Les affectations des enseignants loin de leur domicile et de leur famille sont courantes. Témoignages de professeurs et points de vue des syndicats. Image : Getty

Les premières affectations amènent souvent à enseigner dans les académies de Versailles, Créteil et Amiens. Parfois loin de son domicile et de ses proches. Récemment, une professeure stagiaire de l’académie de Lille a fait un recours gracieux pour réviser son affectation. Une fois titulaire de l’enseignement professionnel, elle devait aller dans l’académie de Versailles alors qu’elle n’avait formulé qu’un vœu : l’académie de Lille. Le poste était situé à 2h15 de son domicile. Une situation complexe pour cette mère de deux enfants en bas âge, dont l’un reçoit des soins ORL, et dont le compagnon a des horaires de travail inflexibles. Dans un premier temps, la juge a donné raison à l’enseignante et demandé à ce qu’elle soit affectée dans l’académie de Lille. Mais la ministre de l’Éducation s’y est opposée et vient d’obtenir gain de cause. Le conseil d’État a fait valoir que « ces désagréments matériels et familiaux liés à l’éloignement de son affectation avec son domicile ne caractérisent pas à eux seuls une situation d’urgence telle qu’elle justifie la suspension des décisions attaquées, qui sont motivées par l’intérêt public s’attachant à une procédure d’affectation visant à assurer une répartition équitable et équilibrée des personnels enseignants titulaires sur l’ensemble du territoire national, selon les capacités d’accueil de chaque académie ».

Garantir une bonne couverture territoriale

Une situation loin d’être isolée. « Régulièrement, des collègues insatisfaits tentent des procédures de recours mais le ministère ne peut pas passer outre ses priorités légales », reconnaît Axel Benoist, co-secrétaire général du SNUEP-FSU. Le ministère doit, en effet, veiller à ce que toutes les académies aient un nombre suffisant d’enseignants. La décision ne surprend pas non plus Élisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale du SE-UNSA : « la mobilité fonctionne avec un barème et un système de points selon le nombre d’enfants, le fait d’avoir un conjoint ou pas, l’ancienneté, le handicap… Il y a des territoires très demandés, d’autres moins. Dans l’enseignement professionnel, comme c’est le cas pour cette enseignante, suivant les matières, il y parfois très peu de postes disponibles à la mobilité », souligne-t-elle.

Des affectations loin du domicile

Déborah, professeure d’anglais, se souvient de ses premières affectations particulièrement problématiques et coûteuses. Elle a été affectée en tant que professeur stagiaire dans un établissement à une centaine de kilomètres de son lieu de résidence. « Je fais partie des enseignants qui ont obtenu leur CAPES à la fin du M1 (ancienne maquette du Master MEEF 2) et j’ai donc dû être en poste (10h en lycée général et technologique avec des classes à examen) et suivre les enseignements du M2. Cela impliquait donc trois allers-retours par semaine vers l’université située à 54 km de mon lieu de travail. Je vous laisse imaginer le coût en carburant, péages et fatigue », glisse-t-elle. Et pour sa première année comme titulaire, elle a été affectée dans une autre région, cette fois à trois heures de son domicile, faute de points pour rester. « Je n’avais pas d’enfant, n’étais ni mariée ni pacsée. J’avais le même nombre de points que certains collègues qui, eux, ont pu rester en Normandie. Le critère pour nous départager n’était malheureusement pas le rang au concours (cela me paraît pourtant plus juste), mais l’âge. Ma faute, c’était d’être plus jeune que les autres. J’avais misé mon bonus de points de stagiaire sur cette demande, je l’ai donc perdu et j’ai dû attendre deux ans avant de pouvoir retourner dans ma région », se souvient-elle. Un exemple parmi d’autres.

