Sorti en février chez Dunod, « Violence et justice restaurative à l’école » est un épais volume de plus de quelque 400 pages au contenu assez inédit, car sa forme est en grande partie constituée de témoignages. L’initiative en revient à Max Tchung-Ming, ancien professeur d’EPS, aujourd’hui principal du collège Claude Debussy de Nantes.

Max Tchung-Ming, formateur académique sur le climat scolaire pour toute l’académie de Nantes, connaît son sujet ; le livre qu’il signe est le reflet de plus 20 ans d’engagement sur cette question. Un engagement qui date, sans doute, de ce jour de mars 1998 où un élève du lycée professionnel Charles Baudelaire d’Évry, dans lequel il enseignait alors, est tué d’un coup de fusil par un jeune du quartier voisin. À l’origine du drame, un différend « banal » dont personne n’avait mesuré ni l’importance ni les malentendus qui l’avaient suivi. « J’ai fait toute ma carrière de professeur d’EPS en zone d’éducation prioritaire, explique-t-il. Mais les ZEP je connaissais déjà, puisque j’y étais élève, aux Ulis. Le lycée professionnel Charles Baudelaire, lui, était presque exclusivement fréquenté par des filles, mais il partageait sa cour et la restauration scolaire avec un autre établissement qui n’accueillait, de son côté, que des garçons. Comme chaque établissement proposait des filières très spécifiques (coiffure, couture, esthétique, métier du pressing, etc. pour le premier, métiers du bâtiment pour l’autre), ils attiraient des élèves venus des quartiers sensibles d’une petite dizaine de villes du département. Je vous raconte cela, pour vous expliquer que pendant 16 ans, j’ai développé une connaissance assez fine des problématiques de conflits, de violences, de harcèlement et des manières d’y répondre. C’est l’objet de ce livre que je pense être très inédit. »

Une approche éditoriale inédite

En effet, le livrel donne la parole à des interlocuteurs très différents : enseignants, élèves et anciens élèves, proviseurs adjoints, principaux adjoints, parents, assistante sociale, conseiller technique de service social, policier… Mais surtout, parce que tous s’expriment longuement (parfois très longuement !), tous à la première personne et à l’indicatif présent. Certains propos sont parfois bruts, sans filtres ni synthèse. Les textes donnent tous les détails des cas de conflits qui sont présentés, de leur cause jusqu’à leur résolution. Cela confère à l’ouvrage un indéniable aspect de documentaire, au sens cinématographique ou télévisé du terme. « Tous les coauteurs sont là à mon initiative, souligne Max Tchung-Ming, et mon travail a consisté à coordonner cet ensemble de voix. Les entretiens que vous lisez ont été enregistrés, ce n’est pas de la reconstituions d’après souvenirs. Pourquoi ce choix ? Car je voulais plonger le lecteur au cœur de la situation, je voulais que chacun se mette à la place des professeurs ou des directeurs. Parce que c’est facile de l’extérieur de dire : « ils auraient dû faire si ou ça ». Mais quand on se retrouve avec tous les éléments, ce « y a qu’à faut qu’on » s’effondre vite. »

Le livre ne laisse pas pour autant le lecteur seul face à ces témoignages. Chacune est en effet suivie par l’analyse pointue d’Eric Verdier, psychologue co-responsable-expert du pôle Discriminations, violence et santé à la Sedap-Dijon (Société d’entraide et d’accompagnement psychologique).

Un regard qui permet de prendre de la hauteur en faisant une analyse critique des comportements adoptés par les protagonistes. Par ailleurs, le livre se termine avec un guide pratique, véritable boîte à outils destinée aux équipes pédagogiques comme à tous celles et ceux qui s’intéressent à la question.

Sentinelles et justice restaurative

Le principal outil de résolution de conflits présenté tout au long du livre est la Commission de justice restaurative que Max Tchung-Ming expérimente dans son établissement depuis 10 ans. Celle-ci est inspirée de la Commission Vérité et Réconciliation mise en place en Afrique du Sud à la fin de l’apartheid.

Il s’agit d’un moment d’échanges collectif instauré en cas de conflit. « Le cadre est précis, normé, explique le principal, et les élèves savent qu’on est là pour s’écouter — à commencer par l’auteur qui va entendre le vécu de la victime. Mais ici nous privilégions la recherche de solution et non la sanction. Et, plutôt que de passer du temps sur l’auteur, on s’intéresse cette fois à la victime. Je dis cette fois, car j’ai trop souvent vécu des conseils de discipline où tout tourne autour de l’auteur des faits, de la transgression d’un règlement et où le ressenti et les souhaits de la victime étaient à peine évoqués. » Les élèves participent donc en sachant qu’ils ne sont pas là pour se faire réprimander ou pointer du doigt, ce qui, selon Max Tchung-Ming, est la condition pour que se libère la parole, « sinon les uns vont se réfugier dans le silence et les autres se victimiser. Et puis, confronter auteur et victime peut faire émerger un sentiment d’empathie… qui ne risque pas de naître si on reste dans une approche punitive. »

Autre expérimentation présentée dans le livre : les Sentinelles et les Référents. Il s’agit là d’élèves et d’adultes volontaires et formés à repérer les élèves isolés ou en souffrance. « Tous les élèves harcelés ont d’abord été des boucs émissaires, mais tous les boucs émissaires ne seront pas harcelés. Il faut donc savoir détecter ces phénomènes (cela peut être un élève qui mange seul à la cantine, qu’on affuble d’un surnom péjoratif, qui n’est jamais choisi en TD ou dans les équipes de sport…) pour dégonfler ce qui risquerait de venir de situations à risques. » Les solutions ne sont pas toujours trouvées, bien sûr ; qu’importe, puisque se parler c’est déjà progresser.

Max Tchung-Ming sait que les conflits entre élèves, comme entre élèves et professeurs, existeront toujours, mais défend qu’il est possible d’en minimiser les conséquences. « Ce n’est pas une question de moyens, de ministre, de recteur ou de Dasen, comme je l’entends souvent dire de la part de mes collègues. C’est d’abord une question de volonté. Chaque école peut créer son micro système pour diminuer la violence dans la prise en compte de situations qui sont déjà violentes. Il faut juste avoir en tête que la sanction n’est jamais la solution unique, que personne ne résout un problème seul et que ce qui est abîmé par un groupe doit être réparé par un groupe. L’Afrique du Sud l’a fait ; la Colombie l’a fait avec les Farc.

C’est à la portée d’un établissement scolaire, vous ne croyez pas ? »