Bienveillance et bien-être à l'école

Bienveillance et bien-être à l’école

Pouvez-vous vous présenter ?

Aziz Jellab : Je suis sociologue de formation. J’ai notamment travaillé sur le système éducatif français, et plus particulièrement sur les lycées professionnels, sur l’entrée des nouveaux professeurs du secondaire dans le métier ainsi que sur l’expérience scolaire des étudiants. J’ai exercé comme professeur des universités avant de devenir inspecteur général de l’Education nationale.

Christophe Marsollier : Avant d’être recruté comme inspecteur général, j’ai enseigné dans le premier degré puis en IUFM, comme maître de conférences. Mes recherches portent sur l’éthique relationnelle et les espaces de paroles à l’école.

Comment est née l’idée de ce livre ?

CM : Il y a depuis 2014 une demande récurrente de sens au sujet de la notion de bienveillance de la part des enseignants et des cadres de l’Education nationale. Aziz Jellab et moi avons considéré que cette vertu éducative et pédagogique, encore trop souvent assimilée à une forme de laisser-faire, méritait que ses formes, son pouvoir et ses enjeux soient précisés.

AJ : Avec Christophe Marsollier, habitué à travailler sur le souci de l’autre et la qualité relationnelle, nous avons souhaité questionner les pratiques pédagogiques des enseignants. J’ai été frappé par la place qu’occupe la bienveillance, même si elle n’est pas toujours conscientisée ou pensée en tant que telle, chez des enseignants de lycée professionnel. Nous avons alors entamé une série d’échanges avec les contributeurs de l’ouvrage (principal, professeur, inspecteurs…, Ndlr).

Le livre est sous-titré « pour une école humaine et exigeante ». Pourquoi ?

AJ : Cette notion de bienveillance a davantage émergé au moment de la refondation de l’école voulue par Vincent Peillon puis Najat Vallaud-Belkacem. Elle a fait débat car certains ont eu l’impression que l’école serait alors moins exigeante et que l’élève serait au centre de l’attention au détriment des savoirs. La bienveillance doit être au service de l’apprentissage tout en réclamant d’être exigeant pour lutter contre les inégalités de réussite scolaire.

CM : L’expression de la bienveillance requiert une exigence vis-à-vis de soi-même, en termes de patience, de conscience, de prudence, d’acceptation inconditionnelle de l’élève. Dans sa forme active, celle de l’engagement et de l’attention envers l’élève, la bienveillance ne fait pas le lit de la complaisance. Elle facilite chez lui l’acceptation des exigences.

Qu’entend-on exactement par la bienveillance et le bien-être à l’école ?

CM : C’est rechercher une qualité de présence, dans les mots choisis, mais aussi dans la voix et la posture, un comportement et un regard qui s’adaptent aux besoins psychiques et cognitifs de l’enfant ou l’adolescent, une qualité de relation qui vise à ne pas le blesser. Il s’agit donc d’être attentif à ce qu’il peut ressentir, et pour cela, par exemple, respecter ses références culturelles… La bienveillance s’exprime dans les feedbacks positifs et encourageants qui visent à soutenir sa motivation, la confiance en ses capacités. La bienveillance à l’école consiste ainsi à créer des conditions propices à son épanouissement, ses progrès et sa réalisation personnelle.

AJ : Dans les lycées professionnels, par exemple, la bienveillance permet de redonner confiance aux jeunes. On peut les évaluer autrement, valoriser leurs réussites tout en leur montrant leurs erreurs pour progresser. On n’évalue pas l’élève mais son travail. Nous sommes dans un métier relationnel, un métier du travail auprès et sur autrui. Les sciences cognitives ont démontré l’importance de la qualité des relations et de la dimension affective dans l’apprentissage. L’élève apprend toujours pour quelqu’un : un professeur, ses parents… D’ailleurs, on se souvient souvent d’un enseignant bienveillant qui nous a transmis son intérêt et sa passion pour une matière. Je dois aussi souligner que la qualité de la relation est d’autant plus déterminante que les élèves sont issus de milieu socialement défavorisé.

