
Jean-Philippe Lachaux, JT de France 2 / 16 janvier 2017
Directeur de recherches au Centre de recherche en Neurosciences de Lyon (CNRL) de l’Inserm, Jean-Philippe Lachaux a conçu un programme d’éducation pédagogique de l’attention en classe (du CP à la 5e). ATOLE (« Attentif à l’école ») utilise les neurosciences et la psychologie cognitive pour apprendre aux enfants à renforcer leur concentration.
Pourquoi avoir conçu des « cours d’attention » ?
Au départ, mes recherches sur l’attention ne concernaient pas le milieu scolaire. Mais je m’en suis rapproché car je voulais mesurer la stabilité de l’attention, en fonction de l’âge. Cela m’a amené à rencontrer des enfants, dans les classes, ainsi que leurs enseignants. J’ai alors constaté chez ces derniers un vrai besoin de mobilisation de l’attention. Beaucoup se plaignaient d’un manque accru de concentration chez leurs élèves. Les maintenir concentrés toute la journée est pour eux un vrai défi, à une époque où les écrans favorisent le zapping.
Les profs avaient de vrais besoins en terme d’attention, ils étaient à la recherche d’outils leur permettant de mener une réflexion sur l’attention avec leurs élèves dans les classes. C’est ainsi que j’ai lancé, en 2015, un programme de développement de l’attention à l’école. ATOLE fait appel aux neurosciences pour comprendre le fonctionnement du cerveau, mais aussi à la psychologie cognitive, avec des processus mentaux à adopter pour mieux se concentrer. Expérimenté dans les académies de Lyon et de Grenoble, il sera ouvert en 2018 à l’ensemble du territoire national. Il sera aussi disponible sur Magistère, la plateforme de e-formation de l’Education nationale.
Concrètement, comment fonctionne ATOLE ?

Jean-Philippe Lachaux dans une classe, lors du programme ATOLE / Arte
Il s’agit d’une animation à mener en classe, toute l’année. L’enseignant explique aux élèves, de façon scientifique et didactique, ce que signifie se concentrer, et ce qu’il faut faire pour le rester, grâce à des techniques concrètes. Il décortique les mécanismes de l’attention, apprend aux enfants à déceler les sources de distractions, puis à développer leur sens de l’équilibre attentionnel. Pour cela, il utilise 10 fiches de séquences, avec des activités clés en main, pouvant être déclinées sur plusieurs séances.
Par exemple, une fiche fait prendre conscience à l’enfant que ne pas faire plusieurs choses en même temps, et agir avec une seule intention claire, est bien plus efficace – à travers une mise en situation : on lui demande de compter le nombre de “e” dans un texte, puis, à la fin, de raconter l’histoire de ce texte, ce qui sera souvent difficile pour lui ! A la fin de la séance, l’élève aura pris conscience qu’il peut avoir plusieurs intentions en même temps, et quel est l’intérêt de n’en choisir qu’une.

Rester concentrer, « c’est comme marcher sur une poutre sans tomber » / JP Lachaux
ATOLE fournit enfin à l’enfant des “modes d’emploi” pour se concentrer, des stratégies à mettre en place quand il sent qu’il est distrait – par exemple, il visualise, dans son esprit, sur son « écran mental », une poutre à traverser, sans tomber, pour aller d’un point A à un point B. L’idée est de l’aider à détecter le moment où il commence à être déconcentré, pour qu’il puisse se ressaisir vite et restabiliser son attention. Les enseignants peuvent retrouver toutes ces stratégies dans une BD, que j’ai réalisée en 2016 : “Les petites bulles de l’attention”. ATOLE en est une déclinaison, sous la forme d’activités menées en classe.
ATOLE peut-il être utilisé par les enfants TDAH ?
ATOLE s’adresse à tous les élèves (car l’inattention concerne tout le monde), mais l’enfant TDAH en bénéficie en premier lieu. D’abord, l’enseignant lui explique comment fonctionne l’attention dans le cerveau : le fait de comprendre que son inattention n’est pas due à de la mauvaise volonté permet de le déculpabiliser. Le prof peut ensuite le motiver à l’attention, en lui expliquant qu’il a tous les éléments dans son cerveau pour y arriver, et qu’il peut apprendre à adapter ce qu’il fait à ses capacités attentionnelles. On retrouve dans ATOLE des éléments utilisés lors de l’accompagnement d’enfants TDAH, comme le fait de travailler sur de petits segments courts d’attention – par exemple, un atelier durant lequel, pendant 3 minutes, avec un minuteur, l’élève doit réaliser une action précise, et ne pas se laisser distraire. Petit à petit, il peut gagner en endurance et réaliser le même exercice, en restant concentré, pendant 5, puis 10 minutes…
Après deux ans d’expérimentations, ATOLE s’est-il révélé efficace dans les classes ?

