Qu’est-ce qui vous a amené à fonder l’association De l’or dans les mains, en 2021 ?
C’est parti du constat qu’aujourd’hui il n’existe plus aucun temps scolaire pour se confronter à la matière et au plaisir de faire avec ses mains. Au-delà de la question de l’orientation, ça prive des millions de jeunes du cultiver leur apprentissage autrement. Or on sait qu’un enfant ou un adolescent apprend mieux en expérimentant, en manipulant. Les compétences manuelles nourrissent les savoirs fondamentaux.
Parallèlement, ayant grandi à la campagne, j’ai constaté la fermeture de beaucoup de manufactures faute de repreneurs. Il est difficile de vouloir devenir boulanger ou maçon alors qu’à aucun moment de la scolarité les compétences manuelles ne sont valorisées. D’ailleurs, d’après notre baromètre, 92 % des collégiens ont découvert des professions qu’ils ignoraient grâce à nos dispositifs.
Est-ce que cela fait écho à votre propre expérience ?
Personnellement, j’ai eu des années collège compliquées parce que je n’étais pas scolaire et que l’école était faite pour une certaine typologie d’élèves. J’ai eu la chance de me révéler plus tard grâce à la littérature. J’ai fait hypokhâgne, khâgne et Sciences Po. Là j’ai appris à combler les manques observés dans la société. A mon échelle, avec mes évolutions intérieures et mes sentiments d’injustice, je me suis demandé ce que je pouvais faire. C’est comme ça qu’est née l’association.
Quel en est le principe ?
On a développé des programmes pédagogiques de dix à vingt heures qui se déroulent dans les collèges tout au long de l’année. Notre programme phare « Je découvre les métiers manuels » est déployé dans une trentaine d’établissements scolaires pour les élèves de 5ème. Ils sont répartis par groupe de dix sur divers ateliers encadrés par des artisans. Au cours de l’année, chacun découvre neuf métiers hétérogènes mettant en application un point du programme scolaire. Ça peut être la construction d’un nichoir en bois avec un menuisier pour mobiliser ses connaissances en mathématiques via le calcul d’une aire par exemple. Ça peut être une rencontre avec un céramiste pour revoir le programme de chimie et le passage d’un état liquide à solide ou encore la rencontre d’un doreur à la feuille pour évoquer l’histoire de Versailles… Les intervenants sensibilisent aussi sur la provenance des ressources, la possibilité de travailler en circuit court, l’intérêt d’un faible impact écologique… Ça permet aux élèves de repenser leur manière de consommer.
Pour les équipes éducatives et les établissements, ça demande un investissement ?
Nos dispositifs s’intègrent assez facilement au sein de l’Éducation nationale et de ce qui existe déjà, ce n’est pas plus lourd pour les enseignants. Les établissements peuvent participer au financement avec le Pass Culture. Le reste est cofinancé par les mécènes que nous cherchons de notre côté. C’est donc peu coûteux pour les collèges. Nous sommes présents dans neuf académies. Les rectorats nous aident à identifier des collèges dans lesquels intervenir mais beaucoup postulent désormais directement sur notre site internet. La condition importante, c’est vraiment d’avoir une équipe pédagogique qui veut s’emparer du projet. Ensuite, on s’installe dans un établissement sur la durée. On établit autour de lui un écosystème avec des artisans et des entreprises du patrimoine.
Vous intervenez principalement au niveau de la 5ème. Pourquoi cette classe ?
C’est vraiment une classe charnière, à la fois sur la question de l’orientation car les jeunes commencent à y réfléchir et à être évalués pour aller en filière générale ou professionnelle. C’est là aussi qu’il faut davantage travailler sur les lacunes dans les savoirs fondamentaux. A cet âge, ils ont encore cette capacité à s’émerveiller et à avoir un regard positif sur le travail manuel. Nous avons toutefois d’autres dispositifs pour les autres classes de la 6ème à la seconde mais c’est moins développé.
Comment sont choisis les artisans ?
