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Avec la crise sanitaire, est-il aujourd’hui difficile d’enseigner ?

Depuis la crise sanitaire et le durcissement du protocole en novembre, la gestion de l’enseignement à distance et du présentiel est délicate. Les enseignants sont à 100% en présentiel tandis que les élèves ne le sont qu’à 50%. Ainsi, l’enseignant doit gérer à la fois le travail avec les élèves qui sont en cours et celui de ceux qui sont chez eux, ce qui peut créer un décalage pédagogique et dans l’avancement du programme. Dans le cas où un élève vient au lycée un jour sur deux, il a cours le lundi et le mardi il travaille chez lui. Il faut vérifier que le travail est fait, cela peut compliquer également l’organisation des évaluations. Il faut être lucide : l’enseignement à distance n’a rien à voir avec l’enseignement en classe. Avec une visioconférence, en dépit de la communication via un écran, il est difficile de pouvoir tout expliquer de la même façon, les interactions sont différentes. Certains collègues sont en télétravail pour des raisons de santé. Mais les collègues s’organisent du mieux qu’ils le peuvent, de manière à ce que tous les élèves soient accompagnés, travaillent sur les mêmes connaissances, avec des mises en œuvre pédagogiques parfois différentes.
Par ailleurs, la crise sanitaire et le confinement du printemps ont désorganisé les apprentissages. Le niveau des élèves à la rentrée 2020 était très variable : ceux qui avaient continué à travailler ne sont pas confrontés à des difficultés particulières, d’autres ont été confinés dans des conditions difficiles (la fracture numérique reste une réalité) ; pour ceux qui ont connu un relâchement, la remise en route a été très compliquée.  Nous devons aussi étayer des élèves, totalement perdus avec des retards très importants et de lourdes lacunes. Il faut ainsi faire le programme et essayer de rattraper ce retard… ils voient qu’ils doivent travailler davantage, ce qui génère des angoisses, avec la perspective de ParcourSup.

Et l’application des gestes barrières ?

Des classes de 35 élèves, proches les uns des autres, avec souvent des tables doubles, du brassage important dans les couloirs, n’ont pas facilité le respect des gestes barrières.  La nouvelle organisation fut un véritable défi, chaque lycée s’organisant le mieux possible, selon son architecture.

Autre problématique : le port du masque. Si la majorité respecte les consignes, des élèves le portent mal ou le laissent tomber ce qui nous conduit à faire sans cesse des remarques et donc à interrompre le cours. Certes, le masque est contraignant pour les adolescents, mais l’est aussi pour les enseignants qui ne sont pas habitués à travailler de cette manière. On respire mal, on a plus facilement mal à la tête, on se sent plus fatigué en fin de journée car la voix doit porter davantage pour être bien entendu. On est aussi amené à se déplacer davantage dans les salles de classe.
L’aspect sanitaire ayant toujours été secondaire dans la construction des établissements, les questions d’hygiène,  désormais cruciales en raison de la pandémie, ne peuvent plus être ignorées. Malgré le gel hydro alcoolique à disposition, le nombre de lavabos pour le lavage régulier des mains reste insuffisant dans beaucoup de lycées. Fort heureusement, avec les nouvelles mesures, les effectifs ont été divisés par deux. Le constat est clair : il y a beaucoup moins de monde dans les couloirs, les classes et la cantine. Le brassage est donc moins important, ce qui permet de mieux respecter le protocole sanitaire et d’assurer la sécurité.

L’APHG est signataire d’une pétition contre le calendrier du bac où elle demande notamment le report des épreuves de spécialité prévues en mars. Pourquoi ?

