Pouvez-vous s’il vous plaît présenter votre parcours ?

Je m’appelle Rachid Zerrouki, j’ai 28 ans, je suis né à Fès, au Maroc. Je suis arrivé en France à l’âge du lycée et je suis devenu professeur des écoles. Aujourd’hui, je suis professeur en SEGPA* à Marseille et je publie Les Incasables pour parler de mon expérience.

Pour quelles raisons avez-vous souhaité écrire ce livre ?

Je contribuais déjà à certains médias sur des questions éducatives, notamment sur le thème de la grande difficulté scolaire. Et je constatais un vrai intérêt autour de ces questions, pas seulement de la part d’un public sensibilisé. L’idée de ce livre était de me servir de mon expérience, de ce que j’avais vécu sur le terrain, pour donner à voir et à ressentir la grande difficulté scolaire dans toute sa complexité. Ce n’est pas un livre de recettes magiques pour répondre à ce fléau, je souhaitais simplement mieux faire comprendre la situation de ces jeunes.

Toutes les anecdotes de classe sont vraies. C’était le mot d’ordre que je m’étais imposé, toujours rester au plus près de ce qui se passe vraiment en cours, et partir de mon vécu sur le terrain pour aller interroger la théorie.  

Pourquoi avez-vous décidé de devenir enseignant en SEGPA ?

Pour dire les choses honnêtement, je ne suis pas devenu enseignant de Segpa par vocation ou même par envie. Je voulais avoir une classe à temps complet, ce qui n’est pas donné lorsqu’on débute, et il me fallait des points d’ancienneté. En SEGPA nous « gagnons » 2 points par année, j’y suis donc allé avec la volonté d’engranger assez de points pour avoir ma classe à temps plein dans une école primaire. Et c’est après avoir mis les pieds en SEGPA que j’ai découvert que je m’y sentais profondément utile.

Vous parlez dans votre livre du caractère aliénant de la SEGPA. Est-ce pour cela que vous êtes resté ?

J’avais pour idée d’en partir, mais finalement j’y reste d’année en année car il y a effectivement ce caractère aliénant, cette chose qui nous empêche de demander une mutation. C’est le cas aussi de beaucoup de mes collègues et je pense que c’est quelque chose d’assez égocentrique au fond. Cela donne du sens à notre métier, car nous ressentons ce besoin de la part des élèves qui nous fait nous sentir utiles. Je n’ai pas ressenti cela lors de ma première année dans une école primaire. J’avais en face de moi des élèves qui avaient déjà les codes scolaires, qui pouvaient très bien s’en sortir tous seuls. Je prenais beaucoup de plaisir avec ces élèves-là, mais je ne ressentais pas cette utilité.

Vous dites dans votre livre que les sections pour élèves en échec scolaire ont fait des progrès, mais qu’elles peuvent encore être améliorées. Que préconisez-vous pour cela ?

Dans l’enseignement, on a en effet ce réflexe de faire de l’évaluation positive, de dire d’abord ce qui va. Quand on regarde vers le passé, il est évident que la prise en charge des élèves en grande difficulté scolaire s’est améliorée. Autrefois, ces élèves étaient appelés des idiots, des imbéciles, des incasables. Ces mots figurent dans des archives institutionnelles !

Aujourd’hui le simple fait de les caractériser d’enfants à besoins éducatifs particuliers, et d’essayer de les inclure au maximum, est une avancée. Mais effectivement, les chiffres montrent que la plupart de ces élèves sont finalement orientés en lycée professionnel, alors que ce n’est pas leur vœu de départ. C’est là où se trouve l’échec. Ce n’est absolument pas d’aller en lycée professionnel, c’est l’orientation subie.

Ma réponse sera classique, mais nous avons besoin de plus de moyens, plus d’humain, pour des classes à effectifs encore plus réduits. Il faudrait également des psychologues pour essayer de comprendre vraiment ces élèves, pour exercer l’empathie comme il se doit.

Quelle a été votre plus belle victoire avec ces élèves en difficulté ?

Dans le livre, je parle beaucoup de ces petites victoires que j’arrive à arracher dans le cadre de mon métier. La plus marquante est, je pense, le fait d’avoir réussi à faire jouer Antigone par mes élèves. Etant dans une période assez défaitiste, je ne les en sentais pas capables moi-même, et lorsqu’un ami comédien m’a proposé de le faire, je n’y croyais pas. Et finalement, nous avons adapté le texte, et avons réussi à tourner un petit film, c’était vraiment spectaculaire.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune enseignant qui débuterait en SEGPA ?

Mon conseil serait d’être vraiment prêt à se remettre en question, à prendre quelques claques et à bouleverser sa façon de travailler !

* section d’enseignement général et professionnel adapté, des classes pour les élèves présentant de graves difficultés scolaires.