Eirick Prairat
Eirick Prairat

Quelles sont les raisons du choix de cette thématique de la sanction en éducation ?

Je crois que c’est une question qui revient de manière assez régulière sur le devant de la scène, pas seulement dans les médias, mais aussi dans le monde des professeurs. Quelques faits divers ont également dû mettre le feu aux poudres. Je pense à la récente affaire d’Agdes, ou à l’affaire de Créteil où une enseignante avait été braquée par des élèves avec une arme factice. Ce numéro de la revue s’est inscrit dans cette actualité-là.

En préambule, il faut noter que nous avons eu beaucoup de mal à trouver des contributeurs. Je pense que c’est, entre autres, parce que la sanction est souvent considérée comme une pratique secondaire, marginale, dans le processus de socialisation des élèves. Alors qu’au contraire, elle révèle la manière dont on socialise les élèves.

Quels sont les points communs relevés entre les pratiques punitives des différents pays ?

La question des châtiments corporels, en premier lieu. C’est une pratique qui a été presque universelle, c’est à dire que dans toutes les cultures et tous les pays, on a frappé les enfants, à part peut-être dans le Japon des premières heures du bouddhisme, aux 8e et 9e siècles. On voit aujourd’hui comment un certain nombre de pays (notamment en Afrique) ont des difficultés à sortir de ces pratiques maltraitantes, alors qu’elles sont interdites juridiquement depuis des décennies.

Ensuite, on peut relever la fin de l’union entre parents et enseignants. Longtemps, ils ont fait corps et parlé d’une seule voix, ce n’est plus le cas aujourd’hui. On voit comment les parents, parfois, contestent des pratiques punitives scolaires, dénoncent des enseignants et peuvent même engager des poursuites juridiques. Cette question de la sanction est souvent une cause de « divorce » entre parents et enseignants, et ce dans de nombreux pays.

Enfin, citons la nécessité d’introduire aujourd’hui des procédures de réparation dans les systèmes punitifs scolaires, ce qu’on appelle la justice restaurative. La contribution américaine et celle du Royaume-Uni en présentent des exemples. L’idée est d’amener le contrevenant à réparer, à renouer les liens, en proposant par exemple des cercles de réunion pour discuter.

Où en est-on au niveau des pratiques disciplinaires en France ?

La contribution française montre que certaines pratiques punitives peuvent renforcer des masculinités virilistes, et comment, dans la manière de réagir, on peut conforter les élèves dans des logiques de transgression. Au-delà de cet article, j’ai publié dans Le Monde une tribune qui parle des problèmes des sanctions disciplinaires en France. On y a parfois recours à des sanctions illégales, paradoxalement plus dans le premier degré que dans le second, comme par exemple les suppressions totales de récréation, le recours systématique à des procédures d’exclusion de l’établissement… Je suggère dans cette tribune plusieurs pistes pour améliorer la situation.

Dans la contribution canadienne, la discipline positive, dont on commence à parler en France, est présentée comme un échec. Qu’est-ce qui explique cela ?

L’article montre en effet que les enseignants canadiens sont en train de revenir sur la discipline positive, fortement recommandée dans les années 80-90 à la suite de la Révolution tranquille québécoise. Et ceci au moment où ce concept arrive de notre côté de l’Atlantique et qu’il est attendu chez nous comme un remède miracle. Il y a une sorte d’éternelle illusion dans cette question-là, celle d’une éducation sans contraintes et sans sanctions. Je pense que la question n’est pas « Faut-il sanctionner », mais « Comment sanctionner ».

Nous essayons depuis quelques décennies de renouer avec des méthodes pensées dans les années 80-90, où l’on doit faire le choix entre éduquer et punir. Alors que le défi est justement de réconcilier ces deux concepts.