Les enseignants de CPGE se mobilisent contre la fermeture de classes prépa à Paris. Image : Getty

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis professeur de mathématiques en classe préparatoire au lycée Paul Valéry, en PSI, et j’ai également un engagement syndical au sein du SNFOLC, en tant que représentant des classes préparatoires sur l’académie de Paris.

Pouvez-vous revenir sur les événements qui ont amené les enseignants de classe préparatoire à manifester mercredi 13 décembre ?

Les enseignants de quatre établissements différents nous ont contactés pour des fermetures totalement injustifiées de classes préparatoires. D’abord Pierre-Gilles de Gennes pour la classe ATS bio, accueillant des élèves provenant de BTS ou DUT. C’est donc une classe très particulière qui permet de casser les images qu’on a parfois sur les prépa et notamment sur le fait qu’il n’y aurait pas d’ouverture ou pas de mixité sociale au sein de ces classes. Autre établissement touché, le lycée Jacques Decour avec ses classes d’ECG, le lycée Lamartine avec sa classe d’hypokhâgne et le lycée Chaptal avec une classe de khâgne. Pour faire un point, la première année d’ECG au lycée Jacques Decour accueille 40% de boursiers et compte 47 élèves, à Lamartine ils sont 46 élèves, ce sont des classes pleines !

Quels étaient les arguments du recteur pour justifier la fermeture de ces classes prépa ?

C’est assez étonnant parce qu’il se sert de reproches généraux à l’encontre des prépas pour fermer des classes qui ne correspondent pas du tout à ces reproches. Les classes préparatoires parisiennes ont cette réputation, je l’entends, d’être élitistes. Or malheureusement les exemples de classes choisies pour les fermetures ne correspondent pas du tout à cette image-là. Evidemment certaines prépa sont encore extrêmement sélectives mais ce n’est pas le cas de toutes. A Lamartine par exemple, aucun élève de l’hypokhâgne n’a eu mention très bien au bac. En réalité, les classes préparatoires accueillent une diversité d’élève assez importante, j’ai l’habitude de dire que les classes prépa sont des filières sélectives mais qui s’adressent à tout le monde.

Malheureusement et certainement à cause de réformes successives, on n’arrive plus à amener les élèves à un niveau suffisant au bac, et l’intérêt des classes préparatoires c’est aussi parfois de redonner à certains élèves la chance qu’ils n’ont pas eue les années précédentes. Cela peut être parce qu’ils ont connu des parcours dans des lycées défavorisés, ou parce qu’il y a eu rupture d’égalité à cause d’absences dans l’équipe pédagogique. Je ne pointe pas du tout du doigt les collègues, je pointe du doigt la gestion du rectorat et la difficulté de trouver des enseignants remplaçants. De plus, le bac devient de plus en plus local et il y a moins d’exigence à amener les élèves au niveau bac puisqu’une grande partie est sanctionnée par le contrôle continu. Les classes prépa étant structurées par un concours, cela donne une obligation d’exigence en termes de contenu.

Quant au reproche qui est fait aux CPGE de n’accueillir que des élèves issus de catégories CSP+, faudra-t-il, dans la même logique, supprimer l’enseignement de spécialité Mathématiques en classe de Première générale sous prétexte que 45% des élèves qui le suivent sont de milieu très favorisé, contre 18% d’élèves de milieu défavorisé ? Il est évident qu’on ne créera pas plus de mixité sociale en supprimant des formations de l’enseignement supérieur public gratuit. Le risque est d’avoir à terme à modèle à l’américaine avec endettement des classes moyennes et surendettement des élèves issus des familles les plus défavorisées.

On entend également que les classes préparatoires seraient en perte de vitesse et ne feraient plus le plein…

Ce qui est assez étonnant dans les chiffres du rectorat c’est qu’on apprend qu’en fait les classes prépa parisiennes se portent très bien ! C’est presque une découverte pour certains collègues qui étaient persuadés que les classes prépa étaient en perte de vitesse et qu’on serait obligé de fermer à terme. Ce n’est pas du tout le cas. Dans les statistiques il y a une augmentation des élèves en CPGE de 1,6 % cette année sur tout le territoire et l’augmentation prévue l’an prochain est de 2,5% ce qui représente de l’ordre de 2500 élèves. C’est d’ailleurs intéressant de voir que cette croissance a lieu alors qu’il y a moins d’élèves dans l’enseignement supérieur, je crois qu’il y a une baisse de 0,5 % cette année. 

