Le collectif « Pour les littératures en langues régionales à l’école » réclame l’inclusion d’auteurs en langues régionales dans les programmes de français. Image : Getty

Vous êtes le coordonnateur du collectif « Pour les littératures en langues régionales à l’école ». Pouvez-vous présenter ce collectif, ses objectifs et son action ?

Notre collectif s’est créé fin 2022. Il comporte actuellement sept membres actifs – des universitaires et enseignants, un journaliste ou encore le directeur de l’Agence régionale de la langue picarde. Un tout petit groupe, modeste, au fonctionnement très démocratique, qui nous permet d’être efficaces dans nos actions. Nos objectifs sont clairs : le premier est de donner une place significative aux littératures originellement écrites en langues « régionales », en traduction française (ou en version bilingue) dans les programmes de français de notre système scolaire, et ce sans ajout horaire. S’il est admis de toute évidence que l’on enseigne des auteurs étrangers, traduits, dans nos cours de français, pourquoi pas des auteurs écrivant ou ayant écrit en catalan, tahitien ou normand … ? Un exemple très concret : si l’on regarde les actuels projets de programmes pour le français en cycle 4, on trouve dans les lectures intégrales recommandées, sur un total de 122, 29 auteurs antiques ou étrangers traduits, mais pas un seul auteur ou une seule autrice en langues « régionales ». À mettre en rapport avec cette seule recommandation qui mentionne ces langues : « On s’assure également que l’élève rencontre les littératures francophones, régionales et étrangères (dans des traductions en français) pour les sensibiliser à la diversité des cultures et des usages de la langue. »

Le deuxième objectif est de participer par notre action au sauvetage encore possible de notre diversité linguistique et culturelle en danger. La France a la chance de posséder le trésor qu’est cette diversité, mais elle le méprise ou l’ignore coupablement, malgré les recommandations de l’UNESCO, par exemple.

Avec le collectif, vous avez lancé une pétition, qui a recueilli plus de 18 000 signatures, pour réclamer l’intégration d’œuvres littéraires en langues régionales dans les programmes scolaires français. Pour quelles raisons ces œuvres doivent-elles, selon vous, être étudiées par tous les élèves ?

Oui, notre pétition – la première de nos actions –  destinée au ministère de l’Éducation nationale, a notamment été signée par des centaines d’universitaires, de très nombreux élus, la plupart des syndicats d’enseignants, et des personnalités des domaines artistique, culturel, etc. : Patrick Chamoiseau, Francis Cabrel, Mona Ozouf, Alan Stivell, Azouz Begag, Jocelyne Béroard, Bernard Cerquiglini… Tous ont compris, comme nous, que les littératures issues de nos langues n’ont pas la place qu’elles méritent dans notre système éducatif, généralement écartées des livres scolaires et des recommandations officielles, d’abord pour des motifs idéologiques, puis par habitude et souvent en raison d’une ignorance condescendante. Il existe dans les langues de notre diversité des œuvres de qualité remarquable, de portée souvent universelle et dignes de figurer aux côtés des textes que les élèves apprennent à connaître habituellement.

Depuis les troubadours occitans qui apportèrent une contribution majeure à la littérature européenne jusqu’à l’inventivité foisonnante des œuvres créoles, depuis Frédéric Mistral, prix Nobel en 1904, jusqu’à l’actuelle créativité romanesque, poétique, théâtrale, des auteurs de nos terres métropolitaines ou ultramarines il y aurait de quoi fournir le contenu de plusieurs manuels !

La pétition lancée par le collectif a reçu plus de 18 000 signatures notamment d’universitaires, d’enseignants et d’artistes. Image : Getty

Vous avez reçu le soutien, dans cette démarche, du secrétaire perpétuel de l’Académie Française, Amin Maalouf. Pouvez-vous nous parler de cette rencontre et de ce qu’elle représente pour le collectif ?

Parmi nos actions, et outre la pétition déjà évoquée, notre lettre ouverte adressée à Amin Maalouf et publiée sur le site de L’Express, a constitué un moment fort. En effet, et à notre propre surprise, le secrétaire perpétuel de l’Académie française a donné suite et nous a invités à le rencontrer. Cette rencontre a eu lieu en décembre dernier à l’Académie, et s’est avérée extrêmement positive. Amin Maalouf, nous le savons, est particulièrement sensible aux questions de diversité culturelle et identitaire et, pour cette raison, nous l’espérions ouvert à notre démarche ; mais par ailleurs il est à la tête d’une vénérable institution qui jusqu’ici n’avait pas brillé par son intérêt pour nos langues et littératures dites « régionales ». Son soutien à notre cause, même s’il est fait à titre personnel, est donc une véritable étape historique et constitue un symbole très fort pour notre cause.

A la suite de cette rencontre, le collectif a rassemblé des textes en langues régionales dans un recueil, « Florilangues ». Pouvez-vous présenter cet ouvrage et ses ambitions ?

Florilangues est en effet un ouvrage qui répond en quelque sorte à la « commande » d’A. Maalouf. Il souhaitait que nous lui remettions un corpus d’une vingtaine de textes qui lui démontreraient la qualité littéraire des œuvres écrites dans les langues de notre diversité. Malgré des coupes sombres et des sacrifices douloureux, nous ne pourrons proposer moins de 33 textes, de 14 domaines linguistiques. Nous avons déjà présenté, début juin, le fruit de nos travaux au « perpétuel », qui s’est dit impressionné, nous a renouvelé son soutien et nous a incités à nous adresser au premier ministre et à la ministre de l’Éducation nationale. Le livre, qui a déjà trouvé un éditeur, devrait paraître fin 2025 ou début 2026. Il aura une préfacière prestigieuse : Barbara Cassin, elle aussi de l’Académie française. L’ambition est de convaincre les décideurs en charge des programmes scolaires, de sensibiliser enseignants et grand public, et constitue un petit pas de plus vers la reconnaissance de nos littératures… et de nos langues.

Que répondez-vous aux critiques notamment politiques qui estiment que les langues régionales divisent le pays ?

Ce n’est pas en procédant par soustraction (des langues diverses) et par négation (de la diversité culturelle), mais par inclusion harmonieuse, que l’on aide à l’unité nationale, ne croyez-vous pas ? Que penser d’un État qui proclame : Liberté, Égalité, Fraternité et qui, pour en persuader certains de ses citoyens, leur dit : « Tu es donc libre, mais tu n’as pas la liberté de parler ta langue ; tu es égal à moi, mais ta langue et ton accent sont inférieurs aux miens ; tu es mon frère, mais qu’importe que ton héritage culturel disparaisse puisque je garde le mien » ? N’est-il pas, par ailleurs, d’une inconséquence intellectuelle et morale insupportable qu’un État affiche par exemple son soutien aux locuteurs des langues « régionales » que sont les francophones de Louisiane ou du Québec, tout en accusant les locuteurs de langues « régionales » françaises d’être de dangereux séparatistes ? Une langue commune constitue un maillon fort de l’unité nationale ; c’est le cas, chez nous, du français. Mais les autorités françaises confondent langue commune, qui n’exclurait pas les richesses fécondes du plurilinguisme, et langue unique. En œuvrant pour qu’un élève basque, guadeloupéen ou picard découvre les beautés des œuvres et des langues de Corse, de Bretagne, de Nouvelle-Calédonie ou d’Alsace, il nous semble que nous allons dans le sens de l’harmonie nationale.