L’intégration des solutions d’intelligence artificielles à l’école, un enjeu pour l’apprentissage des élèves. Image : Getty

Développé par OpenAI et fondé sur la technologie du machine learning, le chatbot ChatGPT est sorti fin 2022 et a été suivi de près par Bard (Google) et Bing chat (Microsoft). Ces intelligences génératives sont capables de répondre à toutes sortes de questions posées par leurs utilisateurs, grâce à des bases de données plus ou moins fréquemment actualisées – et à la capacité des algorithmes à apprendre par eux-mêmes.

Pour les élèves : outil de tricherie ou d’apprentissage ?

La première question qui s’est posée pour l’école est celle des possibilités de triche. En effet, les réponses des chatbots échappent aux logiciels anti-plagiat. Des contre-intelligences ont été développées pour détecter ces situations, mais n’offrent pas une solution infaillible au problème.

Pour s’adapter, les enseignants doivent revoir leurs modes d’évaluation : moins de devoirs à la maison, et davantage de devoirs en classe, de présentations orales, de travaux de groupe ou de travaux créatifs sont ainsi demandés. L’objectif : mobiliser les compétences proprement “humaines” des élèves comme l’esprit critique, la résolution de problèmes ou la collaboration.
Pour Philippe Meirieu, le problème des intelligences génératives est moins celui du plagiat que celui du rapport à la connaissance : le pédagogue craint que les IA ne “tuent le désir d’apprendre” chez les élèves, dans une tribune publiée dans Le Monde en mars 2023.

Malgré ces risques, de nombreux acteurs de l’éducation pensent nécessaire d’intégrer – plutôt que d’interdire – l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les apprentissages scolaires. Yann Houry, directeur de l’innovation pédagogique au Lycée Français International de Hong Kong, confie :

“C’est une belle occasion d’exercer l’esprit critique. C’est aussi une excellente occasion, en apprenant à travailler avec la machine, de se concentrer sur ce qui fait la valeur humaine et que la machine ne sait pas faire. On parle souvent de créativité, de sensibilité, d’inspiration, mais je parlerais plus volontiers du point de vue sur le monde, de l’opinion, de la conviction puisque la machine est dépourvue de conscience”

Surtout, l’intelligence artificielle peut permettre aux élèves de mieux apprendre grâce à l’adaptative learning, une technologie qui cible les difficultés de l’élève et lui propose du contenu personnalisé et des retours d’information (ou feedback) fréquents. Plusieurs plateformes se développent dans ce secteur, comme la Khan Academy aux États-Unis.

Pour les enseignants : des usages innombrables

La seconde inquiétude qui avait émergé à la sortie de ChatGPT était celle du remplacement de l’enseignant par les machines. Un scénario qui relève de la science-fiction pour Yann Houry, qui souligne que “la pandémie a montré combien la dimension sociale de l’enseignement était forte, désirable et indispensable.” Et nombreux sont les enseignants qui expérimentent les possibilités pédagogiques de l’intelligence artificielle.

Les intelligences génératives peuvent en effet avoir de multiples utilisations dans l’enseignement : créer des contenus éducatifs (supports de cours, quiz, exercices…), tracer un parcours optimisé pour une sortie scolaire, adapter des contenus pour les élèves à besoins particuliers (générer des sous-titres automatiques pour un élève malentendant, un contenu audio pour un élève dyslexique, traduire un texte pour un élève allophone…) en sont autant d’exemples. Ces technologies peuvent en outre aider les enseignants à mieux différencier la progression de chaque élève et à repérer ceux qui pourraient être en difficulté à l’avenir, grâce à des prédictions faites par l’algorithme à partir de données sur leurs profils.

Yannig Raffenel, expert en formation digitale, considère dans une interview pour l’IH2EF que l’utilisation des IA génératives peut libérer du temps aux enseignants pour “se concentrer sur la création d’activités pédagogiques d’appropriation par les apprenants, ainsi que sur l’accompagnement personnalisé de ceux qui rencontrent des difficultés.” Une avancée non négligeable dans une profession marquée par la crise du recrutement et la lourde charge de travail.

Former et encadrer

Et pour éviter une fracture générationnelle entre eux et leurs élèves, beaucoup de professeurs cherchent à se former au plus vite aux différents usages de l’intelligence artificielle. Ils peuvent pour cela compter sur les nombreuses ressources qui existent sur le sujet, en attendant qu’il soit pleinement intégré à la formation des futurs enseignants. Selon Yannig Raffenel, il est par ailleurs essentiel de former les parents : tant pour “les aider à mieux comprendre et gérer les usages des réseaux sociaux et des smartphones chez leurs enfants” que pour “éviter une vague d’opposition aux utilisations des edtech (technologies éducatives) au sein des établissements.” Pour tirer le meilleur parti de ces outils et en encadrer les usages, de nombreux spécialistes appellent à définir collectivement une éthique de l’intelligence artificielle, comme en témoigne la tribune portée par Elon Musk et d’autres experts en mars dernier pour demander six mois de pause dans l’avancée de ces outils.

Dans l’éducation, cet encadrement pourrait se traduire par des mesures visant à protéger la vie privée des utilisateurs, mais aussi à garantir une utilisation équitable et inclusive de l’IA à l’école. En 2019 déjà, le Consensus de Beijing sur l’intelligence artificielle et l’éducation (UNESCO) proposait des recommandations en ce sens. En France, la ministre de l’Enseignement Supérieur Sylvie Retailleau a déclaré que son ministère était “dans l’accompagnement de chercheurs ou de start-up qui développent ces outils de détection des contenus non autorisés et générés par l’IA” tout en soulignant qu’aucun “outil anti-IA [ne sera] particulièrement promu par le ministère.”