Dans le premier degré, certains enseignants ont dénoncé une pression excessive de la part du ministère sur les élèves et leurs familles pour assurer la continuité pédagogique. Cette pression se ressent-elle également dans le second degré ?

Dans le second degré, nous avons effectivement eu des retours en ce sens. Quelques chefs d’établissements, même si ce n’est pas la majorité, se sont comportés comme des managers de staff de télétravail, en voulant imposer des calendriers précis, des évaluations, des bilans, des réunions en visioconférence, des injonctions sur les contenus, sur l’organisation avec les élèves…

Mais ils se sont vite rendu compte que c’était complètement inadapté à la réalité. On ne peut pas imposer un calendrier, sachant que tous les élèves ne peuvent pas se connecter en même temps, que toutes les familles ne sont pas outillées de la même façon, que tous les enseignants ne pourront pas non plus s’y consacrer de la même façon, surtout s’ils sont eux-mêmes parents.

Ce management a effectivement stressé les enseignants et les élèves. Notamment le calendrier imposé, qui a soulevé des inquiétudes sur ce qui se passerait s’ils loupaient le coche. J’ai eu des retours de parents paniqués parce que leurs enfants n’avaient pas pu rendre le travail à temps. Nous sommes déjà dans une situation anxiogène, il est inutile de rajouter de la pression !

Comment avez-vous géré cette pression ?

Les retours des familles ont été le premier signal. Elles ont alerté les principaux et les proviseurs pour les prévenir qu’elles étaient submergées de contenu, que leurs enfants n’avaient pas le temps ni le savoir-faire pour tout assimiler. De plus, ni les enseignants ni les familles ne disposant de matériel professionnel, nous avons eu des difficultés de connexion et nous en avons encore, le réseau est quasiment saturé pour les classes virtuelles par exemple.

Les enseignants aussi ont signalé des difficultés, surtout lorsqu’ils sont parents et qu’ils doivent encadrer leurs propres enfants. Adapter son cours peut prendre des proportions très importantes, en particulier lorsqu’on a plusieurs classes.

Nous avons donc appris à être pragmatiques. Nous nous sommes rendu compte que toutes les familles n’ont pas les moyens techniques de se connecter, de télécharger ou d’envoyer du travail, de respecter les formats demandés. Et que tous les élèves ne vont pas se connecter.

Il faut donc que le travail demandé constitue des jalons pour les élèves, pour ne pas perdre le fil, pour maintenir une activité scolaire, il ne faut pas leur donner énormément de travail, l’important étant de conserver un contact et un échange. Encore une fois, il faut se dire que tous les élèves ne le feront pas, ou ne pourront pas le faire. Nous avons encore des parents qui nous préviennent qu’ils n’y arrivent pas, qu’ils ne peuvent pas se connecter, ne peuvent pas être derrière leurs enfants pour s’assurer qu’ils font leur travail.

Egalement, accepter le décalage dans les rendus des élèves, car on ne peut pas pénaliser un élève parce qu’il n’a pas pu se connecter et rendre son travail.

Cette crise nous apprend que le travail à distance est indispensable, mais elle nous en montre aussi les limites. Ça nous apprend à nous adapter à des réalités que nous n’avions pas forcément perçues.

Quels conseils donneriez-vous aux enseignants pour s’adapter au mieux ?

Cela paraîtra peut-être vieux jeu, mais les recettes les plus simples sont les plus efficaces ! C’est-à-dire que la plate-forme ENT de chaque établissement contient des applications qui sont relativement faciles à utiliser. Ce sont des interfaces qui n’ont pas besoin de beaucoup de ressources pour fonctionner. L’élève peut y télécharger des documents (cours, exercices, QCM…) et déposer dans un casier numérique son travail en retour. L’enseignant fait son ramassage régulier de copies, et prend le temps de corriger, de renvoyer des corrections et des explications supplémentaires en fonction du travail corrigé.

Plus les outils sont compliqués et gourmands en ressources techniques, moins cela va toucher d’élèves. Les classes virtuelles, par exemple, demandent énormément de débit, il y a souvent des problèmes de connexions qui se bloquent… le nombre d’élèves qui vont se connecter est donc complètement aléatoire.

Cela nous démontre, s’il y avait besoin, qu’il peut difficilement y avoir de pédagogie efficace sans la présence de l’enseignant aux côtés de ses élèves !