Hadrien Chalard est traducteur littéraire et professeur d’islandais au sein de l’UFR d’études Germaniques et Nordiques à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université.

L’Islandais est, paraît-il, une langue impossible à apprendre. Vieille de plus de 1000 ans et parlée par moins de 400 000 personnes, c’est une merveille linguistique qui n’a quasiment pas dévié de son ancêtre, le vieux norrois. En comparaison, c’est comme si certaines régions d’Italie parlaient encore le Latin. Hadrien Chalard, traducteur littéraire et professeur d’islandais à la Sorbonne, nous parle de cette langue aussi « mystérieuse qu’envoutante » .

Comment en vient-on à se passionner pour la langue islandaise ?

Tout a commencé après avoir découvert un disque du groupe de rock alternatif Sigur Rós. Et j’ai trouvé cette langue si mystérieuse, si envoûtante, que mon amour naturel pour les langues a pris le dessus, et j’ai décidé d’apprendre l’Islandais. Je l’ai appris pendant trois ans à la Sorbonne, puis j’ai fait ma troisième année en Erasmus à Reykjavik. 
Mais j’ai eu des doutes. Je me suis interrompu pendant deux ans parce que je n’étais pas sûr que c’était vraiment dans cette voie que je voulais me lancer. Pendant deux ans j’ai appris le japonais à l’INALCO. Et c’est à ce moment-là, qu’à la fin des deux ans, je suis retourné à la Sorbonne faire mon master durant lequel j’ai décidé de me lancer à fond dans la traduction littéraire. Et depuis, après avoir vécu et travaillé un an en Islande, je suis désormais maître de langue islandaise à la Sorbonne et traducteur littéraire à côté.

Ce n’est pourtant pas une langue très populaire…

C’est vrai que c’est une langue qui n’est pas très populaire en soi. D’une manière générale, en France, les langues scandinaves ne sont pas très médiatisées. 
Néanmoins, les langues scandinaves continentales (Suède, Finlande, Danemark, Norvège) sont quand même bien présentes dans notre patrimoine culturel. Il y a beaucoup de séries policières ou teens, notamment danoises, qui ont énormément de succès (Skam, Chosen…). Donc beaucoup d’étudiants découvrent les langues scandinaves par ce biais-là. Et l’Islande à ce niveau-là, est en retard par rapport à ses cousins continentaux. Ce qui s’explique logiquement du fait de sa population et de ses moyens très restreints. 
Par exemple, je suis certain que si vous interpellez dix personnes au hasard, pratiquement toutes auront déjà entendu parler des langues scandinaves. Mais l’islandais, lorsque j’explique à des gens ce que je fais, j’entends très souvent comme réaction de leur part “ah, mais ils ont une langue ? ”. Beaucoup sont surpris par l’existence même d’une langue islandaise. 

Attention, ça ne signifie pas que les gens ignorent l’existence de l’Islande ! C’est un pays très touristique, et assez connu. Mais se dire qu’un si petit pays avec si peu d’habitants possède une langue unique qui est enseignée, c’est quelque chose de difficile à imaginer.
Et pourtant, c’est une langue si unique. Quand quelqu’un apprend le suédois, il sait que des millions de personnes le parlent. Et plus encore le comprennent ! Un Suédois, un Norvégien ou même un Danois peuvent très bien discuter ensemble et se comprendre. Les langues sont très proches. Ce qui n’est pas du tout le cas avec l’islandais. 

Quel est l’intérêt d’apprendre l’islandais ? 

En haut, la langue des elfes inventée par Tolkien. / En bas, des inscriptions runiques en vieux norrois.

C’est une des langues les plus mystérieuses. Je ne connais évidemment pas toutes les langues mais personnellement, aucune n’a autant eu sur moi cet effet envoûtant.
Pour donner une idée aux personnes qui n’ont jamais entendu cette langue, elle a un aspect très mystique, fantastique. Pour moi, elle a un effet “langue des elfes”. La graphie rappelle beaucoup les écrits de Tolkien. Bon évidemment c’est l’inverse (rire).

Mais plus sérieusement, je pense que n’importe quelle personne qui a un attrait pour la culture nordique, la culture mythologique, ou même les genres culturels fantasy peut trouver un intérêt dans l’apprentissage de cette langue. Tant par les sons, que la graphie, que son histoire. Lorsqu’on la parle, on réalise qu’on pratique une langue qui n’a quasiment pas évolué depuis sa création. Lorsqu’on la parle, on parle quasiment le Viking. 

Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les Français dans l’apprentissage de l’islandais ?

L’alphabet islandais est composé de 34 lettres

Les déclinaisons principalement. C’est le plus gros obstacle quand on commence la langue. Si on a déjà fait du latin, du grec ou de l’allemand, ça aide beaucoup. Mais si on en a jamais fait, ce n’est vraiment pas évident. D’abord il faut comprendre le principe d’une déclinaison. Ensuite, il faut les retenir ! L’islandais décline pratiquement tout. Tous les substantifs sont déclinés, les chiffres de 1 à 4, les pronoms personnels, les pronoms possessifs. Même les prénoms et les noms sont déclinés ! En Islande, on est davantage sur un système de patronymes que de prénoms ou de noms de famille. On dit plutôt “fils de…” ou “fille de…” en ajoutant les suffixes -son si c’est un garçon ou bien -dottir si c’est une fille. Par exemple, l’écrivain Gunnar Gunnarsson a comme prénom Gunnar, comme son père. Cela donne Gunnar + -son = Gunnar Gunnarsson (Gunnar fils de Gunnar). Il y a donc très peu de vrais noms de famille. 

Et c’est pour ça qu’en Islande, tout le monde s’appelle par son prénom, et tout le monde se tutoie. Si on croise le président dans la rue, on peut le tutoyer. Il n’y a pas de vouvoiement particulier.

En résumé, les déclinaisons et la prononciation sont les deux points les plus compliqués pour les débutants. Et même avec plusieurs années derrière soi, ce n’est pas toujours facile. 

Est-ce que les langues rares sont attractives pour les étudiants ?

De moins en moins… Actuellement dans ma classe j’ai une petite dizaine d’élèves. Lorsque j’étais étudiant, nous étions le double. Et ce qui est assez triste en fait, c’est que parmi ces étudiants, une seule élève a volontairement fait le choix de l’islandais comme première langue. Les autres sont en option puisque dans notre cursus d’études nordiques à la Sorbonne, tous les étudiants doivent prendre deux langues. Une principale, et une au choix entre le finnois et l’islandais. 
En revanche, j’ai plusieurs étudiants qui à l’origine sont là par défaut, qui sont très actifs et aiment beaucoup la langue. Certains songent même à changer de spécialité pour l’islandais. 

D’une manière générale, j’ai l’impression que l’apprentissage des langues n’est clairement plus une priorité au niveau scolaire. A part l’anglais évidemment parce que c’est nécessaire pour le business, mais l’apprentissage des langues en tant que tel, en tant qu’ouverture au monde, en tant que découverte culturelle, j’ai l’impression que malheureusement, ce n’est plus une priorité.