Quel état des lieux dressez-vous de la situation actuelle ?
Quel adjectif puis-je employer… Disons, pour ne pas être trop déprimante, que la situation de l’allemand aujourd’hui est extrêmement inquiétante. Selon les données de l’ADEAF (Association pour le Développement de l’Enseignement de l’Allemand en France) en 2023, 58% des postes n’ont pas été pourvus au CAPES d’allemand. En 12 ans, le nombre de professeurs d’allemand a diminué de plus de 30%. La matière est une des disciplines actuellement la plus en difficulté car en plus de la diminution du nombre de candidats aux concours, le nombre d’élèves baisse également. En 2001, la proportion d’élèves apprenant l’allemand à l’école publique était de 18,6%. Aujourd’hui, ce chiffre tombe à 3,6%. Cela fait 10 ans qu’on alerte sur la dégradation de la situation de l’allemand à l’école.
Et déjà que la situation n’est pas évidente, les difficultés vont s’aggraver avec des moyens qui vont être de plus en plus réduits pour l’allemand puisqu’ils vont être déployés pour d’autres dispositifs.
L’enseignement de l’allemand à l’école en France est-il en danger au point de craindre une disparition ?
L’enseignement ne disparaîtra pas. Mais l’offre n’en finit pas à la fois de s’amoindrir quantitativement et qualitativement. Déjà les volumes horaires sont faibles, ce qui a des répercussions sur la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage.
Récemment, on a mis en ligne un formulaire pour évaluer la situation dans les établissements. Et ce qui ressort, ce sont des difficultés liées aux regroupements d’élèves. Dans de nombreux collèges aujourd’hui, des élèves en deuxième année se retrouvent associés avec des élèves en première année. Concrètement, des cinquième LV2 se retrouvent avec des quatrième LV2 ce qui freine les apprentissages des élèves et rend les conditions de travail des enseignants difficiles. Parfois, il y a même jusqu’à trois années d’écarts. Et quand les enseignants sont sans formation spécifique, comment font-ils pour enseigner en même temps à des élèves débutants et à d’autres un peu plus avancés ?
Vous nous avez parlé des regroupements d’élèves qui représentent de véritables difficultés. Que pensez-vous des groupes de niveaux à venir ?
Je ne porte pas de jugement sur les groupes de niveaux en tant que tels. Mais les enseignants craignent que la matière ne soit pas disponible pour tous les élèves selon les groupes où ils se situent. La langue ne pourrait être proposée qu’aux groupes d’élèves avec les meilleurs résultats en français et en mathématiques.
Et c’est absolument tout le contraire de ce qu’on veut faire et de ce qu’on dit ! L’allemand est une langue possible pour tous. On ne veut surtout pas revenir à la perception d’une langue qui ne serait accessible qu’aux bons élèves.
Récemment, à l’occasion de l’anniversaire de la signature du traité de l’Élysée, le constat a été fait que les Français n’apprennent presque plus l’allemand. Comment relancer l’attractivité de cette langue ?
Un des grands avantages d’apprendre l’allemand à l’école, au-delà de la richesse culturelle et intellectuelle, c’est la mobilité que cela offre aux élèves grâce à la relation étroite qu’entretiennent les deux pays. Mais aujourd’hui, comment voulez-vous qu’un enseignant organise une mobilité pour une classe donnée alors qu’il exerce dans plusieurs établissements en même temps…
Il y a aussi un aspect sociétal : l’allemand manque de figures dans la culture populaire. Ce qui nous manque, c’est un ambassadeur ou une ambassadrice de la langue allemande. Il faudrait un chanteur, une chanteuse, un sportif ou une sportive qui puisse porter un message positif sur l’Allemagne. Il faut que les hommes politiques en France assument de parler positivement de la langue allemande, de l’Allemagne et de l’amitié franco-allemande. Il y a encore des réticences. Et c’est vrai que le poids de l’histoire est quand même terrible, même encore maintenant. On a parfois des témoignages d’enseignants qui entendent encore les élèves parler de nazis quand ils parlent des Allemands.
Que réclame l’ADEAF ?
Actuellement, la diversité linguistique c’est le fait d’offrir le choix entre deux ou trois langues vivantes. Il faut vraiment un financement pérenne de ces heures et c’est ce qu’on demande depuis des années. Il y a un certain nombre d’heures qui sont octroyées mais ce n’est pas à la hauteur du nombre de langues proposées. Aujourd’hui l’allemand sert de variable d’ajustement. C’est une très mauvaise chose de mettre l’allemand en concurrence avec d’autres enseignements ou d’autres dispositifs. Il doit y avoir une place spécifique pour les langues, et cela demande un pilotage.
Il y a un travail spécifique que l’Éducation nationale doit faire pour un véritable plan de relance de l’allemand. Alors va-t-il le faire ? On voit depuis 10 ans que non. On fonde beaucoup d’espoir sur la publication des stratégies pour changer quelque chose mais pour l’instant on ne voit clairement rien venir si ce n’est une aggravation de la situation avec les groupes de niveaux. Donc le bilan est assez pessimiste.
3,6% de germanistes, ne serait ce pas plutôt 13,6%?
Non non c’est bien 3,6 % selon l’association.