ATOLE / JP Lachaux
Il n’existe pas encore de validation scientifique. Mais les retours d’enseignants sont instructifs. Ceux qui se lancent dans ATOLE le remettent en place l’année suivante, preuve qu’ils y gagnent quelque chose. Leurs classes sont aujourd’hui “plus faciles”, moins distraites. Ils réussissent même à canaliser des enfants en grande difficulté – ils leur font comprendre qu’il est possible de se concentrer, même quand le sujet ne les intéresse pas. Nous avons aussi réalisé un test de concentration soutenue, sur 120 élèves, face à un groupe contrôle équivalent – alors que normalement, l’attention ne s’améliore pas sur quelques mois, on a vu une grande amélioration avec ATOLE.
Pour vous, l’Éducation nationale devrait-elle généraliser ces cours d’attention ?
Les enseignants constatent qu’ils sont obligés de faire des activités de plus en plus courtes, de quelques minutes – sinon, ils perdent l’attention des élèves. Il y a une vraie demande de leur part. Or, dans les faits, rien n’est proposé par l’École. L’attention n’est pas au programme… et elle devrait l’être ! Comme l’expliquait le père de la psychologie cognitive moderne, William James, en 1890, l’éducation de l’attention constitue l’éducation par excellence.
Il existe aujourd’hui un vide (qu’ATOLE essaie de combler) en primaire et en début de collège. Je suis en train de réfléchir, avec des étudiants, à une formulation d’ATOLE adaptée au lycée et à la 4e-3e, car le support BD ne fonctionne plus vraiment à ce stade. Mais ce qui est intéressant, avec les enfants de primaire, c’est qu’on les prend avant qu’ils se rendent sur les réseaux sociaux, et qu’ils soient surstimulés numériquement. Nous vivons dans un monde ultra-connecté, où l’attention est constamment distraite, accaparée par des objets et des écrans. Grâce à ATOLE, les élèves débarqueront dans le numérique en connaissant deux ou trois “trucs” pour maîtriser leur attention. Aujourd’hui, le programme est utilisé par 450 classes, pour 12.000 enfants, et commence à être utilisé en projets d’établissements, du CP au CM2. L’objectif étant de toucher, bientôt, 100.000 élèves.
Est-il possible de combiner ATOLE à d’autres techniques visant à renforcer sa concentration ?
ATOLE n’est qu’un nouvel outil dans la palette pédagogique du prof, et il est en effet possible de l’utiliser facilement en complément d’autres méthodes : certains font ainsi de la méditation ou du yoga avec leurs élèves, tout en ayant recours à ATOLE pour les préparer à ces activités, et leur expliquer en quoi elles auront un effet bénéfique sur eux.

ATOLE / Séquence 7 / « Réagir aux distractions externes » / JP Lachaux
Ce programme a l’air très intéressant y a -t-il des adaptations possibles existantes pour les élèves d’école maternelle? Ou d’autres pistes?
mERCI.
Je suis aussi preneuse pour la maternelle. 🙂
Et pourquoi ne pas aussi faire quelque chose au niveau des parents ? Une plaquette, un site d’informations etc
Beaucoup d’enfants qui manquent d’attention manquent aussi d’éducation…