Faire aimer les maths aux plus jeunes, et notamment aux jeunes filles : telle est une des ambitions du Musée des Mathématiques qui vient d’ouvrir à Paris. Image Getty

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis Lucas Gerin, enseignant-chercheur en mathématiques, mon travail porte sur la théorie des probabilités. Je suis professeur assistant à l’Ecole polytechnique à Palaiseau, j’enseigne les probabilités appliquées et statistiques aux élèves ingénieurs et en bachelor. Je suis également l’un des ambassadeurs de la Maison Poincaré.

Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

La Maison Poincaré est un musée consacré aux mathématiques, qui se situe dans le 5e arrondissement de Paris, rue Pierre et Marie Curie.

Au départ, il y a l’Institut de recherche Henri Poincaré, fondé il y a un siècle : il est géré par Sorbonne Université et le CNRS, et propose régulièrement des conférences avec des chercheurs invités internationaux. L’une de ses missions est d’ouvrir la science à l’ensemble de la société. Il y a une dizaine d’années, Cédric Villani – qui était alors directeur de l’Institut- a pris cette mission très à cœur et a eu l’idée de créer un musée qui montre les mathématiques vivantes, et les gens qui la font.

Qu’est-ce qu’on y trouve ?

Il y a l’exposition permanente, séparée en plusieurs espaces. On peut y trouver des applications des mathématiques (mouvements de foule, intelligence artificielle…), un espace “modéliser” où l’on peut faire des manipulations, notamment sur écran. On peut aussi y voir une galerie de beaux objets mathématiques et des portraits de personnes qui travaillent autour des maths. Nous avons fait en sorte qu’il y ait des choses jolies, poétiques, visuelles…

Par exemple, nous avons conçu une “carte des mathématiques” sous forme de carte de métro, qui illustre tous les domaines où s’appliquent les mathématiques, comment elles interagissent avec d’autres sciences, sur quels sujets, etc.

Ensuite, il y a l’espace “Holo-Math” qui propose une expérience en réalité virtuelle où l’on “entre” à l’intérieur d’objets mathématiques en 3D. C’est une expérience immersive à faire en groupe, accompagné d’un médiateur et sur réservation.

Il y a enfin un espace dédié aux expositions temporaires. Celle qui est installée actuellement s’appelle “Entrez dans le monde de l’IA” et explore les enjeux sociétaux, écologiques et économiques de l’intelligence artificielle, l’histoire des robots “chatbots”, le fonctionnement des réseaux de neurones…

A qui est destiné le musée ?

A tout le monde. Tout a été un peu pensé à partir de 12 ans, car à ce moment-là les jeunes n’ont pas encore fait leur choix d’orientation, donc tout se joue encore.

Il y a des ateliers pour les 7-11 ans, avec des thématiques originales comme l’origami, et des ateliers pour les 12-16 ans. Le musée est gratuit pour les moins de 18 ans.

Pour les particuliers, il est conseillé de faire une visite guidée pour profiter au maximum des différents espaces.

Le but est-il de rendre les mathématiques moins abstraites ?

Le slogan du musée est bien trouvé, puisque c’est “le musée où les maths prennent vie” : la Maison Poincaré montre des applications très actuelles des mathématiques (nouvelles technologies, médecine, biologie..). On peut avoir l’impression de ne pas se servir au quotidien des mathématiques, mais en fait on pourrait pas s’en passer : par exemple, le théorème de Thalès est utile partout, mais on n’a pas besoin de s’en servir tous les jours.

Mais il y a aussi l’idée de faire aimer les maths pour elles-mêmes. Par exemple, dans le musée on trouve un “chuchoteur de formules” – qui comme son nom l’indique chuchote des formules mathématiques à l’oreille des visiteurs – mais aussi la galerie de beaux objets dont je parlais plus tôt, les portraits… On veut que ce soit une expérience sensorielle. Les mathématiques ne devraient pas faire peur.

La suppression des maths dans le tronc commun dans le cadre de la réforme du lycée avait provoqué beaucoup de réactions. Pourquoi est-ce une matière si importante ?

Personnellement, je pense que si les mathématiques sont si utiles, c’est parce qu’elles permettent aux élèves d’apprendre à raisonner ; un peu comme la philosophie. C’est un langage qui permet d’expliquer des phénomènes complexes qui peuvent arriver dans la vie courante. Il y a plein d’enjeux de société qui sont liés à des sciences, on l’a vu au moment du Covid, ou en politique avec les sondages, etc. Les citoyens doivent avoir un esprit critique aussi sur les sujets qui impliquent des chiffres. L’enseignement des mathématiques consiste bien souvent à décomposer des problèmes complexes en petites étapes, et nous apprenons à le faire ensuite inconsciemment dans la vie de tous les jours.

La place des filles en mathématiques est-elle aussi une préoccupation de la Maison Poincaré ?

Oui, complètement. C’était un enjeu très important au moment de la conception du musée de représenter des figures féminines : par exemple, dans les portraits, il y a autant de femmes que d’hommes. C’est un enjeu encore compliqué : on manque de modèles féminins dans l’imaginaire des gens. Il faut convaincre les jeunes filles que les mathématiques peuvent leur plaire, et qu’elles ne doivent pas se censurer. Si on peut au moins leur permettre de s’y essayer en venant au musée, ce serait déjà un succès.

Est-ce qu’il y a des visites spéciales pour les scolaires ?

Pour les scolaires, il y a des visites spéciales à partir de la quatrième : en sous-groupe, ils profitent d’une visite guidée et d’une activité au choix, avec un médiateur ou une médiatrice. Avant la création du musée, l’Institut faisait déjà des choses avec les scolaires ; les médiateurs sont géniaux, ils savent parler aux élèves. Un livret pédagogique est par ailleurs disponible pour les enseignants.