les jeunes générations d’enseignants. Pour conclure, je dirai que l’autorité n’est pas le « mal nécessaire » des relations humaines, mais qu’elle est inhérente à l’existence même des échanges entre les humains. L’autorité fait donc partie de l’exercice de tout éducateur, particulièrement face à un enfant. L’adulte « donne l’exemple », « montre l’exemple ». Les jeunes y sont particulièrement sensibles et les professeurs sont, à ce titre, des modèles d’identification importants. Il est essentiel que les jeunes rencontrent des éducateurs, professeurs ou pas, qui sont des adultes auxquels ils ont envie de ressembler. C’est d’ailleurs une manière judicieuse de prévenir les dérives radicales et d’endoctrinement que l’on constate aujourd’hui, car sans ces référents, le jeune aura tendance à aller les chercher ailleurs dans un environnement souvent moins sain que celui de l’école.
(1) « L’autorité enseignante/Approche clinique » Champ Social Éditions — 2016
« Démarrer une classe en pédagogie institutionnelle » Champ Social Éditions — 2010
« L’Autorité éducative dans la classe : Douze situations pour apprendre à l’exercer » Éditions Esf 2010 http://esf-scienceshumaines.fr/179__robbes-bruno
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