Au début, c’est nous qui les démarchions. Nous avons un responsable régional qui identifie les artisans et les entreprises du patrimoine, mais désormais beaucoup nous contactent directement. N’importe qui ne peut pas devenir intervenant pour autant. Il faut construire un projet d’atelier pratique qui soit validé par notre équipe. Une fois qu’on a ce réseau, on peut intervenir dans les établissements scolaires. Tous les artisans sont rémunérés.
Qu’est-ce que ces interventions apportent aux élèves pas forcément excellents dans les matières traditionnelles ?
Ils peuvent se révéler autrement, montrer leurs qualités manuelles. Ça les place en position de réussite scolaire au sein même de leur établissement. Du coup, le regard des enseignants change et eux ont davantage confiance en eux. Tous développent leur motricité fine et travaillent sur la dimension collective grâce à ces ateliers en groupe.
Quels sont les retours des enseignants ?
Beaucoup nous disent que des élèves ont choisi de poursuivre leurs études dans la voie professionnelle même si notre objectif n’est pas de former des générations d’artisans. Les enseignants sont souvent très surpris par la capacité d’attention de leurs élèves sur ces ateliers. Ils apprécient d’avoir une approche métier au service des savoirs fondamentaux. Ils sont contents aussi de pouvoir changer de regard sur leurs élèves.
L’association connaît un bel essor. Elle a doublé en une année le nombre d’élèves accompagnés (1500 vs 3 197 collégiens). A quoi l’attribuez-vous ?
Nous avons une équipe très investie et professionnelle. Mais ce qui est très apprécié par les enseignants et les artisans, c’est qu’on fait ensemble. On s’appuie sur les retours de terrain pour proposer des outils très adaptés à leurs besoins. On se remet sans cesse en question pour s’améliorer. On n’est pas un service de prestation qui vient parler d’un métier, on s’adosse à ce qui existe au sein de l’Éducation Nationale pour le nourrir.
Grâce à ces dispositifs, vous luttez aussi contre les stéréotypes, notamment ceux liés au genre des métiers manuels…
Oui ce sont des métiers qui pâtissent beaucoup de ces stéréotypes. Ils sont souvent associés à l’image de vieux métiers. Quant à la question du genre, les mentalités changent doucement. Historiquement, les métiers minutieux étaient souvent faits par des femmes tandis que le gros œuvre était plutôt réservé aux hommes parce que ces métiers demandaient de la force. Aujourd’hui, on a des machines et beaucoup d’exosquelettes qui facilitent le travail et permettent aux femmes d’y accéder. On travaille sur l’émergence de « rôles modèles » pour permettre aux filles et aux garçons de s’identifier à eux.
Quels sont les projets de l’association ?
Nous voulons approfondir notre pédagogie pour avoir quelque chose de très qualitatif et nous souhaitons aussi continuer à nous implanter au sein de davantage d’établissements.
C’est une très bonne initiative qui permet de contrebalancer le massacre qu’ont subi les programmes de technologies qui permettaient aux élèves, il n’y a pas si longtemps que cela, de fabriquer des objets (en bois ou électronique) ou d’apprendre à faire la cuisine. Je plains les enseignants de technologie qui ne peuvent plus faire grand chose dans cet esprit.
Ne parlons même pas des IDD qui permettaient aussi de mener des projets à composantes manuelles, et qui ont aussi disparus.
Par contre je m’inscris en faux sur la première réponse de l’interview : « C’est parti du constat qu’aujourd’hui il n’existe plus aucun temps scolaire pour se confronter à la matière et au plaisir de faire avec ses mains….Or on sait qu’un enfant ou un adolescent apprend mieux en expérimentant, en manipulant…. »
C’est très malhonnête et déconsidère totalement tous les travaux pratiques des matières scientifiques expérimentales, SVT/Technologie/Physique. Certes, cela ne correspond pas à un métier à proprement parler, et on ne fabrique pas d’objet depuis une matière brute (sauf peut-être encore un peu en technologie), mais cela reste de la découverte manuelle et expérimentale de phénomènes et problématiques autrement que par la théorie pure. Merci de rendre à César…