Tous les élèves ne seront pas prêts ! Le confinement a créé un retard plus ou moins lourd, notamment pour les moins travailleurs. En terminale, les spécialités sont exigeantes, les programmes chargés. Les élèves doivent maîtriser 6 thèmes : environnement, nouveaux espaces de conquête, enjeu de la connaissance, formes de conflits et modes de résolution, histoire et mémoire et enjeux géopolitiques. C’est un programme particulièrement intéressant mais très dense. Les élèves doivent aussi maîtriser toute la partie méthodologie de la composition et l’étude critique de document est beaucoup plus aboutie qu’en tronc commun où ils ont déjà une épreuve d’une heure en histoire et d’une heure en géographie.
Avec le retard de l’an dernier lié à la crise sanitaire, le positionnement des épreuves à la mi-mars n’est pas réaliste. Pendant le confinement, il y a des notions et des méthodes qui n’ont pas pu être vues de manière suffisante ou assez précise. Nous sommes partis avec des lacunes que nous sommes toujours en train d’essayer de combler. Mars, c’est beaucoup trop tôt ! Le calendrier du bac doit être modifié et les épreuves de spécialité décalées au mois de juin. La spécialité HGGPS nécessite de travailler davantage, d’acquérir de l’autonomie, il faut du temps pour maîtriser les connaissances et se les approprier mais aussi pour avoir un écrit bien construit et fluide.

Dès la rentrée de septembre, il aurait dû y avoir des aménagements avec par exemple la suppression d’un thème. Il vaut mieux moins de chapitres mais très bien maîtrisés que trop de chapitres survolés. L’importance est que les élèves acquièrent une connaissance durable et non des flashs et des saupoudrages dont ils ne retiendront pas grand-chose.

Cette année, à cause du Covid-19, les épreuves d’évaluation communes de Première et Terminale sont annulées au profit du contrôle continu. Qu’en pensez-vous ?

Dorénavant au bac, il n’existe plus d’épreuve finale d’histoire-géographie. Elle a été remplacée, dans le cadre de la réforme du bac, par des évaluations communes. Mais en raison de la crise sanitaire, ces épreuves, qui s’apparentent à des devoirs sur tables, ont été annulées au profit du contrôle continu. Pour que ce système fonctionne, il faut avoir suffisamment de notes pour que ce soit révélateur du niveau réel de l’élève.
Le bulletin représente le travail régulier de l’élève sur le trimestre ou le semestre. Il doit ainsi correspondre à des exercices variés, de niveaux de difficultés et de coefficients différents : exposé, devoir en classe, contrôle, exercice à la maison… Cette méthode, liée au contexte sanitaire, peut être un bon moyen de juger l’élève mais elle a ses limites. Il ne faut pas que l’intégralité d’un cursus scolaire se fasse en contrôle continu, en raison des pressions possibles sur les notes de la part de certains élèves, parents et chefs d’établissements. À un moment donné, il faut aussi une épreuve d’examen où l’élève est corrigé de façon anonyme par un examinateur sur un sujet national. Hors covid-19, c’est aussi tout le problème des épreuves communes : il s’agit d’épreuves sur table, certes, mais corrigées par les enseignants de l’établissement. Le sujet n’est aussi pas national : il est choisi par l’équipe enseignante dans la banque nationale de sujets, pas toujours adaptés. C’est pourquoi, l’APHG ne souhaitait ni ces évaluations communes (appelées auparavant E3C) ni ce contrôle continu, en raison des inégalités et des pressions possibles. Nous étions plutôt favorables à une conservation de l’épreuve terminale d’histoire-géographie en juin.

Concrètement, pour l’histoire-géographie et sa spécialité HGGSP, que demandez-vous au ministre de l’Éducation ?

Nous avons deux revendications majeures. Dans un premier temps, nous demandons que les épreuves de spécialité prévues en mars soient décalées en juin pour que les enseignants puissent préparer les élèves plus sereinement. Nous réclamons également, pour les programmes de première et de terminale, plus de souplesse dans la mise en œuvre des épreuves communes, si celles-ci sont rétablies l’an prochain. De la souplesse dans les programmes et modalités d’organisation, pour davantage de cohérence. Le professeur doit en effet faire avancer tous ses élèves et s’adapter efficacement à la réalité du terrain : chaque classe est une alchimie particulière, aucune n’est semblable à une autre.