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La plupart des écoles de l’Oise ayant déjà fermé, les enseignants du département utilisent depuis deux semaines un dispositif d’enseignement à distance. Quels sont leurs retours ?

Avant toute chose, il faut comprendre qu’il n’existe pas UN dispositif d’enseignement à distance. Nous sommes 5 000 enseignants dans l’Oise et nous avons mis en place 5 000 dispositifs différents !

Il est en effet impossible de mettre en œuvre, de la même manière pour tous, le dispositif prévu par le ministère et le CNED. Je viens par exemple d’avoir le retour d’un collègue de CM2, qui enseigne en REP+. Savez-vous combien de parents d’élèves ont renseigné une adresse mail sur ses fiches de renseignement ? 5 sur l’ensemble de la classe ! Il est donc évident que ce collègue-là ne va pas utiliser le CNED.

Les outils du ministre vont se heurter à la fracture sociale et numérique. Certaines familles n’ont même pas d’ordinateur et possèdent, au mieux, une tablette pour plusieurs enfants. Si, en plus, l’un des parents est en télétravail, comment les enfants peuvent-ils concrètement utiliser un dispositif d’enseignement à distance ? Certains parents ne peuvent même pas s’arrêter de travailler, et les élèves sont gardés chez les voisins ou chez des amis d’école, avec plusieurs autres enfants. Comment dans ce cas-là assurer une continuité pédagogique avec le numérique, au niveau matériel et pratique ?

Je regrette que l’Education nationale n’ait pas anticipé cette situation. Le virus était déjà présent au mois de décembre en Chine. Nous sommes au mois de mars, pourquoi se poser ces questions aujourd’hui en catastrophe ? Le gouvernement aurait pu se les poser il y a trois ou quatre mois, et former les enseignants à mettre en place des solutions. En tant qu’enseignant, je n’ai jamais été formé à utiliser une classe virtuelle, à enseigner avec les outils du CNED ou à lancer un blog de classe.

Que disent les parents de cette situation ?

Nous avons des échos de familles qui n’arrivent pas à gérer l’école à la maison. Les injonctions ministérielles mettent de la pression sur les familles, sur les enfants. Cela ne s’improvise pas de transformer son salon en salle de classe ! Etre enseignant est un métier et les parents ne peuvent pas se substituer à l’école. On fait en ce moment reposer le poids de l’école sur des parents qui n’ont pas fait le choix de l’enseignement à la maison. Nous ne voudrions pas, pendant cette période qui sera peut-être longue, que ce que l’Education nationale demande aux familles aggrave encore les inégalités scolaires d’origine sociale.

Que préconisez-vous pour assurer une continuité pédagogique ?

D’abord, que l’on n’impose pas une continuité pédagogique quand les écoles sont fermées. La seule continuité pédagogique valable se fait en classe.

Aujourd’hui, la seule chose que j’entends de Jean-Michel Blanquer est : il faut que les élèves continuent de travailler. Or, nous estimons que pour limiter les dégâts, il ne faut pas demander aux familles de travailler sur de nouvelles notions. Il faut rester sur des révisions, de l’éveil ou du jeu. Nous appelons à tempérer, à mesurer les choses et à dédramatiser la situation. La priorité est que nous élèves aillent bien !

L’école doit faire réussir tous les élèves, et pas seulement ceux dont les parents sont en mesure de les accompagner. Je ne dis pas qu’il ne faut rien faire, mais il ne faut pas creuser la fracture sociale entre les familles.

Pensez-vous que cette crise puisse avoir un impact particulièrement négatif sur les élèves en difficulté scolaire ?

Bien sûr ! Comment organiser une classe virtuelle avec, par exemple, une classe d’ULIS, qui comprend majoritairement des enfants en situation de handicap ? Une collègue a récemment tenté l’expérience, avec une classe ULIS de 12 élèves. Seuls 2 se sont connectés à la classe virtuelle…

Ce sont les enseignants qui connaissent le mieux leurs élèves. Il faut que le ministère arrête avec ses grands discours qui laissent à penser qu’il y a un dispositif identique pour tous. Il faut faire confiance aux collègues, ce sont eux qui savent le mieux ce qu’il faut faire avec tel ou tel élève, dans telle ou telle famille. Donnez-nous des outils, des conseils, mais faites confiance aux enseignants. C’est ce que nous voudrions entendre de la part de notre ministre : « Je fais confiance aux enseignants ».