Jean-Charles Cailliez

Pouvez-vous nous dire qui vous êtes en quelques mots ?

Je suis professeur de biologie cellulaire et de génétique, et j’ai été chercheur à l’Institut Pasteur et à l’Inserm pendant une vingtaine d’années. J’ai également été doyen de ma fac durant 6 ans.

Pendant environ 25 ans, j’ai été un prof d’université tout à fait « normal » ! Et depuis huit ou neuf ans, j’ai changé beaucoup de choses. Je suis passé à la classe renversée entre autres, en disant à mes étudiants : « ce n’est plus moi qui vais faire le cours, c’est vous qui allez le faire ! »

Qu’est-ce que la classe renversée ?

La classe renversée est un peu différente de la classe inversée. On dit souvent que la classe inversée consiste à donner le cours à étudier à la maison et à faire les devoirs en classe. Dans ma classe renversée, je ne donne pas le cours à mes étudiants. Je ne leur donne rien du tout ! Ce sont eux les profs et c’est moi l’élève.

Je leur présente la classe renversée en leur disant que désormais, ce sont eux qui vont me faire cours. Bien sûr, au début, ils ne comprennent pas, ils me disent qu’ils ne le connaissent pas et qu’ils sont là pour apprendre. Et je leur réponds : « la meilleure façon d’apprendre, c’est d’enseigner ! »

Attention, tout cela est bien sûr organisé ! Dire que je ne fais plus rien, c’est une provocation. Dans ma classe renversée, les étudiants, en équipe de six, doivent chercher les informations relatives au chapitre étudié (sur internet ou dans des livres), construire le plan, organiser les informations… ils passent ensuite au tableau et écrivent le cours. Comme c’est moi l’élève, je leur pose des questions. Quand leur cours est bon, je leur dis que j’ai tout compris, mais quand il y a des erreurs ou que le cours est mauvais je leur dis que je ne comprends rien et ils doivent m’expliquer. Ils doivent aussi m’interroger, et ensuite corriger ma copie (dans laquelle je fais volontairement des erreurs pour vérifier qu’ils les verront…) Tout est à l’envers !

Vous avez présenté un atelier au CLIC sur votre méthode. Pouvez-vous en parler ?

Il s’agissait d’un atelier sur les outils de la classe renversée, auquel participaient une trentaine de profs. Je les ai mis en équipes, et je leur ai posé une question par groupe. Par exemple, « comment faites-vous pour que vos cours soient plus interactifs », « comment repérez-vous les élèves qui ne travaillent pas assez », « comment évaluez-vous vos élèves », etc. Chaque groupe devait ensuite proposer une réponse à la question que je leur posais.

Ensuite, je leur ai montré comment je répondais moi-même à ces six questions, avec ma classe renversée. Pendant une vingtaine de minutes, je leur ai ainsi montré tous mes outils, mes méthodes pour faire travailler mes élèves. Il y a par exemple la tricherie obligatoire : au début d’une interro, je mets les élèves en équipe, et je pose une question. Par exemple, « quel est le principe du vaccin contre la grippe ? ». Je leur dis ensuite que dans 10 minutes, je ramasse une copie par groupe. Ils se mettent à travailler, et au bout de 7 minutes, je leur explique qu’ils peuvent désigner un élève par groupe, qui aura le droit d’aller piocher des informations dans la réponse des autres équipes. Ça les oblige à « tricher » en étant intelligents, car les informations ramenées par l’élève choisi doivent servir à améliorer leur copie !

Il y a aussi l’imprégnation, pour plonger directement les élèves dans un sujet en début de chapitre. C’est très simple : un prof normal, prenons par exemple un prof d’histoire-géo, au début du chapitre sur la bataille de Waterloo, commencera son cours en expliquant pourquoi Napoléon a perdu la bataille, et les élèves prendront des notes. Mais la plupart du temps, au bout de 10 minutes, les élèves n’écoutent plus vraiment, et prennent des notes sans réfléchir.

Pour éviter cela, « j’imprègne » les élèves avant de donner mon cours. Lorsqu’ils arrivent en classe, je leur donne un quart d’heure pour faire de la recherche et m’expliquer, pour reprendre notre exemple, pourquoi Napoléon a perdu à Waterloo. Je ne leur donne aucune explication. Les élèves se mettent à chercher, sur leurs ordinateurs, dans des manuels… J’attends cinq minutes, et lorsque je vois qu’ils sont tous concentrés sur leurs recherches, je stoppe tout. Et je leur dis « je vais vous l’expliquer moi-même ». Je leur fais ensuite un cours en 10 minutes. Et comme ils étaient tous concentrés sur leurs recherches à ce sujet, ils sont très attentifs !

Il y a plein d’autres outils en classe renversée, comme le ping-pong, le karaoké, la battle, l’éclipse, les tableaux tournants…

Que pensent vos étudiants de cette méthode ?

10 % de mes étudiants à peu près détestent ça ! Parce qu’ils sont au premier rang, aiment prendre des notes, faire des fiches… ce sont ceux que l’on appelle les bons élèves, qui sont adaptés au système scolaire. Si le prof change les règles, ça les perturbe et ils n’aiment pas.

À l’inverse, 10 ou 15 % des étudiants adorent la classe renversée. Et les 75 % restants sont plutôt enthousiastes, et adhèrent plus ou moins volontiers selon les moments.

Si certains exercices ne plaisent pas à mes étudiants, ils sont par contre toujours libres de proposer des changements.

Certains opposent cours classiques et cours innovants (comme la classe inversée ou renversée), or, ils sont complémentaires. Quand les étudiants assistent à un cours innovant, ils ont envie d’approfondir, en lisant des livres ou en assistant à des cours « normaux ». Les cours innovants, comme la classe renversée, renforcent donc l’intérêt des élèves pour les cours « normaux ».

Quels conseils donneriez-vous à un prof qui veut se lancer dans la classe renversée ?

Tout d’abord, j’encourage les jeunes profs à tester de nouvelles choses ! Il n’y a pas besoin d’être expérimenté pour se lancer dans la classe renversée. Au début, ils peuvent commencer par inverser seulement un exercice ou un cours de temps en temps. Mon conseil est donc de se lancer, parce qu’ils risquent de s’ennuyer pendant plus de 40 ans à faire le même cours !