Références du livre

« Bienveillance et bien-être à l’école », Aziz Jellab et Christophe Marsollier, éditions Berger Levrault 

Pourquoi est-ce important d’expliciter et d’encourager la bienveillance dans les établissements scolaires ?

AJ : Beaucoup d’acteurs de l’Education nationale sont bienveillants, mais expliciter les enjeux de celle-ci, c’est leur permettre de le faire de manière consciente et volontaire car ils en perçoivent alors davantage l’intérêt et la portée sur le destin des individus. A l’échelle de l’école, la bienveillance vise à améliorer l’ambiance, à gérer les espaces scolaires, les emplois du temps des élèves, à repenser son métier en étant plus exigeant face à la diversification des publics. La bienveillance est génératrice de réussite. Mais que l’on ne s’y trompe pas, l’ambiance est aussi et inversement construite par la manière dont les élèves sont mis en activité et dont ils apprennent réellement.

CM : A l’école, l’élève a besoin d’être suffisamment sécure pour s’aventurer dans l’inconnu, pouvoir tâtonner et s’enrichir de ses essais et de ses erreurs. Il y a des enjeux immédiats comme ceux-là, et d’autres à moyen terme comme le bien-être relationnel et le rapport de motivation au savoir, à l’école et plus largement à l’apprendre. La bienveillance de l’adulte aide à s’ouvrir aux autres pour travailler en groupe, se projeter dans l’avenir, dépasser les obstacles et renforcer ainsi cette capacité essentielle qu’est la résilience.

La bienveillance à l’école suffit-elle à pallier des difficultés rencontrées à l’extérieur ?

AJ : L’école ne peut certes pas tout mais elle peut avoir une attitude soucieuse des difficultés de ses élèves. Les enquêtes sociologiques démontrent qu’apprendre c’est s’engager dans un univers qui n’est pas forcément le sien. Cela demande parfois de recomposer en les réinterrogeant ses univers culturels -ce qui peut être vécu comme une trahison. D’après mes observations en lycée professionnel, je constate que les élèves entrent dans l’apprentissage et que ça leur ouvre des perspectives. On lutte contre des a priori. C’est aussi aux chefs d’établissement de voir comment créer des conditions favorables, un sentiment d’appartenance, un climat propice à la réussite. Cela passe par un travail à différentes échelles et niveaux : l’adulte envers les élèves, les adultes entre eux, l’école et la famille ; pour un meilleur partenariat.

CM : Les élèves rencontrant des difficultés familiales sont généralement plus vulnérables. Ils ont besoin d’adultes très bien formés sur le plan relationnel pour les accompagner dans leur scolarité. La bienveillance ne produit pas de miracle visible immédiatement, elle accomplit son œuvre dans la durée, portée par la confiance et la patience des personnels qui l’incarnent au quotidien. C’est lorsqu’elle est associée à des pratiques didactiques et éducatives qui font sens pour l’élève qu’elle agit comme un ciment qui consolide les compétences qu’il construit au gré de ses expériences scolaires et personnelles.

Les enseignants vous semblent-ils suffisamment formés pour cela ?

CM : Pour qu’elle puisse s’exprimer dans les gestes professionnels quotidiens, la bienveillance doit être étayée par une conscience vive de sa portée éducative. C’est pourquoi, il me paraît souhaitable que la formation des enseignants, des CPE mais aussi des cadres soit nourrie par des travaux en psychologie humaniste, en psychologie sociale, en philosophie et en neurosciences qui éclairent les exigences et les enjeux de cette vertu.

AJ : Il serait également profitable que les professeurs d’une même matière échangent sur la didactique et la stratégie de réflexion des élèves. En comprenant leurs mécanismes d’apprentissage, ils cerneront mieux leurs difficultés et seront davantage à même d’être bienveillants. Le référentiel des métiers du professorat et de l’éducation les y invite.