Affectations : Des frais à la clé

Guillaume Diana, professeur de lettres classiques originaire de Toulouse et installé à Paris, se rappelle aussi de son année de stage. Après l’obtention de son Capes, il apprend qu’il est affecté dans l’académie d’Amiens alors qu’il avait demandé les trois académies franciliennes en priorité. « J’ai su que je devais aller dans la ville de Laon assez tardivement et le collège était difficile d’accès pour moi qui habitait encore à Paris. Étant en couple, j’ai préféré continuer à y vivre et je faisais des allers-retours entre la capitale et Amiens pour aller à l’INSPÉ et entre Paris et Laon pour enseigner. Je me levais à 4h30 pour prendre le premier train pour Laon. Mais même Laon-Amiens, c’était plus d’une heure de train », explique-t-il. Guillaume Diana a pu profiter d’une chambre dans l’établissement pour quelques jours par semaine. De quoi limiter un peu la fatigue mais pas les frais qu’impliquait ce double loyer, sans oublier le prix des billets de train.

Des aides trop faibles

Dans le premier degré, les professeurs des écoles sont nommés dans l’un des départements de l’académie où ils viennent d’obtenir leur concours. Dans le second degré, les choses diffèrent. L’année qui suit l’obtention du concours, le jeune enseignant est stagiaire. Son affectation comme titulaire l’année d’après est régie par le mouvement national. « Quand on passe le concours, de manière tacite, on signe un pacte avec la fonction publique : on a passé un concours national, on n’est pas rattaché à une académie », confie Guillaume Diana. S’il comprend le management général de l’Éducation nationale et la nécessité d’une bonne répartition des enseignants sur l’ensemble du territoire, il regrette la faible prise en charge de ces affectations. « J’ai dû avancer fin août les frais de logement et de train avant de toucher mon premier salaire qui n’était pas mirobolant. On a peu d’aides, hormis l’aide d’entrée dans le métier et l’aide d’emménagement, le ministère n’a pas de parc immobilier pour nous loger avec un loyer limité par exemple », remarque-t-il. Élisabeth Allain-Moreno confirme que ces aides sont faibles face au coût de la vie plus élevé dans certaines académies, au double loyer à payer pour certains, aux frais de transports etc. « Le ministère nous indique qu’il dispose d’une grosse enveloppe d’action sociale pour aider le personnel mais avec 1,3 millions d’agents, c’est insuffisant. Ça aide les personnes les plus en difficulté seulement », ajoute-t-elle.

Un frein au recrutement

La profession peine à recruter et les contraintes engendrées par les affectations sont un réel frein à l’attractivité pour les professionnels interrogés. Pour Axel Benoist, l’un des problèmes vient du manque de professeurs titulaires. « En Outre-mer, par exemple, il y a vingt à trente postes vacants mais comme il ne faut pas vider les autres académies, on pioche dans le vivier de contractuels (ces postes ne sont donc pas proposés aux enseignants titulaires ndlr). Le rectorat ne veut pas de titulaires supplémentaires car ils coûtent plus cher. Mais si on renforçait le nombre de titulaires, ça améliorerait le mouvement et les affectations », avance le co-secrétaire général du SNUEP-FSU. Et même si les contractuels bénéficient d’une bonification s’ils passent le concours, ce n’est pas toujours suffisant pour les motiver.
Par ailleurs, les barèmes pour aller dans certaines académies ne cessent d’augmenter et accroissent la difficulté à pouvoir y obtenir un poste. « Si on disait aux jeunes enseignants qu’après 3 ou 4 ans dans une académie d’affectation moins attractive, ils ont la garantie de rejoindre l’académie qu’ils désirent, ça éviterait des départs de l’Éducation nationale. Et certains resteraient peut-être aussi sur place car ils auraient développé des liens sociaux », suggère Élisabeth Allain-Moreno. Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale, attend les propositions des syndicats sur le sujet, mais d’après la secrétaire générale du SE-UNSA, « le dossier reste rarement longtemps sur le dessus de la pile ». En attendant, certains enseignants prennent leur mal en patience, s’adaptent autant que possible… Déborah, la professeure d’anglais, elle, travaille désormais dans l’enseignement supérieur après avoir candidaté sur un poste précis. « C’est la première fois que je choisis mon lieu de travail. Le salaire n’est pas plus attrayant, au contraire, mais rares sont les enseignants qui travaillent pour la gloire ou l’argent… Nous n’avons que peu de recours dans l’Éducation nationale et les conditions de travail ne sont pas suffisamment attrayantes pour que nous y laissions santé et vie de famille. C’est un choix à faire », conclut-elle.