Le plus important pour comprendre les attaques qui sont faites actuellement c’est la théorie des places vacantes, une théorie de gestionnaires qui vise à rationaliser les ressources. Le chiffre donné par le recteur c’est qu’il y a plus de 42 élèves par classe dans les CPGE parisiennes. Et il estime que s’il y a 42 élèves en moyenne, les classes ne sont pas complètement remplies puisque le nombre maximum d’élèves par classe autorisé est de 48, donc il y a 6 places disponibles par classe prépa, et comme il y a 289 classes prépa il prétend qu’il y a plus de 1500 places vacantes. C’est une manière hallucinante de compter ! Il y a une sorte de trahison aussi parce que ça fait des années que l’on nous dit qu’en classe prépa peu d’efforts sont faits en termes de mixité sociale, on fait tous les efforts nécessaires, on nous dit les classes prépa ne sont pas suffisamment pleines, on accueille de plus en plus d’élèves et malgré cela les classes ferment. C’est d’ailleurs pour cela que le mouvement est en train de prendre de l’ampleur, tous les collègues se sentent menacés. C’est une arme de destruction massive des classes prépas que le recteur a entre les mains. Et la théorie des places vacantes ne s’arrêtera que lorsqu’il n’y aura plus de prépa : il est impossible de remplir à 48 élèves en moyenne quand le nombre maximal est à 48 !

Et le risque est que la fermeture de classes soit un frein à la hausse du nombre d’élèves en CPGE. L’impression est que le recteur de Paris souhaite créer les déficits qu’il nous reprochera à l’avenir pour fermer des classes.

Le recteur affirme vouloir financer par ces fermetures l’ouverture de classes prépa destinées aux bacheliers professionnels, qu’en pensez-vous ? 

Deux pistes différentes sont en fait évoquées par le recteur. Il y a d’abord ce qu’ils ont appelé les classes préparatoires au professorat des écoles, qu’ils souhaitent ouvrir notamment à Henri IV. Mais cela n’a absolument rien à voir avec le principe des classes préparatoires habituelles, c’est simplement un maquillage d’une nouvelle formation de professeurs des écoles. Mettre de l’argent public dans la formation des professeurs des écoles est très important parce qu’on est en train de la mettre à mal depuis quelques années, mais on ne comprend pas pourquoi le budget des classes préparatoires doit être amputé pour cela.

Et il y a effectivement l’ouverture de classes prépa pour bacs pros, je pense que tous les professeurs y sont favorables, mais nous dénonçons le sacrifice de certaines classes pleines pour ouvrir ces nouvelles classes.

Quelles actions avez-vous mises en place pour protester ?

Il y a eu plusieurs rassemblements, un le 6 décembre qui a réuni autour de 400 professeurs devant le ministère de l’Education nationale, dans le but d’obtenir une audience. Celle-ci a été refusée.

Il y a eu un deuxième rassemblement le 13 décembre, avec une montée en puissance car nous étions cette fois entre 600 et 700, avec des enseignants d’une vingtaine de lycées différents : Pierre-Gilles de Gennes, Decour, Paul Valery bien sûr, mais aussi Louis le Grand, Janson de Sailly, Condorcet, Henri-IV, Buffon, Molière, Fénelon… il y a même des personnels qui sont venus de Lille ou de Chartres. Nous avons à nouveau demandé une audience au ministère, de nouveau refusée en nous faisant savoir qu’il fallait passer d’abord par le rectorat. Les représentants syndicaux ont donc accepté une audience avec le recteur, en la conditionnant au fait d’être reçus ensuite par le ministre.

Ils ont donc eu une audience le lendemain avec le recteur de Paris, le Dasen adjoint, et la conseillère sociale. Le rendez-vous n’a malheureusement servi à rien, nous relançons donc un rassemblement jeudi 21, et nous avons la volonté par la suite de nationaliser le mouvement.