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Journalistes d’investigation connus pour leurs enquêtes sur les coulisses de l’Elysée, Fabrice Lhomme et Gérard Davet dévoilent leur première pièce de théâtre : « Un président ne devrait pas dire ça… » Adaptée du livre du même nom, la pièce revient sur les révélations que François Hollande a faites aux deux journalistes pendant sa présidence – et qui avaient créé le scandale.

La pièce est à découvrir pour la première fois le 1er avril à Bobino, dans le cadre du festival Paroles Citoyennes.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Fabrice Lhomme, grand reporter au Monde, tout comme mon collègue Gérard Davet. Nous avons publié ensemble de nombreuses enquêtes. Nous avons d’autres activités, toujours dans le prolongement de notre métier : par exemple la sortie d’une bande dessinée inspirée de nos travaux sur les dessous du pouvoir présidentiel, « L’Obsession du Pouvoir », parue le 2 mars aux éditions Delcourt ; ou encore du film « Le monde d’hier » réalisé par Diastème, dont nous avons co-écrit le scénario (le 30 mars au cinéma). C’est cette fois une fiction pure, sur une présidente en fin de mandat, qui fait face à l’extrême-droite en passe de lui succéder.

Avec Gérard Davet, vous avez convaincu François Hollande de vous accorder des entretiens réguliers pendant sa présidence. Comment est née cette idée ?

Dès 2011, on était convaincus qu’il serait élu. On a voulu examiner sa présidence, après avoir publié plusieurs enquêtes sur celle de Sarkozy – mais d’une manière différente, cette fois. Pendant sa campagne, on est allés le voir, un peu au bluff, pour lui demander s’il serait d’accord pour nous raconter son quinquennat de l’intérieur dans le cas où il serait élu.

Il était surpris, car encore candidat, mais il a accepté : je pense que, comme tout homme politique, il y a vu un intérêt pour son image publique. Mais au-delà de ça, François Hollande est quelqu’un qui adore la presse : la lire comme côtoyer ceux qui la font. C’est un vrai défenseur de la liberté des médias, il faut lui reconnaître ses qualités ; il estime qu’un haut responsable se doit de répondre aux journalistes.

Comment étaient organisés ces rendez-vous ? Et quid de la rédaction du livre?

On avait rendez-vous avec François Hollande au minimum une fois par mois, à l’Elysée. C’étaient des interviews : on avait nos téléphones sur dictaphone, tout était enregistré. On l’interrogeait sur l’actualité récente, et parfois sur des sujets plus transversaux : son opinion sur l’immigration, le sport, l’évolution du Parti Socialiste…

On a aussi organisé des dîners, chez Gérard ou chez moi : le but était de le sortir de son cadre, d’avoir des moments plus longs et plus propices à la « confession ». On tenait en revanche à garder une distance, et à avoir avec lui une relation cordiale mais toujours professionnelle. C’est un homme chaleureux, il fallait éviter de tomber trop en empathie.

On n’a commencé à rédiger le livre qu’au printemps 2016 : pendant toute la durée du quinquennat, on ne savait pas quelle forme ça allait prendre.

Comment avez-vous eu l’idée d’adapter le livre en pièce de théâtre ?

Le livre a eu un retentissement incroyable, qu’on ne pouvait pas soupçonner : ça a été un succès commercial, mais aussi un scandale politique qui a fortement contribué à empêcher François Hollande de se représenter en 2017.

Mais surtout, il y avait un potentiel théâtral dans cette aventure. Deux journalistes face à un chef d’Etat, c’est une sorte de combat. Chacun a un intérêt : le président veut soigner sa communication et être réélu ; les journalistes veulent obtenir des déclarations fortes et des révélations. C’est un affrontement symbolique entre le pouvoir et le « contre-pouvoir » qu’est la presse ; un bras de fer très démocratique. On avait en tête le film américain Frost / Nixon, adapté d’une pièce de théâtre, qui traite justement de cette relation journaliste-président.

Les personnages de la pièce sont donc le président Hollande, Gérard Davet et vous-même ?

Dans la pièce, le président n’est pas nommé, et nous non plus. Au départ, on envisageait, sur les conseils de Jean-Marc Dumontet et Antoine Mory, les producteurs, de nous mettre nous-mêmes en scène, puis on s’est tous aperçu que ça manquait de théâtralité : nous étions deux personnages trop proches. Par ailleurs, Gérard et moi étions réticents à nous mettre trop en avant.

On a donc créé deux personnages de journalistes, qu’on a « fictionnés » – en empruntant quand même certaines caractéristiques de Gérard et de moi. Le premier est un journaliste sur le retour, un peu « à l’ancienne » (interprété par Thibault de Montalembert) et l’autre est une jeune journaliste, ambitieuse et connectée (Lison Daniel). Ces personnages, encadrés par une rédactrice en chef imaginée pour l’occasion (Hélène Babu), donnent un autre enjeu à la pièce : lequel des deux aura la meilleure approche du président (joué par Scali Delpeyrat) ?

Comment avez-vous adapté ces entretiens en dialogue ?

Pour les dialogues, on a travaillé avec François Pérache et Antoine Mory, qui nous ont permis de mettre du dynamisme dans la pièce.

On avait une contrainte : on voulait que les paroles tenues dans la pièce par le président correspondent mot pour mot à ce que nous avait dit François Hollande. Tout est vrai, donc, même s’il n’est pas nommé.

La pièce est en résonnance avec l’actualité…

Oui, bien sûr, d’ailleurs on voulait que la pièce sorte avant l’élection présidentielle 2022. Mais en réalité, c’est une pièce intemporelle, on l’a voulue comme telle.

La première aura donc lieu vendredi 1er avril à Paris, à Bobino, dans le cadre du festival Paroles Citoyennes, puis la troupe partira en tournée en province, avant de revenir sur Paris, sans doute début 2023, pour de nouvelles représentations. Nous sommes ravis qu’elle soit jouée pour la première fois dans le cadre de Paroles Citoyennes, c’est un très beau festival, avec chaque année une programmation alléchante.

Que retenez-vous de cette première expérience comme dramaturges ?

C’est notre première pièce de théâtre à tous les deux, et j’espère que ce ne sera pas la dernière. On partait de zéro, et si on a eu du mal au début, on a réussi à la monter ; en soi c’est déjà une victoire. La suite dépendra du public. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’une pièce assez inédite car sa conception est vraiment originale.

Tous les ingrédients sont réunis : le casting est parfait, il y a une bonne alchimie entre les comédiens. Le metteur en scène, Charles Templon, nous a offert sa vision novatrice des choses. Le décor, la mise en scène, jusqu’à l’affiche : tout est cohérent et surtout donne envie. C’est très prometteur !

Image homepage : © Vincent Capman